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— Mon amour pour Sa Majesté est plus grand qu’il ne fut jamais. »

Le Lutin s’esclaffa bruyamment. « Eh bien ! quelqu’un vous a bien appris à mentir… Vous lui en saurez peut-être gré, un jour ou l’autre, mon enfant. Car vous êtes encore une enfant, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas déjà fleuri, si ? »

Elle rougit. C’était une question triviale, mais la honte d’avoir été mise à nu devant la moitié du château la rendait comme insignifiante. « Non, messire.

— Tant mieux. Si cela peut vous consoler, je n’ai nullement l’intention de vous voir jamais épouser Joffrey. Aucun mariage ne réconciliera Stark et Lannister après ce qui s’est passé, je crains. Et c’est grand dommage. Cette union était l’une des meilleures idées du roi Robert. Et il a fallu que Joffrey gâche tout… »

Elle aurait dû dire quelque chose, elle le savait, les mots ne purent sortir de sa gorge.

« Vous voici bien silencieuse, observa Tyrion Lannister. C’est bien ce que vous désirez ? La rupture de vos fiançailles ?

— Je… » Elle ne savait que dire. Est-ce une ruse ? Me punira-t-il si je dis la vérité ? Elle détailla, éperdue, la brutale protubérance du front, la dureté de l’œil noir, la perspicacité du vert, les dents crochues, la barbe en paille de fer… « Je n’ai qu’un désir, me montrer loyale.

— Loyale…, rêva-t-il, et à cent lieues de tous les Lannister. Je ne saurais guère vous en blâmer. Quand j’avais votre âge, je n’aspirais moi-même qu’à cela. » Il sourit. « On me dit que vous vous rendez chaque jour dans le bois sacré. Que demandez-vous dans vos prières, Sansa ? »

La victoire de Robb et la mort de Joffrey…, et puis la maison Winterfell. « La fin de la guerre.

— Nous l’aurons tôt ou tard. Une autre bataille aura lieu, qui opposera votre frère au seigneur mon père, et cela scellera le sort. »

Robb le battra, songea-t-elle. Il a battu votre oncle et votre frère, il battra votre père aussi.

Aussi aisément que si son visage avait été un livre ouvert, le nain y lut ses espérances. « Ne prenez pas Croixbœuf trop au sérieux, madame, avertit-il sans marquer la moindre agressivité. Une bataille n’est pas la guerre, et mon seigneur de père n’est assurément pas mon Stafford d’oncle. Lors de votre prochaine visite dans le bois sacré, priez que votre frère ait la sagesse de ployer le genou. Une fois que le royaume aura réintégré la paix du roi, je vous renverrai chez vous. » Un petit saut lui fit quitter la banquette de la fenêtre, et il ajouta : « Vous pouvez dormir ici, cette nuit. Je chargerai quelques-uns de mes hommes de veiller sur vous – des Freux, peut-être…

— Non ! » s’écria-t-elle, consternée. Si on l’enfermait dans la tour de la Main sous pareille garde, comment ser Dontos la subtiliserait-il jamais pour la délivrer ?

« Préféreriez-vous des Oreilles Noires ? Je vous donnerai Chella, si vous vous sentez plus à l’aise avec une femme…

— Non, messire, par pitié, ces sauvages me terrifient ! »

Il s’épanouit. « Moi aussi. Mais, bien mieux encore, ils terrifient Joffrey et ce nid de vipères sournoises et de chiens lécheurs qu’il appelle sa Garde. Avec Timett ou Chella près de vous, nul n’oserait vous donner une pichenette.

— Je préférerais coucher dans mon propre lit. » Un mensonge lui traversa brusquement l’esprit, et il semblait si pertinent qu’elle le débita d’une seule traite. « C’est dans cette tour qu’ont été tués les gens de mon père. Leurs fantômes me donneraient des rêves épouvantables, et je verrais du sang partout. »

Tyrion Lannister la scruta longuement. « Les cauchemars ne me sont pas étrangers, Sansa. Peut-être êtes-vous plus avisée que je ne croyais. Permettez-moi du moins de vous faire escorter saine et sauve jusqu’à vos appartements personnels. »

CATELYN

Ils n’atteignirent le village qu’à la nuit noire, et Catelyn se surprit à se demander s’il avait un nom. Si oui, ses habitants en avaient emporté le secret dans leur fuite, avec tout ce qu’ils possédaient, cierges du septuaire inclus. Ser Wendel embrasa une torche et ouvrit la marche.

Franchi le seuil – il fallait se baisser – les sept murs de l’oratoire se révélèrent lézardés, pochés. De même que ses sept murs n’empêchent point le septuaire d’être un seul et unique édifice, avait-elle appris dans son enfance de septon Osmynd, de même, Dieu est un sous sept aspects divers. Les riches septuaires urbains possédaient des statues des Sept, chacune honorée de son propre autel. A Winterfell, septon Chayle accrochait aux parois leurs masques sculptés. Ici ne se voyaient que grossiers dessins au charbon. Après avoir fiché la torche dans une applique près de la porte, ser Wendel sortit rejoindre Robar Royce.

Catelyn examina les figures. Le Père était barbu, conformément à la tradition. La Mère souriait, aimante et tutélaire. Son épée sommaire identifiait le Guerrier, son marteau le Ferrant. La Jouvencelle était belle, l’Aïeule aussi ridée que sage.

Quant à l’Etranger…, il n’était ni mâle ni femelle mais androgyne, l’éternel proscrit, l’errant venu de contrées lointaines, plus et moins qu’humain, inconnu et inconnaissable. Ici réduite à un ovale noir, sa face ténébreuse avait pour tous yeux des étoiles. Catelyn en éprouva un sentiment de malaise peu compatible avec le réconfort escompté des lieux.

Elle s’agenouilla devant la Mère. « Daigne poser sur ceux qui vont s’affronter, Dame, un regard maternel. Tous sont des fils, et chacun d’eux. Epargne-les, si tu le peux, épargne mes fils aussi. Veille sur Robb, sur Bran et sur Rickon. Puissé-je être avec eux. »

Une fissure qui lui courait le long de l’œil gauche donnait à la Mère un air éploré. Au-dehors s’entendaient la voix retentissante de ser Wendel et, par intermittence, les répliques discrètes de ser Robar ; ils discutaient de la bataille du lendemain. Hormis cela, muette était la nuit. Sans même un chant de grillon. Et les dieux toujours silencieux. Tes anciens dieux te répondaient-ils jamais, Ned ? T’entendaient-ils, agenouillé devant ton arbre-cœur ?

Les flammes de la torche animaient les murs d’ombres dansantes qui, tordant et modifiant leurs traits, donnaient aux faces un air à demi vivant. Les statues des grands septuaires urbains n’arboraient jamais pour visages que le choix de chaque sculpteur, alors que par leur rusticité même ces barbouillages représentaient n’importe qui. La figure du Père évoquait Père agonisant à Vivesaigues. Celle du Guerrier Stannis et Renly, Robb et Robert, Jaime Lannister, Jon Snow. Et même Arya…, l’espace d’une seconde. Avant que, se ruant par la porte, une bouffée de vent ne fasse crépiter la torche et ne disperse la ressemblance et ne l’efface en une explosion de lumière orange.

La fumée lui brûlait les yeux. Du dos de ses mains couturées de cicatrices, elle se les frotta. Et quand elle reporta son regard vers la Mère, c’est Mère qu’elle vit là. Lady Minisa Tully, morte en couches du second fils qu’elle donnait à lord Hoster. L’enfant ne lui avait pas survécu, et la vitalité s’était peu à peu retirée de Père. Elle était si calme, toujours, songea-t-elle, troublée par le souvenir des mains douces et du sourire chaleureux. Elle là, quelle existence différente nous aurions eue… ! Comment réagirait lady Minisa, se demanda-t-elle, en voyant ici, à genoux devant elle, sa fille aînée ? J’ai parcouru des milliers et des milliers delieues, et pour quel résultat ? Qui ai-je servi ? J’ai perdu mes filles, Robb ne veut pas de moi, Bran et Rickon doivent me prendre pour une mère sans cœur et dénaturée, je n’étais pas même à ses côtés lorsque Ned est mort…