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— Oh, je sais que le sanglier fit le boulot pour vous…, mais s’il l’avait fait à demi, sûrement l’auriez-vous terminé.

— Il était un roi lamentable…, vaniteux, ivrogne, débauché…, il aurait écarté votre sœur, sa reine…, pitié…, Renly tramait d’amener à la Cour la damoiselle de Hautjardin pour qu’elle séduise son frère…, c’est la pure vérité, les dieux…

— Et lord Arryn ? Que tramait-il ?

— Il savait , dit Pycelle. A propos…, à propos…

— Je sais quoi, coupa sèchement Tyrion, peu désireux de laisser Timett et Shagga le savoir aussi.

— Une fois sa femme rentrée aux Eyrié et son fils parti comme pupille pour Peyredragon, il… il comptait agir…

— Aussi l’avez-vous devancé en l’empoisonnant.

— Non. » Il se débattit faiblement. Avec un grondement, Shagga lui empoigna la tête. Sa main était si énorme que, d’une simple pression, elle aurait pu réduire en miettes comme une coquille d’œuf le crâne du mestre.

« Tt tt, fit Tyrion. J’ai vu les larmes de Lys parmi vos potions. Et vous avez congédié le mestre personnel de lord Arryn et soigné celui-ci vous-même de manière à rendre sa mort absolument certaine.

— Faux !

— Rase-le de plus près, suggéra Tyrion. Repasse la gorge. »

La hache redescendit en râpant la peau. Un menu filet de salive vint éclore en bulles sur les lèvres tremblantes de Pycelle. « J’ai tâché de sauver lord Arryn. Je jure…

— Tout doux, Shagga, tu l’as coupé.

— Dolf a procréé des guerriers, gronda Shagga, pas des barbiers. »

Quand il sentit le sang dégouliner le long de son cou puis sur sa poitrine, le vieillard fut pris d’un frisson, et ses dernières forces l’abandonnèrent. Tout ratatiné, il paraissait deux fois plus petit et fragile qu’à l’heure où ils s’étaient jetés sur lui. « Oui, pleurnicha-t-il, oui, Colemon le purgeait, alors, je l’ai congédié. La reine exigeait que lord Arryn meure, elle ne l’a pas dit, c’était impossible, avec Varys qui écoutait, qui écoutait à tout moment, partout, mais je l’ai compris en la regardant. Mais ce n’est pas moi qui ai administré le poison, je le jure. » Il pleurait. « C’est son écuyer, Varys vous dira, Hugh qu’on l’appelait, c’est sûrement lui qui a dû le faire, demandez à votre sœur, demandez-lui. »

Tyrion était écœuré. « Vous le ligotez puis vous l’emmenez, ordonna-t-il. Fourrez-le dans l’une des oubliettes. »

Comme on entraînait enfin le captif vers le vestibule, « Lannister, geignit-il, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour les Lannister… ».

Une fois seul, Tyrion fouilla les lieux sans se presser, préleva quelques fioles supplémentaires sur les étagères. Pendant qu’il opérait, les corbeaux marmonnaient, là-haut, une rumeur étrangement paisible. Il lui faudrait trouver quelqu’un pour s’occuper d’eux jusqu’à ce que la Citadelle envoie le remplaçant de Pycelle.

Il était celui en qui j’avais espéré me fier. Sans être moins déloyaux, subodorait-il, Varys et Littlefinger étaient toutefois plus… subtils et, par là même, plus dangereux. Peut-être aurait-il mieux valu employer la méthode de Père : convoquer Ilyn Payne, ficher trois têtes au-dessus des portes et en avoir fini. Puis quel joli spectacle ce serait, songea-t-il, non ?

ARYA

La peur est plus tranchante qu’aucune épée, se ressassait-elle, mais le charme n’opérait pas, la peur s’était incrustée en elle, aussi indissociable de ses jours que le pain coriace et que les ampoules aux pieds après une longue journée de marche parmi crevasses et cailloux.

La peur, qu’elle s’était figuré naguère connaître à fond, les huit jours passés dans le hangar des bords de l’Œildieu lui avaient offert tout loisir de l’appréhender mieux. Elle avait vu périr quelqu’un chaque jour, avant que la Montagne n’ordonnât le départ.

La Montagne… Sitôt après son déjeuner, il pénétrait dans le hangar et y choisissait l’un des prisonniers pour l’interroger. Les gens du village s’abstenaient coûte que coûte de le regarder. Peut-être s’imaginaient-ils qu’en feignant de l’ignorer, lui-même les ignorerait…, mais il les lorgnait tout de même et choisissait selon sa fantaisie. Impossible de lui échapper, de ruser, se cacher, tricher, pas moyen de sauver sa peau.

Trois nuits de suite, une fille partagea la couche d’un soldat ; et le soldat ne dit pas un mot lorsque, au matin du quatrième jour, la Montagne choisit la fille.

Jamais à court de risettes pour les geôliers, un vieux leur raccommodait leurs affaires en leur babillant que son fils servait à Port-Réal dans les manteaux d’or. « Un homme du roi qu’il est, rabâchait-il, un fidèle du roi, comme moi, tout Joffrey. » Une ritournelle si obsédante que ses compagnons de détention ne l’appelaient plus que « Tout-Joffrey », quand les gardes n’écoutaient pas. Tout-Joffrey fut choisi le cinquième jour.

Une jeune femme au visage grêlé s’étant proposé de révéler tout ce qu’elle savait si l’on promettait d’épargner sa fille, la Montagne l’entendit de bout en bout mais, pour s’assurer qu’elle ne lui avait rien dissimulé, choisit la gamine, le lendemain.

Les auditions des malheureux élus ayant lieu sous leurs yeux, les captifs ne pouvaient rien méconnaître du sort réservé aux rebelles et aux traîtres. Un type surnommé Titilleur par ses acolytes posait les questions. Sa tête des plus banale et sa mise des plus ordinaire ne le distinguaient nullement d’abord des rustres locaux ; mais Arya s’aperçut bientôt qu’il fallait le voir à l’œuvre pour lui rendre pleine justice. « Titilleur vous fait si bien gueuler les gens qu’ils en font plein leur froc », avait pourtant prévenu Chiswyck, le vieux voûté qu’elle avait essayé de mordre au moment de sa capture, qui l’avait traitée de « démon » et assommée d’un coup de poing ganté de maille. Il lui arrivait de seconder Titilleur quand d’autres ne s’en chargeaient pas. Quant à ser Gregor Clegane, il se tenait là sans bouger, mais tout yeux tout oreilles jusqu’à la mort du patient.

L’interrogatoire était invariable. Y avait-il de l’or caché dans le village ? Des vivres supplémentaires ? Où se trouvait lord Béric Dondarrion ? Quels villageois l’avaient soutenu ? A son départ, où se rendait-il ? Combien d’hommes l’accompagnaient ? Combien de chevaliers, combien d’archers, combien d’hommes d’armes ? En quoi consistait leur équipement ? Combien d’entre eux étaient montés ? Combien blessés ? Quel autre ennemi avait-on vu ? Combien d’hommes ? Quand ? Quelles bannières arboraient-ils ? Où étaient-ils allés ? Y avait-il de l’or caché dans le village ? De l’argent, des pierreries ? Où se trouvait lord Béric Dondarrion ? Combien d’hommes l’accompagnaient ? Au bout de trois jours, Arya aurait pu poser les questions elle-même.

On découvrit finalement un chouïa d’or, un chouïa d’argent, un gros sac de liards – et un gobelet cabossé mais serti de grenats pour lequel deux soudards faillirent en venir aux mains. On apprit que lord Béric menait dix crève-la-faim ou bien cent chevaliers montés ; qu’il avait filé vers le nord ou bien vers le sud ou vers l’ouest ; qu’il avait pris un bateau pour traverser le lac ; qu’il était fort comme un aurochs ou quasi vidé de son sang. Du moins personne – ni homme ni femme ni enfant – ne survivait-il aux interrogatoires de Titilleur ; sa victime la plus résistante dura jusqu’au-delà du crépuscule ; afin de ne point décourager les loups, on suspendait les cadavres à l’écart des feux.

L’heure venue de se mettre en marche, Arya ne se faisait plus d’illusions, elle n’était pas un danseur d’eau. Jamais Syrio Forel ne se serait laissé terrasser d’un coup de poing, jamais laissé faucher son épée, jamais il n’aurait sans moufter laissé tuer Lommy Mains-vertes. Jamais non plus Syrio ne serait demeuré, lui, passif et coi dans le hangar, jamais il n’aurait toléré de s’y avilir comme un prisonnier quelconque. Le loup-garou pouvait bien être l’emblème des Stark, Arya se sentait davantage agneau, maintenant qu’elle bêlait parmi des tas d’autres moutons. Et elle haïssait presque autant les villageois pour leur moutonnerie qu’elle se haïssait personnellement.