Выбрать главу

— La Chaussée du Géant pourrait suppléer, opina ser Mallador Locke, ou le col Museux, s’il est libre. »

Le vin fumait. Jon retira la bouilloire du feu, emplit huit coupes et les emporta sous la tente. Le Vieil Ours examinait la carte dressée par Sam chez Craster. Il préleva une coupe sur le plateau que lui présentait Jon, y trempa ses lèvres, hocha sèchement son approbation. Le corbeau dévala en sautillant le long de son bras. « Grain ! quémanda-t-il, grain ! grain ! »

Ser Ottyn Wythers refusa le vin d’un geste. « Pour ma part, je me garderais d’entrer du tout dans les montagnes, dit-il d’une voix monocorde et lasse. Déjà que, l’été, ça mord sec, dans les Crocgivre, à cette époque-ci…, si nous nous trouvions pris dans une tempête…

— Je n’envisage de m’y risquer qu’en cas de nécessité, repartit Mormont. Les sauvageons ne peuvent pas plus que nous vivre de roches et de congères. Ils ne tarderont pas à sortir de leur perchoir, et la seule route qu’une troupe quelque peu conséquente puisse emprunter longe la Laiteuse. Dans ce cas, nous nous trouvons ici en position de force. Il leur est impossible de nous glisser entre les doigts.

— Telle n’est peut-être pas leur intention. Ils sont des milliers, et nous ne serons que trois cents lorsque Mimain nous aura rejoints. » Ser Mallador accepta une coupe.

« Si l’on en vient à se battre, aucun terrain ne nous serait plus favorable, affirma Mormont. Nous renforcerons les défenses. Fosses et piques, chausse-trapes éparpillées sur les versants, brèches réparées. Et tes meilleurs guetteurs, Jarman. En cercle tout autour de nous et répartis sur les berges de la rivière, de manière que toute approche nous soit signalée. Tu les dissimuleras soigneusement à la fourche des arbres. Autant, par ailleurs, constituer dès à présent des réserves d’eau supérieures à nos besoins. On creusera des citernes. A toutes fins utiles pour la suite et pour maintenir, d’ici là, les hommes occupés.

— Mes patrouilleurs…, commença Thoren Petibois.

— Tes patrouilleurs ne patrouilleront que sur cette rive jusqu’à l’arrivée de Mimain. Ensuite, nous verrons. Je ne veux pas perdre d’autres hommes.

— Mais si Mance Rayder est en train de masser ses troupes à une journée d’ici ? gémit Thoren, nous n’en saurons rien…

— Nous savons où s’opère le regroupement, riposta Mormont. Craster a été formel. Et, malgré mon peu de goût pour lui, je ne crois pas qu’il nous ait menti sur ce point.

— Soit », concéda Petibois d’un air maussade en se retirant. Avant de prendre congé à leur tour, mais plus poliment, les autres achevèrent leur vin.

« Souhaitez-vous dîner maintenant, messire ? s’enquit Jon.

— Grain ! » glapit le corbeau. Mormont, lui, ne répondit pas tout de suite. Et, lorsqu’il reprit la parole, ce fut simplement pour demander : « Ton loup a trouvé du gibier, aujourd’hui ?

— Il n’est pas encore de retour.

— Serait bienvenu, de la viande fraîche. » Il puisa dans un sac une poignée de grain qu’il offrit à l’oiseau. « A ton avis, j’ai tort de retenir les patrouilles dans le coin ?

— Il ne m’appartient pas d’en juger, messire.

— Sauf si je t’en prie.

— Ce n’est pas en restant dans les parages immédiats du Poing qu’elles peuvent se targuer de retrouver mon oncle, j’imagine.

— Non. » Le corbeau picorait dans sa paume. « Deux cents hommes ou dix mille, le pays est trop vaste. » Une fois sa main vide, il la retourna.

« Vous n’abandonneriez pas les recherches ?

— Mestre Aemon te trouve intelligent. » Mormont repoussa le corbeau vers son épaule. L’œil étincelant, celui-ci pencha la tête de côté.

La réponse finit par venir. « Il est… – il me semble qu’il devrait être plus facile à un homme d’en trouver deux cents qu’à deux cents d’en retrouver un. »

Le corbeau poussa comme un ricanement, mais le Vieil Ours sourit dans sa barbe grise. « Un si grand nombre d’hommes et de chevaux laissent une trace que mestre Aemon lui-même pourrait suivre. En haut de cette butte, nos feux doivent se distinguer jusqu’aux contreforts des Crocgivre. Si Ben Stark est en vie et libre, il ne manquera pas de nous rejoindre.

— Oui, dit Jon, mais si… s’il…

— … est mort ? » acheva Mormont, sans aucune agressivité.

A contrecœur, Jon acquiesça d’un signe.

« Mort ! fit écho le corbeau, mort ! mort !

— Il peut encore nous rejoindre, de toute façon, conclut le Vieil Ours. Comme l’ont fait Jafer Flowers et Othor. Je le redoute autant que toi, Jon, mais force est d’admettre cette éventualité.

— Mort ! croassa le corbeau, plumes ébouriffées, d’une voix de plus en plus forte et stridente, mort ! »

Mormont lissa le noir plumage puis, d’un revers de main, étouffa un bâillement subit. « Je vais sauter le dîner, je pense. Le repos sera plus réparateur. Réveille-moi dès le point du jour.

— Dormez bien, messire. » Il ramassa les coupes vides et sortit. Au loin s’entendaient des rires et les accents plaintifs de la cornemuse. Au centre du camp brasillait un grand feu d’où provenait un fumet de ragoût qui mijote. Jon se glissa de ce côté-là. Si le Vieil Ours n’avait pas faim, lui si.

Dywen pérorait, cuillère au poing. « Je connais ces bois mieux qu’âme qui vive et, je vous le dis, toujours pas moi qui m’y aventurerais seul, cette nuit. Le sentez pas, vous ? »

Grenn en avait les yeux comme des soucoupes, mais Edd-la-Douleur objecta : « Rien d’autre que le crottin de deux cents chevaux. Puis c’te tambouille. Qu’exhale un arôme aussi ragoûtant, maintenant que je la renifle.

— T’en foutre un coup, moi, d’arôme aussi ragoûtant… ! » Hake tapota son poignard. Toujours grommelant, il emplit le bol de Jon directement dans la marmite.

Gluant d’orge et mêlé de carottes et d’oignons, le rata recelait de vagues lanières de bœuf salé qu’avait assouplies la cuisson.

« Mais tu sens quoi, Dywen ? » demanda Grenn.

Le forestier suçota sa cuillère un moment. Il avait ôté son dentier. Sa face était ridée comme du vieux cuir, ses mains aussi noueuses que des racines antédiluviennes. « Ça sent comme qui dirait…, ben…, froid.

— En bois, que t’as la tête, comme les ratiches ! lui lança Hake. Ça sent rien, le froid. »

Que si, songea Jon, fort de l’expérience qu’il en avait faite chez lord Mormont, la fameuse nuit. Ça sent la mort. Il n’avait plus faim, du coup. Il refila sa platée à Grenn, manifestement avide de rab qui le réchauffe contre la nuit.

Une bise frisquette soufflait quand il s’éloigna. La terre en serait toute blanche, au matin, les cordes des tentes raidies par le gel. Au fond de la bouilloire clapotaient quelques doigts de vin épicé. Il rajouta du bois pour relancer le feu et la suspendit sur les flammes. En attendant que le grog se réchauffe, il s’exerça à ployer, déployer ses doigts jusqu’à y éprouver des fourmillements. Tout autour du camp veillaient les premières sentinelles. Pas de lune, mais des milliers d’étoiles.

Du fin fond des ténèbres monta brusquement, lointain, presque imperceptible mais reconnaissable entre tous, le hurlement des loups. Leurs voix qui s’élevaient, retombaient en un chant solitaire et glacé hérissèrent la nuque de Jon. Il aperçut dardées sur lui, dans l’ombre, par-delà le feu, des prunelles rouges où se reflétaient les flammes.

« Fantôme…, souffla-t-il, surpris. Alors, tu as quand même fini par entrer, hein ? » Comme le loup blanc chassait souvent toute la nuit, il ne s’était pas attendu à le revoir avant l’aurore. « Mauvaise à ce point, la chasse ? demanda-t-il. A moi, Fantôme, ici. »