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— Treize, je dirais, lâcha Raff Tout-miel d’un ton languissant.

— Bof, treize ou dix-huit, ça la rend pas plus regardable, mais Eggon, qu’est bu, se met à vous la tripoter, moi aussi, p’t-être, je la palpe un peu, et v’là-t-y pas que Raff dit à Stilbois, “Tire-la en haut, qu’y dit, et fais-toi un homme”, manière de l’encourager. Qu’à la fin Joss lui fourre la main sous les jupes, et elle glapit, tombe sa cruche et fout son camp dans la cuisine. Ça aurait pu s’arrêter là, hein ? seulement, y fait quoi, le vieux fou, y trouve rien de mieux que s’en prendre à Ser, qu’y doit nous dire de laisser la fille tranquille, lui qu’est chevalier oint et patati et patata !

« Ser Gregor, nos petites blagues, il avait rien vu, mais, du coup, v’là qu’y regarde, comme vous savez qu’y fait, et y commande qu’on y amène la fille. Main’nant, le vieux, y faut qu’y la traîne de la cuisine, et y peut s’en prendre qu’à lui. Ser vous la toise, et y dit : “Alors, c’est ça, la putain pour qui tu te tracasses tellement ?”, et ce vieux abruti de fou qui dit : “Ma Layna n’est pas une putain, ser”, là, sous le nez de Gregor ! Ser, y bronche pas, juste y dit : “Maintenant, si”, y jette au vieux un autre écu d’argent, vous trousse la fille et hop ! vous la prend, là, sur la table, devant son pa’, sautant et ballant comme un lapin, ’vec tous les couinements. La gueule qu’y tirait, le vieux ! je rigolais tellement que ma bière me sortait du nez ! Ça attire alors le garçon, ce boucan, le fils, j’imagine, y se précipite du cellier, que Raff est obligé d’y foutre un poignard dans le ventre. Quand Ser a fini, y retourne boire, et on a not’ tour. Vu ses goûts, vous savez, Tobbot la retourne et enfile le mauvais chemin. Quand j’ l’ai eue, la fille se débattait plus, elle y avait p’t-être pris goût, après tout, quoique franchement j’aurais pas détesté qu’elle gigote un peu. Mais c’est pas le meilleur, tout ça… Quand la chose est faite, Ser dit au vieux : “Ma monnaie. La fille vaut pas un écu”, qu’y dit…, et, malédiction s’il a pas, le vioque, rendu sa poignée de liards en disant : “Pardonnez, m’sire” et “Merci pour votre pratique” ! »

L’auditoire rugit de joie, mais personne plus fort que Chiswyck lui-même, et si égayé par sa propre histoire que la morve lui dégoulinait depuis le pif jusqu’à ses picots gris de barbe. Tapie dans l’ombre du palier, Arya le regardait. Elle regagna furtivement les caves sans dire un mot. Lorsqu’il découvrit qu’elle n’avait pas accompli sa mission, Weese lui arracha ses braies et lui administra une bastonnade qui lui ensanglanta les cuisses, mais elle ferma les paupières et se répéta si bien les adages enseignés par Syrio qu’à peine sentit-elle la correction.

Deux soirs plus tard, Weese l’envoya servir les dîneurs dans la salle des Garnisaires. Munie d’un pichet de vin, elle s’employait a verser quand elle aperçut Jaqen H’ghar attablé devant son tranchoir dans un bas-côté. En mâchouillant sa lèvre, elle jeta un regard circulaire pour s’assurer que Weese n’était pas en vue. La peur est plus tranchante qu’aucune épée , se récita-t-elle.

Elle avança d’un pas, d’un autre, et chacun lui donnait l’impression qu’elle était moins une souris. Vaille que vaille, elle longea le banc, tout en remplissant les coupes de vin. Rorge occupait la droite de Jaqen mais, ivre mort, ne la remarqua même pas. Elle se pencha vers Jaqen et lui souffla dans le tuyau de l’oreille : « Chiswyck », sans qu’il manifestât d’aucune manière avoir entendu.

Une fois son pichet vide, elle se précipita aux celliers pour l’emplir au tonneau puis retourna promptement servir. Personne n’était mort de soif entre-temps, ni ne s’était seulement avisé de sa brève absence.

Rien n’arriva le lendemain ni le jour suivant mais, le troisième, elle accompagna Weese aux cuisines pour en rapporter le dîner. « L’un des hommes de la Montagne est tombé comme un idiot du chemin de ronde et s’est rompu le col, annonça Weese à un cuistot.

— Bourré ?

— Pas plus que d’habitude. Y en a qui disent que c’est le fantôme d’Harren qui l’a balancé en bas. » Un reniflement exprima ce que lui pensait de pareilles foutaises.

Ce n’était pas Harren, eut-elle envie de dire, c’est moi. Elle avait tué Chiswyck d’un souffle, et elle en tuerait deux autres avant d’être quitte. Je suis le fantôme d’Harrenhal, pensa-t-elle. Et, cette nuit-là, il y eut un nom de moins à haïr.

CATELYN

Champignons grisâtres et troncs d’arbres couchés parsemaient la prairie où devait se tenir la rencontre. Personne en vue.

« Nous sommes les premiers, madame », assena Mollen comme ils immobilisaient leurs montures parmi les souches, à mi-distance des deux armées. Au bout de sa lance palpitait, clapotait la bannière au loup-garou de la maison Stark. Bien que la mer fut invisible, les bouffées saumâtres du vent d’est qui vous fustigeaient le visage la révélaient toute proche.

Devant les coupes sombres pratiquées par les pionniers de Stannis Baratheon afin de monter catapultes et tours de siège, Catelyn tenta d’évaluer l’ancienneté du bosquet. Avait-il abrité sous ses ombrages le repos de Ned, quand celui-ci s’était rué vers le sud pour débloquer Accalmie ? Une grande victoire que celle-là… D’autant plus grande que remportée sans effusion de sang.

Puissent les dieux m’accorder la même , pria-t-elle. Une démence, aux yeux de ses propres gens, que d’être seulement venue. « Cette guerre n’est pas la nôtre, madame, avait opiné ser Wendel Manderly. Le roi serait assurément furieux de voir sa mère s’exposer.

— Exposés, nous le sommes tous, répliqua-t-elle, avec peut-être trop d’âpreté. Croyez-vous que cela m’amuse, d’être ici, ser ? » Ma place est à Vivesaigues, au chevet de Père, et à Winterfell, auprès de mes fils. « Robb m’a envoyée le représenter dans le sud, et je l’y représenterai. » Amener les deux frères à faire la paix ne serait certes pas chose aisée, mais le bien du royaume exigeait qu’elle s’y efforce.

Par-delà crêtes rocheuses et champs détrempés s’apercevait, cabrée contre le ciel et le dos à la mer, la puissante silhouette grise d’Accalmie. Sa masse de pierre donnait aux troupes massées tout autour l’air dérisoire de mulots munis de petits fanions.

A en croire les chansons, la forteresse avait été jadis édifiée par Durran, premier roi de l’Orage, qui s’était fait aimer de la belle Elenei, fille du dieu des mers et de la déesse des vents. En renonçant son pucelage, la nuit des noces, en faveur d’un mortel, Elenei s’était condamnée à mourir comme une mortelle et, leur deuil se changeant en fureur, ses parents déchaînèrent si bien lames et rafales à l’assaut du fort que frères, amis du marié, convives, tout périt écrasé sous la ruine des murs ou noyé par les flots, tout hormis Durran que surent préserver les enlacements de sa femme et qui, lorsqu’enfin se leva l’aurore, jura de rebâtir et déclara la guerre aux dieux.