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Eh bien, ces petits complots, libre à elle de s’y amuser. Elle ne se montrait jamais si gracieuse envers Tyrion que lorsqu’elle se figurait l’embobiner. Les Potaunoir allaient l’ensorceler, lui piquer son fric, lui promettre autant de lunes qu’elle en voudrait, pourquoi non, du moment que Bronn rendait la monnaie de la pièce, liard pour liard, sol pour sol ? Exquis coquins tous trois, les frères se révélaient infiniment mieux doués comme escrocs que comme donneurs de sang. Trois tambours, voilà tout ce que Cersei était en définitive parvenue à s’acheter ; elle en aurait tout le boumboum de ses rêves, mais rien que du vent dedans. Un sujet de rire inépuisable pour Tyrion.

Salués par des fanfares de cors, Le Lion et la Lady Lyanna s’écartèrent de la berge en direction de l’aval pour ouvrir la route au Véloce. De la foule massée sur les rives montèrent quelques ovations, mais aussi maigres, effilochées que les vagues cirrus qu’éparpillait le vent. Avec un sourire, Myrcella agita la main. Derrière elle, manteau blanc flottant, se tenait ser Arys du Rouvre. Le capitaine ordonna de larguer les amarres, les rameurs poussèrent Le Véloce au plus fort de la Néra, les voiles fleurirent et s’enflèrent – des voiles blanches ordinaires, conformément aux instructions de Tyrion : « Point d’écarlate Lannister ». Et comme Tommen suffoquait, en larmes, « Assez de vagissements ! lui siffla son frère, un prince est censé ne jamais pleurer.

— Le prince Aemon Chevalier-dragon pleura pourtant, le jour où la princesse Naerys épousa son frère, Aegon, dit Sansa Stark, et n’est-ce pas les joues baignées de larmes qu’après s’être mortellement blessés l’un l’autre expirèrent les jumeaux ser Arryk et ser Erryk ?

— Silence ! ou c’est vous que va mortellement blesser ser Meryn… », riposta Joffrey. Tyrion jeta un regard furtif à sa sœur, mais elle était absorbée par les chuchotements de ser Balon Swann. Se peut-il vraiment qu’elle s’aveugle à ce point sur la nature de son fils ? se demanda-t-il.

A son tour, Le Fougueux déploya ses rames afin de venir se placer dans le sillage du Véloce, bientôt suivi par Le Roi Robert, joyau de la flotte royale – enfin, de ce qu’en avaient épargné les défections de l’année précédente… Pour former l’escorte, Tyrion s’était efforcé d’exclure tous les bâtiments dont les capitaines étaient, selon Varys, de loyauté suspecte…, mais comme la loyauté de Varys prêtait elle-même à suspicion, de quelle sécurité se flatter ? Je me repose trop sur Varys, songea-t-il. Il me faut mes propres informateurs. Dont me défier tout autant. Péril mortel que la confiance.

La pensée de Littlefinger revint le tracasser. Il n’en avait reçu aucune nouvelle depuis le départ pour Pont-l’Amer. Ce qui pouvait aussi bien signifier tout que le contraire. Varys lui-même s’en montrait perplexe. « Et s’il avait joué de malchance, en route ? Voire péri ? » Hypothèse que Tyrion balaya d’un reniflement sarcastique. « Lui, mort ? Alors, je suis un géant ! » Les Tyrell devaient tout simplement renâcler, et comment les en blâmer ? Si j’étais Mace Tyrell, j’aimerais mieux voir fichée la tête de Joffrey sur une pique que sa queue dans ma fille.

La petite flotte se trouvait déjà fort avant dans la baie quand Cersei donna le signal du départ. Bronn amena son cheval à Tyrion et l’aida à monter. Ces tâches incombaient à Pod, mais on avait laissé Pod au Donjon Rouge. La présence émaciée du reître était autrement plus rassurante pour son maître que celle de l’écuyer.

Les rues étroites étaient bordées de sergents du Guet qui contenaient la foule avec les hampes de leurs piques. Ser Jacelyn Prédeaux précédait le cortège avec une cavalcade de lanciers vêtus de maille noire sous le manteau d’or. Juste derrière venaient ser Aron Santagar et ser Balon Swann, arborant les bannières du roi, lion Lannister et cerf couronné Baratheon.

Suivait Joffrey, couronne d’or à même ses boucles d’or, sur un grand palefroi gris. A ses côtés, l’œil droit devant sous sa résille de pierres de lune et ses cheveux auburn flottant aux épaules, Sansa Stark chevauchait une jument brune. Les flanquaient deux membres de la Garde, à la droite du roi le Limier, ser Mandon Moore à la gauche de la jeune fille.

Sur leurs talons reniflait Tommen, escorté de ser Preston Verchamps, armure blanche et manteau blanc, tandis que ser Meryn Trant et ser Boros Blount encadraient Cersei et l’inséparable Lancel à qui Tyrion emboîtait le pas. Enfin, la litière du Grand Septon devançait une longue file de courtisans parmi lesquels se distinguaient ser Horas Redwyne, lady Tanda et sa fille, Jalabhar Xho, lord Gyles Rosby. Une double colonne d’hommes d’armes fermait la marche.

En deçà des piques, faces hirsutes et crasseuses, regards lourds et sombres rancœurs. Je n’aime pas ça du tout du tout du tout…, songea Tyrion. Certes, Bronn avait persillé la presse de mercenaires chargés de prévenir la moindre apparence de trouble, et peut-être Cersei avait-elle requis de même ses Potaunoir, mais serait-ce bien efficace ? il en doutait fort. Pour peu que le feu fût trop vif, suffisait-il de jeter trois carottes dans la marmite pour empêcher le rata de cramer ?

Après avoir traversé la place Poissarde et longé la rue de la Gadoue, on tourna dans la rue Croche qui s’incurvait pour escalader la colline d’Aegon. Quelques voix jetèrent au passage du jeune roi des « Joffrey ! Vive Joffrey ! » mais, pour une qui l’ovationnait, cent gardaient le silence. Les Lannister sillonnaient une mer d’hommes loqueteux, de femmes affamées, se heurtaient à une houle d’expressions lugubres. A trois pas devant Tyrion, Cersei riait d’un mot de Lancel. Gaieté de façade, soupçonna-t-il. Elle ne pouvait tout de même ignorer l’atmosphère d’émeute qui les cernait. Mais elle avait toujours misé sur les airs bravaches.

A mi-chemin du sommet, une femme éplorée parvint à forcer le cordon du Guet et à se précipiter au-devant du roi et de ses compagnons, brandissant au-dessus de sa tête le cadavre bleui, boursouflé, de son nourrisson. Spectacle hideux, mais qui n’était rien auprès du regard de la malheureuse. Un instant, Joffrey parut vouloir lui passer sur le corps mais, Sansa Stark s’étant penchée vers lui pour lui murmurer quelque chose, il finit par fouiller dans sa bourse et lancer à la femme un cerf d’argent. La pièce rebondit sur l’enfant mort et alla rouler entre les jambes des manteaux d’or et de la foule, où une dizaine d’individus se battirent aussitôt pour sa possession. La mère, elle, n’avait pas seulement cillé. Ses bras décharnés tremblaient sous le poids du petit.

« Laissez, Sire, intervint Cersei, nos secours lui sont inutiles, au point où elle en est, la pauvre. »

En entendant la voix de la reine, la démente recouvra comme une lueur d’esprit, son visage effondré se recomposa sur une expression d’indicible dégoût. « Putain ! cria-t-elle, putain du Régicide ! enfoirée de ton frère ! » Dans sa fureur, elle lâcha l’enfant qui tomba comme un sac de son, pointa l’index contre Cersei : « Enfoirée de ton frère enfoirée de ton frère enfoirée de ton frère ! »

L’agresseur, Tyrion ne le vit même pas. Il entendit seulement Sansa hoqueter, Joffrey lâcher un juron, puis, celui-ci ayant tourné la tête, il le vit s’essuyer le visage. Une bouse y dégoulinait, qui avait surtout encroûté sa chevelure blonde et éclaboussé les jambes de Sansa.