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Une fois prête, elle prit la gauche du Limier pour s’épargner la vue des brûlures qui le défiguraient. « Dites-moi quel mal j’ai pu faire… ?

— Pas vous. Votre roi de frère.

— Robb est un traître. » Elle récitait comme un automate. « Je n’ai pris aucune part à ses agissements. » Bonté divine ! pourvu qu’il ne s’agisse pas du Régicide… Que Robb eût touché à Jaime Lannister, c’en était fait d’elle. Elle revit le maigre visage grêlé de ser Ilyn et l’implacable fixité de ses terribles prunelles pâles.

Le Limier renifla. « On t’a bien entraîné, petit oiseau. » Dans la courtine inférieure où il la mena s’étaient massés, autour des buttes de tir à l’arc, des tas de gens qui s’écartèrent pour leur livrer passage. Elle entendit tousser lord Gyles. Des garçons d’écurie rôdaient par là, qui la dévisagèrent effrontément, mais ser Horas Redwyne se détourna dès qu’il l’aperçut, et son frère, Hobber, affecta de ne pas la voir. Les reins transpercés par un carreau d’arbalète, un chat jaune agonisait avec des miaulements navrants sur le terrain. Sansa le contourna, prise de haut-le-cœur.

A califourchon sur son canasson de bruyère, ser Dontos s’approcha d’elle ; depuis que l’ivresse l’avait empêché d’enfourcher son destrier de joute, le roi l’obligeait à n’aller que monté. « Courage », chuchota-t-il en lui pressant le bras.

Campé au centre de la foule, Joffrey tripotait une arbalète de parade. Ser Boros et ser Meryn se trouvaient avec lui. Leur seule vue suffit à nouer les tripes de Sansa.

« Sire. » Elle tomba à ses genoux.

« Vous agenouiller ne sert plus à rien, dit le roi. Debout. Vous êtes ici pour répondre des derniers forfaits de votre frère.

— Quelque crime qu’ait put perpétrer mon félon de frère, Sire, je n’en ai pas été complice. Vous le savez, pitié, je vous en conjure…

— Relevez-la ! »

Le Limier la remit sur pied, sans la rudoyer.

« Ser Lancel, reprit Joffrey, informez-la de l’outrage qui nous est fait. »

Elle avait toujours vu en Lancel Lannister un jeune homme amène et courtois, mais le regard qu’il lui décocha ne témoignait ni compassion ni bienveillance. « Grâce à quelque infâme diablerie, votre frère et une armée de zomans ont, à moins de trois journées de Port-Lannis, fondu sur ser Stafford Lannister. Sans seulement pouvoir tirer l’épée, des milliers de braves ont été massacrés durant leur sommeil. Après ce carnage, les hommes du Nord se sont repus de la chair des cadavres. »

Telles des mains glacées, l’horreur étrangla Sansa.

« Qu’avez-vous à dire ? demanda Joffrey. Rien ?

— Sire, murmura ser Dontos, le choc l’a privée de ses esprits. La pauvre enfant…

— Silence, bouffon ! » Joffrey leva son arbalète et la pointa sur le visage de Sansa. « Vous autres Stark êtes aussi monstrueux que vos maudits loups. Je n’ai pas oublié comment votre fauve m’a saccagé.

— C’était le loup d’Arya, dit-elle. Lady ne vous avait fait aucun mal, et vous l’avez néanmoins tuée.

— Pas moi, votre père, répliqua-t-il, mais j’ai bien tué votre père. Que ne l’ai-je fait de mes propres mains. J’ai tué un homme plus grand que votre père, la nuit dernière. Des misérables assaillaient la porte et réclamaient du pain en gueulant mon nom comme si j’étais boulanger… ! Je leur ai montré, moi. J’ai crevé la gorge du plus gueulard.

— Et il est mort ? » Lorgnée comme elle était par la hideuse pointe de fer du carreau, elle ne trouva rien d’autre à dire dans sa cervelle.

« Evidemment qu’il est mort ! il avait mon carreau fiché dans la gorge… Une bonne femme jetait des pierres, et je l’ai eue aussi, mais seulement au bras. » D’un air renfrogné, il abaissa l’arbalète. « Je vous descendrais bien aussi, mais Mère affirme qu’on tuera mon oncle Jaime, si je le fais. Aussi me contenterai-je de vous châtier, puis nous aviserons votre frère de ce qui vous pend au nez s’il ne se rend pas. Frappe-la, Chien.

— Laissez-moi la battre ! » Ser Dontos se poussa de l’avant, dans son armure tintinnabulante de fer-blanc. Il brandissait une plommée dont la tête n’était qu’un melon. Mon Florian. Elle l’aurait embrassé, malgré veines éclatées, rougeurs et tout et tout. Tout en décrivant au trot de son balai des cercles autour d’elle, il beuglait : « Traître ! traître ! », et lui martelait la tête avec le melon. Elle se protégeait vaille que vaille avec ses mains, titubait chaque fois que l’atteignait le fruit, les cheveux gluants dès le second coup. Les gens rigolaient. Le melon finit par voler en pièces. Ris, Joffrey, pria-t-elle, tandis que le jus lui dégoulinait le long de la figure et maculait le devant de sa robe en soie bleue. Ris, et sois satisfait.

Il n’émit pas même un ricanement. « Boros ? Meryn ? »

Ser Meryn Trant empoigna par le bras le fou rubicond et l’écarta si brutalement qu’il l’envoya mordre la poussière avec balai, melon et tout le reste. Ser Boros saisit Sansa.

« Pas au visage, commanda Joffrey. J’aime qu’elle soit jolie. »

En la percutant au creux de l’estomac, le poing de Boros lui coupa le souffle et la plia en deux, mais le chevalier la rattrapa par les cheveux, tira l’épée. Durant une abominable seconde, elle eut la certitude qu’il allait lui trancher la gorge, mais le plat de la lame lui cingla les cuisses, et si violemment qu’elle crut ses jambes brisées. Elle poussa un cri. Les larmes inondèrent ses yeux. Ce sera bientôt terminé. Elle ne perdit bientôt que le compte des coups.

« Assez », entendit-elle. Le timbre râpeux du Limier.

« Pas du tout, répliqua le roi. Boros, déshabille-la. »

Boros porta une main viandue sur le corsage de Sansa et l’arracha d’une seule traction. La soie se déchira tout du long, la dénudant jusqu’à la taille. Elle se couvrit la poitrine à deux mains. Des ricanements lui parvinrent, lointains et féroces. « Fouettez-la au sang, dit Joffrey, nous verrons si son frère apprécie…

— Que signifie ? »

La voix du Lutin claqua comme un fouet, et Sansa se retrouva libre, subitement. Elle s’affaissa sur ses genoux, les bras croisés sur la poitrine, et à bout de souffle. « Est-ce là votre conception de la chevalerie, ser Boros ? » demanda Tyrion Lannister d’un ton furibond. Son reître favori se tenait près de lui, ainsi que l’un de ses barbares, l’homme à l’œil brûlé. « Quelle espèce de chevalier rosse les filles sans défense ?

— L’espèce qui sert son roi, Lutin. » Ser Boros leva son épée, ser Meryn vint le flanquer tout en dégainant à son tour.

« Mollo, vous deux, avertit le reître. Serait fâcheux d’éclabousser de sang ces jolis manteaux blancs.

— Qu’on donne à la petite de quoi se couvrir », dit le nain. Sandor Clegane dégrafa son manteau et le jeta à Sansa qui l’appliqua contre sa poitrine, les poings crispés dans la laine blanche. Tout urticant qu’était sur sa peau le grain de la trame, jamais velours ne lui avait paru si moelleux.

« Cette petite est censée devenir ta reine, dit le Lutin à Joffrey. Son honneur t’importe-t-il si peu ?

— Je suis en train de la punir.

— De quel crime ? Elle n’a pris aucune part à la bataille de son frère.

— Elle a un sang de loup.

— Et toi une cervelle d’oie.

— Vous ne pouvez me parler sur ce ton. Le roi est libre de faire ce qui lui plaît.

— Aerys Targaryen fit ce qui lui plaisait. Ta mère ne t’a jamais conté ce qui lui arriva ?

— Nul ne menace impunément Sa Majesté, grognonna ser Boros Blount, en présence de la Garde. »