Rickon se pendit à la robe du mestre. « Est-ce qu’il revient ?
— Pas pour l’instant, je crains. Il lui faudra d’abord livrer de nouvelles batailles.
— Qui a-t-il battu ? demanda Bran, lord Tywin ?
— Non. Ser Stafford Lannister. Qui a été tué durant le combat. »
Comme le nom de ser Stafford ne lui disait strictement rien, Bran se trouva d’accord avec Grand-Walder quand celui-ci lâcha : « Lord Tywin est le seul qui compte.
— Dites-le à Robb, je veux qu’il revienne ! reprit Rickon. Il n’a qu’à ramener son loup, et Mère, et Père. » Tout en sachant pertinemment que Père était mort, il lui arrivait de l’oublier… – exprès, subodorait Bran. Car il était aussi têtu que peut l’être un mioche de quatre ans.
Malgré la joie que lui causait la victoire de Robb, Bran, lui, n’en demeurait pas moins anxieux. Les propos tenus par Osha – Il part du mauvais côté –, le jour même où son frère avait quitté Winterfell à la tête de son armée, continuaient à le hanter.
« Par malheur, toute victoire se paie. » Mestre Luwin se tourna vers les Walder. « Votre oncle ser Stevron, messires, est de ceux à qui Croixbœuf a coûté la vie. Alors qu’on croyait ses blessures sans gravité, mande Robb, il y a succombé trois jours plus tard durant son sommeil. »
Grand-Walder haussa les épaules. « Il était très vieux. Soixante-cinq ans, je crois. Trop vieux pour se battre. Il se plaignait tout le temps d’être fatigué.
— Hou hou ! fit Petit-Walder, fatigué d’attendre la mort de Grand-Père, tu veux dire !… Au fait, c’est ser Emmon, maintenant, l’héritier ?
— Es-tu bête ! riposta son cousin. Les fils de l’aîné précèdent le cadet, voyons… Ser Ryman vient en tête, puis Edwyn, puis Walder le Noir, puis Petyr Boutonneux. Puis Aegon, avec tous ses fils.
— Ryman aussi est vieux, dit Petit-Walder. Plus de quarante ans, je parie. Et des problèmes d’estomac. Tu crois qu’il sera lord ?
— Moi, je serai lord. M’en fous bien s’il l’est. »
Mestre Luwin coupa court d’un ton sec. « Vous devriez rougir de parler ainsi, messires ! Et votre deuil, y pensez-vous ? Votre oncle est mort !
— Oui, minauda Petit-Walder. Nous en sommes très affligés. »
Pas le moins du monde. Alors que Bran se sentait patraque. Ils savourent ce plat mieux que moi. Il demanda la permission de se retirer.
« Soit. » Le mestre sonna. Hodor devait être occupé dans les écuries, c’est Osha qui se présenta. Plus vigoureuse que Panse-à-bière, elle n’eut aucun mal à soulever Bran et à l’emporter dans ses bras.
« Dis-moi, lui demanda-t-il pendant qu’ils traversaient la cour, tu connais la route du Nord ? Jusqu’au Mur et… et même au-delà ?
— Facile. On cherche le Dragon de Glace, et on poursuit l’étoile bleue dans la prunelle du Cavalier. » D’un coup d’épaule, elle ouvrit une porte et entreprit de grimper le colimaçon.
« Et, là-bas, il y a encore des géants et… le reste…, les Autres, ainsi que les enfants de la forêt ?
— Les géants, je les ai vus, les enfants, j’en ai entendu parler, quant aux marcheurs blancs…, pourquoi poser ces questions ?
— Et une corneille à trois yeux, en as-tu jamais vu ?
— Non. » Elle gloussa. « Et, franchement, pas très envie. » D’un coup de pied, elle ouvrit la porte de la chambre et déposa Bran sur la banquette d’où il contemplait volontiers les allées et venues du château.
A peine la sauvageonne avait-elle tourné les talons que la porte se rouvrit sur Jojen Reed qui entra sans façons, suivi de Meera. « Vous êtes au courant, pour l’oiseau ? » demanda Bran. L’intrus hocha la tête. « Ce n’était pas le menu que vous m’aviez prédit. Simplement une lettre de Robb, et nous ne l’avons pas mangée, mais…
— Les rêves verts prennent parfois d’étranges formes, admit Jojen, et leur véracité n’est pas toujours facile à comprendre.
— Contez-moi donc l’aventure funeste que vous avez rêvée, repartit Bran. L’aventure funeste censée concerner Winterfell.
— Mon prince est-il disposé à me croire, à présent ? Ajoutera-t-il foi à mes paroles, quelque bizarres qu’elles risquent de lui paraître ? »
Bran acquiesça d’un signe.
« C’est la mer qui vient.
— La mer ?
— J’ai rêvé que la mer léchait l’enceinte de Winterfell. J’ai vu des vagues noires s’écraser contre les portes et les tours, et puis les flots salés ont submergé les murs et empli le château. Des noyés flottaient dans la cour. La première fois que je fis ce rêve, à Griseaux, leurs visages m’étaient inconnus, mais je les connais, maintenant. Le garde qui nous annonça à vous, le jour de la fête, Panse-à-bière, est l’un d’eux. Votre septon un autre. Et un troisième votre forgeron.
— Mikken ? » Il était aussi consterné qu’ahuri. « Mais la mer se trouve à des centaines et des centaines de lieues d’ici, et la hauteur de nos remparts l’empêcherait d’entrer, si seulement elle venait les battre !
— Dans le noir de la nuit, la mer salée les submergera néanmoins, maintint Jojen. J’ai vu les morts, boursouflés, noyés.
— Il faut les prévenir, dit Bran. Panse-à-bière et Mikken et septon Chayle. Afin qu’ils ne se noient pas.
— Cela ne les sauvera nullement », répliqua l’adolescent vert.
Meera s’approcha de la banquette. « Ils n’en voudront rien croire, Bran, dit-elle en lui posant la main sur l’épaule. Comme vous d’abord. »
Jojen s’assit au bord du lit. « A vous de me conter vos rêves. »
Mis au pied du mur, il s’affola, mais il avait juré de leur faire confiance, et un Stark tient toujours sa parole. « Il en est de diverses sortes, débuta-t-il à mots comptés. Il y a les rêves de loup, qui ne sont pas les plus pénibles. Je cours, je chasse, je tue des écureuils. Et il y a les rêves où la corneille m’enjoint de voler. L’arbre-cœur y figure quelquefois aussi, qui m’appelle – nommément. Cela m’effraie. Mais les pires sont ceux où je tombe. » Accablé de misère, il se détourna vers la cour. « Jamais je n’étais tombé. A l’époque où je grimpais. Rien ne me résistait, ni le faîte des toits, ni l’aplomb des murs, et je nourrissais les corneilles en haut de la tour brûlée. Mère vivait dans la crainte que je ne tombe, mais je savais que c’était impossible. Seulement, c’est arrivé, et je me mets à tomber, maintenant, dès que je m’endors. »
Meera lui pressa l’épaule. « C’est là tout ?
— Je présume.
— Zoman », lâcha Jojen Reed.
Bran ouvrit de grands yeux. « Pardon ?
— Zoman. Homme-bête. Mutant. Tels sont les noms que l’on vous donnera, si l’on entend jamais parler de vos rêves de loup. »
Il eut un nouvel accès de panique. « Qui, on ?
— Vos propres gens. Par peur. D’aucuns iront jusqu’à vous exécrer s’ils apprennent ce que vous êtes. D’autres essaieront même de vous tuer. »
Il arrivait à Vieille Nan de narrer d’abominables histoires peuplées de ces hommes-bêtes, de ces mutants…, et ils y étaient toujours l’incarnation du Mal. « Je ne suis pas comme ça, protesta-t-il, je ne le suis pas ! Ce ne sont que des rêves.
— Les rêves de loup ne sont pas de véritables rêves. A l’état de veille, vous maintenez votre œil soigneusement clos mais, pour peu que vous vous relâchiez, votre œil se met à cligner, et votre âme cherche son autre moitié. C’est plus fort que vous.