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« Cette éminence sera facile à défendre, au besoin », souligna Thoren qui, menant son cheval par la bride, examinait le rempart circulaire. La bise fustigeait son manteau bordé de martre zibeline.

« Oui, ça ira. » Mormont leva une main vers le vent, et les griffes du corbeau qui vint atterrir sur son avant-bras en égratignèrent la maille noire.

« Et l’eau, messire ? demanda Jon.

— Nous avons traversé un ruisseau, en bas.

— Une longue trotte, et rude, objecta Jon, pour boire un coup. Et hors les murs.

— Trop flemmard pour grimper, mon gars ? » grimaça Thoren.

En entendant Mormont décréter : « Nous ne saurions trouver de position plus forte. On charriera suffisamment d’eau pour être sûr de n’en pas manquer », Jon comprit qu’il serait vain de discuter. Ainsi les frères de la Garde de Nuit reçurent-ils l’ordre de s’installer dans l’ancienne citadelle des Premiers Hommes. Tels champignons après l’averse y poussèrent des tentes noires, et la terre nue s’en tapissa de couvertures et de paquetages. Après les avoir entravées par longues rangées, les tringlots s’employèrent à nourrir et abreuver les bêtes. Les forestiers s’égaillèrent, armés de leurs cognées, dans le jour déclinant, pour récolter le bois nécessaire à entretenir les feux toute la nuit. Une fois débroussaillé le terrain, une escouade du génie entreprit de creuser les feuillées, déballer les bottes de pieux durcis au feu. « D’ici à la nuit, je veux voir la moindre ouverture de l’enceinte hérissée de pointes et munie d’un fossé », telles étaient les directives du Vieil Ours.

Quand il eut dressé la tente du lord Commandant et pansé les chevaux, Jon repartit en quête de Fantôme et le vit reparaître en silence presque instantanément. A peine, une seconde avant, foulait-il à longues enjambées, seul dans la forêt, les pignes et les feuilles mortes en sifflant et appelant qu’une seconde après trottinait à ses côtés, pâle comme brume matutinale, le grand loup-garou.

Aux abords du mur, toutefois, Fantôme renâcla derechef. Il alla bien, d’un pas des plus circonspect, flairer la brèche mais recula aussitôt, comme si ce qu’il sentait ne lui plaisait pas. Jon essaya de la lui faire franchir à bras le corps en l’empoignant par la peau du cou, tâche malaisée car, à poids égal, le loup se montrait autrement plus fort. « Qu’y a-t-il, Fantôme ? » Jamais il ne l’avait vu manifester pareille anxiété. Elle le contraignit finalement à renoncer. « A ta guise, lui dit-il. Va donc chasser. » Les prunelles rouges ne le lâchèrent pas qu’il n’eût disparu derrière les pierres moussues.

On serait en sécurité, là-dedans. La butte commandait de tous côtés le site, et ses pentes, vertigineuses à l’ouest et au nord, étaient à peine plus douces à l’est. Mais, au fur et à mesure que l’ombre qui s’épaississait creusait des puits de ténèbres entre les frondaisons, les lugubres pressentiments de Jon s’aggravaient. Nous nous trouvons au cœur de la forêt hantée, se répétait-il. Peut-être y a-t-il des spectres, ici. Les esprits des Premiers Hommes. Cette forteresse leur appartenait, jadis.

« Arrête de faire le gosse ! » s’intima-t-il. Il grimpa se percher sur l’antique muraille et porta ses regards en direction du soleil couchant. Le brusque coude que faisait la Laiteuse vers le sud avait des scintillements d’or martelé. En amont, la région se faisait plus accidentée, la jungle s’entrebâillait, au nord et à l’ouest, sur des chapelets d’éminences rocheuses dont la nudité accentuait l’aspect farouche et à pic. Sur l’horizon gris-bleu, les montagnes déployaient comme une ombre immense et peu à peu évanouie leur succession de plans divers et les neiges éternelles de leurs cimes déchiquetées. Elles vous faisaient, même de si loin, l’effet de géantes hostiles et glacées.

Plus près, les arbres régnaient sans partage. Au sud comme à l’est, la forêt prolongeait à perte de vue ses enchevêtrements prodigieux de racines et de branches et ses mille nuances de vert ponctuées çà et là par la pourpre d’un barral émergeant des vigiers et des pins ou par le flamboiement jaune de quelque feuillu touché par l’automne. Au moindre souffle, Jon en entendait mugir et craquer les ramures infiniment plus âgées que lui. Leurs myriades de feuilles se soulevaient en un instant, tel un sombre océan de verdure gonflé, battu par la tempête, éternel et inconnaissable.

Pas le genre de Fantôme de rester seul là-dedans, se disait-il. N’importe quoi pouvait se déplacer sous cette houle infinie, n’importe quoi pouvait ramper sous le couvert et, invisible dans les ténèbres, approcher du fort. N’importe quoi. Sans qu’on s’en doutât seulement. Quant à savoir quoi… Il ne quitta son poste qu’après que le soleil eut sombré derrière les montagnes en dents de scie et la poix commencé d’engluer la forêt.

« Jon ? le héla Samwell Tarly. Il me semblait bien que c’était toi. Ça va ?

— Pas mal. » Il sauta à terre. « Comment s’est passée ta journée ?

— Bien. J’ai bien tenu le coup. Vraiment. »

Jon n’allait pas lui faire part de son malaise, surtout maintenant que le courage finissait par venir au malheureux couard. « Le Vieil Ours compte attendre ici Qhorin Mimain et les hommes de Tour Ombreuse.

— La place a l’air forte, dit Sam. Une citadelle des Premiers Hommes. Tu crois que des batailles se sont déroulées ici ?

— Sûrement. Tu feras bien de préparer un oiseau. Mormont va vouloir donner des nouvelles.

— Si je pouvais les expédier tous… Ils détestent vivre en cage.

— Tu détesterais toi aussi, si tu pouvais voler.

— Si je pouvais voler, je retournerais à Châteaunoir me farcir une tourte au porc », dit-il, ce qui lui valut une bourrade sur l’épaule. Pendant qu’ils traversaient ensemble le camp, des feux s’allumaient un peu partout. Au firmament se levaient les premières étoiles, et la queue rouge de la Torche de Mormont brûlait d’un éclat aussi vif que la lune. Jon entendit piailler les corbeaux dès avant de les voir. Certains prononçaient son nom. L’occasion de faire du boucan ne les trouvait jamais timorés.

Eux aussi le sentent. « Autant que j’aille tout de suite chez le Vieil Ours. La faim le rend tapageur comme eux. »

Mormont devisait avec Thoren Petibois et six autres de ses officiers. « Ah, te voilà ! dit-il d’un ton bourru. Tu serais bien aimable de nous servir du vin chaud. La nuit est froide.

— Oui, messire. » Après avoir bâti le foyer, il alla aux magasins demander un petit baril du rouge corsé que préférait le Vieil Ours, emplit la bouilloire, la suspendit au-dessus des flammes et s’occupa de réunir les ingrédients nécessaires au breuvage. A cet égard, Mormont se montrait des plus pointilleux. Tant de cinname et tant de muscade et tant de miel, mais pas une once de plus ou de moins. Des raisins, des baies secs, des noix, mais de citron – le comble de leurs hérésies, dans le sud ! – point, ce qui ne laissait pas que d’être bizarre, de la part de quelqu’un qui citronnait toujours sa bière du matin. Le tout brûlant, pour bien réchauffer son homme, spécifiait-il à satiété, mais sans avoir jamais toléré la moindre apparence d’ébullition. Aussi Jon ne quittait-il pas la bouilloire des yeux.

Tout en travaillant, il percevait la conversation qui se poursuivait sous la tente. « Pour accéder aux Crocgivre, disait Jarman Buckwell, le plus facile est de remonter la Laiteuse jusqu’à sa source. Mais, si nous passons par là, Rayder sera informé de notre approche. Aussi sûr et certain que le soleil se lève.