Выбрать главу

En riant, la petite Reed jeta ses bras autour du loup captif et se laissa rouler avec lui. A ruer vainement des quatre pattes contre les cordes qui le ligotaient, celui-ci finit par pousser un vagissement piteux. Alors, Meera s’agenouilla, défit un tour du filet, tira sur un coin, démêla d’une main preste ici puis là et, soudain, le loup s’esquiva, libre enfin.

« Ici, Eté. » Bran ouvrit ses bras. « Regardez », dit-il, et, une seconde plus tard, le loup déboulait sur lui. Il l’empoigna de toutes ses forces, tandis que le loup le propulsait dans l’herbe, et ils luttèrent en s’enchevêtrant, cramponnés l’un à l’autre, celui-ci grognant et jappant, celui-là riant à perdre haleine. Enfin, Bran prit l’avantage et s’allongea sur le loup-garou tout crotté de terre. « Bon loup », haleta-t-il. La langue d’Eté lui balaya l’oreille.

Meera secoua la tête. « Il ne se met jamais en colère ?

— Pas avec moi. » Il l’attrapa par les oreilles, Eté répliqua par un féroce claquement de crocs, mais tout cela n’était qu’un jeu. « Il lui arrive de me déchirer les vêtements, mais il n’est jamais allé jusqu’au sang.

— Vous voulez dire votre sang. Si mon filet ne l’avait empêché…

— Il ne vous ferait pas de mal. Il sait que je vous aime bien. » Quelques heures avaient suffi pour disperser tous les seigneurs et chevaliers réunis à Winterfell par la fête des moissons, mais les Reed demeureraient en permanence auprès de lui. Si les mines cérémonieuses de Jojen l’avaient fait qualifier par Vieille Nan de « petit grand-père », Bran trouvait à Meera quelque ressemblance avec sa sœur Arya. Elle ne craignait pas de se salir, savait aussi bien courir et se battre et tirer qu’un garçon. Elle était plus âgée qu’Arya, toutefois ; près de seize ans ; une femme, quoi. Du frère aussi, Bran était largement le cadet, malgré ses neuf ans enfin sonnés, révolus, mais ni l’un ni l’autre ne l’avaient jamais traité en mioche.

« Que n’êtes-vous nos pupilles, au lieu de ces Walder… » Il entreprit de se traîner vers l’arbre le plus proche. Ce n’était pas un joli spectacle que ses reptations et tortillements mais, lorsque Meera esquissa le geste de le soulever, « Non, ne m’aidez pas », dit-il. A la seule force des bras, il progressait en tanguant gauchement, tirait, poussait, finit, grâce à une contorsion compliquée vers l’arrière, par s’adosser au tronc d’un grand orne. « Vous voyez, ça y est. » Eté s’allongea près de lui, la tête dans son giron. « Je ne connaissais personne qui combatte armé d’un filet, reprit-il, tout en grattant le loup entre les oreilles. C’est votre maître d’armes qui vous en a appris le maniement ?

— Mon père. Nous n’avons pas de chevaliers, à Griseaux. Ni de maître d’armes ni de mestre.

— Qui s’occupe de vos corbeaux ? »

Elle sourit. « Des corbeaux seraient aussi incapables que nos ennemis de dénicher Fort-Griseaux.

— Pourquoi donc ?

— Parce qu’il est mobile. »

N’ayant jamais entendu parler d’un château mobile, il lui décocha un regard perplexe mais ne réussit pas à déterminer si elle parlait sérieusement ou le taquinait. « Je serais curieux de le voir. Croyez-vous que messire votre père me permettrait de le visiter, lorsque la guerre sera finie ?

— Vous y seriez le très bienvenu, mon prince. Alors comme dès maintenant.

— Maintenant ? » Pour avoir passé sa vie entière à Winterfell, il brûlait de découvrir des contrées lointaines. « Je pourrais en parler à ser Rodrik lorsqu’il rentrera. » Le vieux chevalier s’était rendu dans l’est pour tenter d’y rétablir l’ordre. Le bâtard de Roose Bolton y avait ouvert les hostilités en s’emparant de lady Corbois qui regagnait ses terres après la fête et en l’épousant le soir même, bien qu’elle eût l’âge d’être sa mère. A quoi lord Manderly avait répliqué en la dépossédant de son château ; à seule fin, prétextait sa lettre, de préserver les domaines Corbois des prétentions Bolton, mais ser Rodrik avait presque aussi mal pris le forfait de l’un que le crime de l’autre. « Lui, peut-être, acceptera de me laisser partir. Pas mestre Luwin. »

Assis jambes croisées sous le barral, Jojen Reed posa sur Bran un regard solennel. « Vous feriez bien de quitter Winterfell.

— Ah bon ?

— Oui. Et le plus tôt serait le mieux.

— Mon frère possède un don de vervue, expliqua Meera. Ce qu’il rêve advient parfois.

— Pas parfois , Meera. » Ils échangèrent un coup d’œil ; navré de sa part à lui, impérieux de sa part à elle.

« Dites-moi ce qui va arriver, dit Bran.

— Je le ferai, répliqua Jojen, si vous me parlez de vos propres rêves. »

Dans le silence épaissi du bois sacré, Bran percevait le vague bruissement des feuilles et, au loin, les éclaboussant ébats d’Hodor dans les sources chaudes. A l’homme d’or et à la corneille aux trois yeux se mêlèrent en un éclair le craquement des os sous ses crocs et la saveur cuivrée du sang. « Je n’ai pas de rêves. Mestre Luwin me donne des somnifères.

— Qui vous soulagent ?

— Quelquefois.

— Tout Winterfell est au courant, Bran, intervint Meera. La nuit, vous vous réveillez, trempé de sueur et hurlant. Les femmes en parlent, au puits, les gardes dans leur salle.

— Confiez-nous ce qui vous terrifie de la sorte, reprit Jojen.

— Je n’y tiens pas. Ce ne sont jamais que des rêves, d’ailleurs. Qui peuvent aussi bien signifier quelque chose ou rien, d’après mestre Luwin.

— Mon frère rêve comme le font tous les garçons, mais si ces rêves-là ne sont pas forcément dépourvus de sens, insista Meera, ils n’ont rien de commun avec les rêves verts. »

Avec ses yeux couleur de mousse, Jojen vous donnait par moments l’impression de voir autre chose que vous. C’était à présent le cas. « J’ai rêvé d’un loup ailé que rivaient à la terre des chaînes de pierre grise, dit-il. Et comme il s’agissait là d’un rêve vert, je ne pouvais douter de sa véracité. Une corneille essayait de picorer au travers des chaînes, mais leur pierre était trop dure, et elle s’y ébréchait vainement le bec.

— Elle avait trois yeux ? »

Jojen fit un signe affirmatif.

Eté souleva sa tête du giron de Bran et fixa sur le maraîchin ses insondables prunelles d’or.

« Enfant, je faillis mourir des fièvres griseaux. C’est alors que me visita la corneille.

— Et moi après ma chute, avoua Bran. J’étais assoupi depuis fort longtemps. Elle me prévint qu’il fallait voler ou mourir, et je m’éveillai. Seulement…, seulement, j’étais brisé – et incapable de voler, de toute manière.

— Vous le pouvez si vous le voulez. » Ramassant son filet, Meera le secoua pour achever de le démêler puis entreprit de le disposer en plis lâches.

« Le loup ailé, c’est vous , Bran, reprit Jojen. Je n’en étais pas sûr, à notre arrivée, maintenant si. La corneille nous a envoyés pour rompre vos chaînes.

— Elle est à Griseaux ?

— Non. Dans le nord.

— Au Mur ? » Il désirait depuis toujours le voir. Et Jon, son frère bâtard, s’y trouvait désormais. Dans la fameuse Garde de Nuit.

« Au-delà du Mur. » Meera Reed suspendit le filet à sa ceinture. « C’est en apprenant le rêve de Jojen que le seigneur notre père a décidé notre départ pour Winterfell.

— Comment m’y prendre pour briser mes chaînes, Jojen ?

— Ouvrez l’œil.

— Mais ils sont ouverts ! Ne le voyez-vous pas ?

— Deux le sont. » Il brandit l’index. « Un, deux.

— Je n’en ai que deux !