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« Qui sont-ils ? » demanda-t-elle.

L’un des soudards se mit à rigoler. « Les valets-de-pied, petite. Les orteils de la Chèvre. Les Pitres sanglants de lord Tywin.

— C’est ça, cervelle de pois, vas-y ! fais-la écorcher, et c’est toi qui gratteras ces putains de marches…, avertit Weese. C’est des mercenaires, Brin-de-belette. Les “Braves Compaings”, qu’ils se disent, eux. Leur donne pas d’autre nom, quand y peuvent entendre, ou gare à ta peau. Le heaume à la chèvre est leur capitaine. Lord Varshé Hèvre.

— Lord de mon cul, trancha le second soldat, comme dit ser Amory. Un reître, rien que, avec plein de bave, et gonflé faut voir.

— Mouais, convint Weese, mais elle fera mieux d’y donner du lord, si elle veut garder tous ses abattis. »

Elle loucha de nouveau vers Varshé. Mais combien lord Tywin en possède-t-il, de monstres ?

Comme les Braves Compaings cantonnaient dans la tour de la Veuve, elle n’avait pas à les servir. Heureusement. Le soir même de leur arrivée, une bagarre les opposa à des Lannister. L’écuyer de ser Harys Swyft périt poignardé, et deux des Pitres furent blessés. Le lendemain matin, lord Tywin les fit pendre aux créneaux de la porte, en compagnie d’un archer de lord Lydden. A en croire Weese, ce dernier avait tout déclenché par ses sarcasmes à propos de Béric Dondarrion. Une fois terminées les ruades des suppliciés, Varshé Hèvre et ser Harys se donnèrent l’accolade et, sous les yeux de lord Tywin, s’entrebaisèrent en se jurant une amour éternelle. Arya trouva comiques les zézaiements baveux de Varshé, mais elle se garda précieusement d’en rire.

Si les Pitres sanglants ne s’attardèrent guère à Harrenhal, elle eut tout de même, avant qu’ils ne repartent, l’occasion d’en entendre un raconter qu’une armée du Nord commandée par Roose Bolton avait occupé le gué aux rubis du Trident. « S’il traverse, lord Tywin l’écrasera de nouveau, comme à la Verfurque », affirma un arbalétrier Lannister. Ses copains le descendirent en flammes. « Bolton traversera pas. Pas avant que le louveteau marche de Vivesaigues avec ses gus de la cambrousse et tous ces loups qu’y-z-ont. »

Elle ignorait que son frère se trouvât si près. Vivesaigues était beaucoup moins loin que Winterfell, mais de quel côté au juste par rapport à Harrenhal, là était le hic. J’arriverais toujours à le trouver, je sais que j’y arriverais, si seulement je pouvais filer. A l’idée de revoir Robb, elle s’en mordit la lèvre. Et je veux voir Jon aussi, et Bran et Rickon et Mère. Et même Sansa… Je l’embrasserai et la conjurerai comme une vraie dame, ça, elle aimera, de me pardonner.

Les caquets de la cour lui avaient appris qu’au sommet de la tour de l’Horreur étaient détenus une quarantaine d’hommes capturés au cours d’une bataille sur la Verfurque du Trident. En échange de leur parole de ne pas tenter de s’évader, la plupart s’étaient vu accorder la liberté de circuler dans le château. Ils ont juré de ne pas s’évader , se dit-elle, mais ils n’ont pas juré de ne pas seconder mon évasion.

Ils mangeaient à leur propre table dans la salle aux Cent Cheminées, et on les voyait souvent flâner du côté des lices. Armés de lattes et de boucliers de bois, quatre frères s’entraînaient chaque jour ensemble dans la cour aux Laves. C’étaient des Frey du Pont, trois légitimes et un bâtard. Mais leur séjour fut assez bref ; deux autres frères se présentèrent un matin sous bannière blanche, avec une cassette d’or pour payer la rançon des captifs aux chevaliers qui les avaient pris. Et les six Frey s’en furent de conserve…

Nul ne rachetait les hommes du Nord, en revanche. Inlassablement en quête d’un bout de gras, un patapouf de nobliau hantait les cuisines, l’avisa Tourte ; il avait une moustache tellement fourrée qu’elle lui masquait la bouche, et un trident de saphirs et d’argent agrafait son manteau. Lui appartenait à lord Tywin, alors que le farouche jouvenceau barbu qui, drapé dans un manteau noir constellé de soleils blancs, se plaisait à arpenter seul les chemins de ronde, s’était fait prendre par un minable chevalier qui comptait en tirer le prix fort. Sansa aurait su qui c’était, le patapouf aussi, mais emblèmes et titres avaient toujours barbé Arya. Elle, chaque fois que septa Mordane se mettait à déballer l’histoire de cette maison-ci, cette maison-là, son esprit tendait à dériver, rêvasser, bâiller – à quand la fin de la leçon… ?

Lord Cerwyn, en revanche, là, elle s’en souvenait. Vu la proximité de ses terres avec Winterfell, lui et son fils Cley étaient maintes fois venus en visite. Mais, comme par une malice exprès de la fatalité, il était précisément le seul des prisonniers que l’on ne vît jamais ; alité dans sa cellule, il se remettait de ses blessures. Durant des jours et des jours, elle se tortura les méninges pour inventer un stratagème qui lui permît de se faufiler jusqu’à lui malgré les plantons. En la reconnaissant, il serait tenu d’honneur de l’aider. Il devait avoir de l’or, tous ses pairs en avaient ; peut-être irait-il jusqu’à soudoyer tels des reîtres de lord Tywin pour la conduire à Vivesaigues. Père n’affirmait-il pas que, contre espèces bien sonnantes, la plupart des reîtres étaient prêts à trahir n’importe qui ?

Et puis, un matin, elle vit trois robes grises à coule – des sœurs du Silence – déposer dans leur carriole un cadavre cousu dans un manteau de soie magnifique armorié de la hache de guerre. Elle questionna l’un des gardes et apprit de lui que lord Cerwyn avait succombé. Cela lui fit l’effet d’un coup de pied au ventre. Il n’aurait pu t’aider, de toute façon, songea-t-elle, pendant que la carriole des sœurs franchissait la porte. Il n’a même pas pu s’aider lui-même, sotte de souris que tu es !

Il ne lui restait désormais plus qu’à retourner gratter, déguerpir, écouter aux portes. Lord Tywin allait bientôt marcher contre Vivesaigues. Fondre plutôt sur Hautjardin, dans le sud, ce qui surprendrait tout le monde. Non, il devait défendre Port-Réal, Stannis était l’adversaire le plus dangereux. Il avait expédié Gregor et Varshé démolir Roose Bolton, ce poignard levé sur ses arrières. Il avait envoyé des corbeaux aux Eyrié ; il voulait épouser la lady Lysa pour se gagner le Val. Il avait acheté une tonne d’argent pour forger des épées magiques qui égorgeraient ces zomans de Stark. Il était en train d’écrire à lady Stark pour faire la paix, le Régicide serait libéré sous peu.

Les corbeaux avaient beau aller et venir à longueur de jour, lord Tywin passait, lui, sous triples verrous, le plus gros de son temps avec son conseil de guerre. Arya ne fit que l’entr’apercevoir, et toujours de loin – arpentant les murs, une fois, en compagnie de trois mestres et du patapouf moustachu ; sortant a cheval, une autre, avec ses bannerets pour une visite des bivouacs ; mais encadré le plus souvent dans une baie de la galerie couverte et, debout, étreignant à deux mains le pommeau d’or de sa rapière, regardant s’entraîner les hommes dans la cour, en bas. Il passait pour aimer l’or par-dessus tout. « Même qu’il en chie » blagua devant elle un écuyer. Malgré son âge et sa calvitie, Lannister conservait, sous ses rudes favoris dorés, une allure vigoureuse. Quelque chose dans son visage, en dépit de traits absolument dissemblables, rappelait Père. La tête d’un seigneur, voilà tout. Un mot de Mère : « Prends donc ta tête de seigneur, Ned » – il avait à traiter quelque affaire importante –, lui revint en mémoire. Ainsi que les rires de Père. Impossible au contraire de s’imaginer lord Tywin en train de rire. Jamais ni de rien.