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— Nous le retrouverons. La tiare aussi.

— Pour ce que j’en ai à faire, les Autres peuvent se la mettre mutuellement.

— En me nommant commandant du Guet, vous m’avez dit que vous vouliez la vérité, toujours et sans ambages.

— J’ai comme l’impression que je n’apprécierai pas ce que vous allez m’assener, s’assombrit Tyrion.

— Aujourd’hui, nous avons pu tenir la ville, messire, mais j’augure mal de demain. Tout présage l’ébullition. Il rôde tant de voleurs et d’assassins que nul n’est en sécurité chez soi, cette maudite pègre se répand dans les gargotes qui bordent l’Anse-Pissat, et ni le cuivre ni l’argent ne permettent plus de se procurer à manger. Alors que naguère ne s’entendaient que des ronchonnements d’égout, désormais, tout parle ouvertement de trahir, au sein des guildes et sur les marchés.

— Il vous faut davantage d’hommes ?

— La moitié de ceux que j’ai ne m’inspirent déjà pas confiance. Slynt avait triplé les effectifs du Guet, mais il faut plus qu’un manteau d’or pour faire un sergent. Non qu’il ne se trouve des types braves et loyaux parmi les nouvelles recrues, mais la proportion de brutes, de saoulards, de lâches et de faux-jetons vous effarerait. A demi entraînée, cette racaille indisciplinée n’est à la rigueur fidèle qu’à sa propre peau. Si l’on en vient à se battre, ils lâcheront pied, je crains.

— Je n’ai jamais nourri la moindre illusion là-dessus, dit Tyrion. A la moindre brèche ouverte dans nos murs, nous sommes perdus, je le sais depuis le début.

— Nombre de mes hommes sont originaires du petit peuple. Ils parcourent les mêmes rues que lui, picolent dans les mêmes bistrots, épongent leurs bolées de brun dans les mêmes bouis-bouis. Votre eunuque a dû vous le dire, on n’adore pas les Lannister, à Port-Réal. Beaucoup d’habitants se souviennent encore de la manière dont votre seigneur père a mis la ville à sac, après qu’Aerys lui eut ouvert les portes. Ils murmurent que les dieux nous punissent pour les crimes de votre maison – pour le régicide commis par votre frère, pour le massacre des enfants de Rhaegar, pour l’exécution d’Eddard Stark et pour la sauvagerie de Joffrey en matière de justice. D’aucuns n’hésitent pas à dire que les choses allaient infiniment mieux du temps de Robert et à insinuer qu’elles s’amélioreraient si Stannis occupait le trône. Ces discours-là se tiennent dans tous les bouis-bouis, les bistrots, les bordels… et, je crains, les casernes et les postes de garde.

— Bref, on exècre ma famille, c’est bien cela ?

— Mouais…, et si l’occasion s’en présente, elle le paiera cher.

— Moi de même ?

— Demandez à votre eunuque.

— C’est à vous que je le demande. »

Du fond de leurs orbites, les yeux de Prédeaux s’attardèrent sur les prunelles dépareillées du nain et ne cillèrent pas. « Vous plus que tous, messire.

— Plus que tous ? » Pareille injustice avait de quoi le révulser. « C’est Joffrey qui leur a dit de manger leurs morts, Joffrey qui a lancé son chien sur eux. Comment pourrait-on m’en faire grief, à moi ?

— Sa Majesté n’est qu’un gamin. La rue le dit entouré de méchants conseillers. La reine n’a jamais passé pour chérir les manants, ce n’est pas par amour qu’on nomme Varys l’Araignée…, mais c’est vous qu’on blâme le plus. A l’époque plus heureuse du roi Robert, votre sœur et l’eunuque se trouvaient ici, vous pas. On dit que vous avez pourri la ville de reîtres impudents, de sauvages crasseux, de brutes qui prennent ce qui les tente et ne respectent que leurs propres lois. On dit que vous avez exilé Janos Slynt parce que vous le trouviez trop honnête et carré pour votre fantaisie. On dit que vous avez jeté le sage et bon Pycelle en prison quand il a osé s’opposer à vous en élevant la voix. Certains affirment même que vous ne songez qu’à vous adjuger le trône de Fer.

— Oui, et je suis en outre un monstre, hideux et contrefait, n’oublions jamais ce détail. » Son poing se serra violemment. « Me voilà édifié. Nous avons tous deux des tâches urgentes. Laissez-moi. »

Si tel est le plus bel exploit dont je sois capable, songea-t-il une fois seul, peut-être messire mon père n’avait-il pas tort de me mépriser depuis tant d’années. Son regard s’abaissa sur les vestiges de son repas, et la vue du chapon figé dans sa graisse lui souleva l’estomac. Il le repoussa, nauséeux, appela Pod et l’expédia chercher au plus vite Bronn et Varys. J’ai pour conseillers favoris un eunuque et un spadassin, pour dame une pute. Est-ce un descriptif de ma personnalité ?

Dès son entrée, Bronn se plaignit des ténèbres et exigea du feu. Celui-ci flambait haut et clair quand parut Varys. « Où étiez-vous passé ? demanda Tyrion.

— Service du roi, mon cher sire.

— Ah oui, du roi, marmonna Tyrion. Mon neveu ne saurait se tenir sur sa chaise percée. A plus forte raison sur le trône de Fer. »

Varys haussa les épaules. « Tout apprenti a besoin d’apprendre son métier.

— La moitié des apprentis de la rue Mofette gouverneraient moins mal que votre roitelet. » Bronn s’assit en travers de la table et détacha une aile du chapon.

Si Tyrion s’était fait une règle d’ignorer l’insolence invétérée du reître, il s’en offusqua, ce soir-là. « Je t’ai donné la permission d’achever mon dîner ?

— Vous ne me sembliez pas d’humeur à le manger, répliqua Bronn, la bouche pleine. Dans une ville qui meurt de faim, c’est criminel de gâcher la bouffe. Vous avez du vin ? »

Il finira par me demander de le lui verser, songea sombrement Tyrion. « Tu vas trop loin, prévint-il.

— Et vous, vous n’allez jamais assez loin. » Il jeta l’os dans la jonchée. « Jamais imaginé combien l’existence serait facile, si l’autre était né le premier ? » Il replongea les doigts dans le chapon et en arracha un filet. « Le pleurnicheur, Tommen. Semble le genre à faire tout ce qu’on lui dirait, comme un bon roi devrait. »

En comprenant ce qu’insinuait Bronn, un frisson glacé dévala l’échine de Tyrion. Si Tommen était roi…

Mais, pour qu’il le devînt, il n’y avait qu’un seul moyen. Non. Il lui était impossible même de l’envisager. Joffrey était son propre sang, le fils de Jaime autant que celui de Cersei. « Je pourrais te faire décapiter pour des propos pareils », menaça-t-il, mais sans autre succès qu’un rire narquois.

« Amis…, gronda Varys, nous quereller ne nous avance à rien. Je vous en conjure tous deux, reprenez du cœur.

— A qui ? » s’enquit aigrement Tyrion. Pas mal de tentations s’offraient à sa pensée.

DAVOS

Ser Cortnay Penrose ne portait pas d’armure. Il montait un étalon alezan, son porte-enseigne un gris pommelé. Au-dessus d’eux flottaient le cerf couronné Baratheon et les plumes croisées Penrose, blanches sur champ fauve. Du même fauve que la barbe en pelle de ser Cortnay, lequel avait d’ailleurs le crâne absolument chauve et, si l’impressionnaient le moins du monde la splendeur et la conséquence des entours du roi, n’en laissait rien trahir à ses traits ravinés.

Le petit trot qu’on avait adopté faisait pas mal quincailler la maille et ferrailler la plate. Davos lui-même était tapissé de maille, il n’aurait su dire pourquoi ; ce poids inaccoutumé lui endolorissait les épaules et les reins. Il se sentait grotesque et balourd en cet appareil et, pour la centième fois, se demandait ce qu’il fichait là. Il ne m’appartient pas de discuter les ordres du roi, mais…