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Infiniment mieux né que Davos Mervault, chacun des membres de l’escorte jouissait d’une position bien supérieure à la sienne, et tous ces puissants seigneurs étincelaient au soleil levant, dans leurs armures d’acier niellées d’or et d’argent, sous leurs heaumes empennés de soie, crêtés de plumes et artistement ciselés en mufles héraldiques aux orbites serties de gemmes. En si royale compagnie, Stannis lui-même détonnait ; simplement vêtu, comme Davos, de laine et de cuir bouilli, il ne devait son air de grandeur qu’au diadème d’or rouge qui lui ceignait les tempes et dont les pointes en forme de flamme flamboyaient au moindre mouvement.

Depuis huit jours que La Botha noire avait rallié le reste de la flotte au large d’Accalmie, pas un instant Davos ne s’était trouvé si près de Sa Majesté. A la demande d’audience formulée dans l’heure de son retour, fin de non-recevoir : le roi était occupé. Occupé, le roi l’était souvent, apprit Davos de son fils Devan, qui se trouvait aux premières loges, en tant qu’écuyer. Maintenant que Stannis Baratheon avait recouvré sa puissance, les gentillâtres lui bourdonnaient autour comme les mouches sur un cadavre. Il a d’ailleurs une mine de déterré. Il a pris des années depuis mon départ de Peyredragon. Il ne dormait plus guère, selon Devan toujours : « Il est hanté, depuis la mort de lord Renly, par d’effroyables cauchemars. Les drogues du mestre sont impuissantes à l’en délivrer. Seule dame Mélisandre parvient à lui procurer un sommeil paisible. »

Est-ce pour cela qu’elle partage à présent son pavillon ? se demanda-t-il. Pour prier avec lui ? Ou bien l’apaise-t-elle d’une autre manière ? Question scabreuse, et qu’il n’osait poser, même à son propre fils. Un bon gars, Devan, mais qui portait fièrement sur son doublet l’emblème du cœur ardent. Et Davos l’avait vu de ses propres yeux, le soir, auprès des feux, conjurer le Maître de la Lumière de ramener l’aube. Il est l’écuyer du roi, se dit-il, il fallait s’attendre à le voir adopter son dieu.

De près, la hauteur et l’épaisseur des remparts d’Accalmie l’étonnèrent presque autant qu’une nouveauté. Le roi Stannis fit halte à leur pied. Trois pas à peine le séparaient de ser Cortnay et de son porte-enseigne. « Ser », dit-il, roide et poli comme à l’ordinaire. Il demeura vissé en selle.

« Messire. » C’était moins poli mais nullement inattendu.

« Il est séant de dire Sire aux rois », releva lord Florent. Sur son corselet de plates, un renard d’or rouge pointait son museau brillant parmi des guirlandes de fleurs en lapis-lazuli. Très grand, très gourmé, très riche, le sire de Rubriand, non content d’être le premier des bannerets de Renly à s’être déclaré pour Stannis, avait été le premier à répudier ses dieux au profit du Maître de la Lumière. Stannis avait eu beau laisser Selyse et son oncle Axell à Peyredragon, les hommes de la reine étaient plus nombreux et plus influents que jamais, Alester Florent en tête.

Ser Cortnay Penrose l’ignora pour ne s’adresser qu’à Stannis. « Que vous voilà en belle compagnie. Les hauts et puissants lords Estremont, Errol, Varnier. Ser Jon, des Fossovoie pomme-verte, et ser Bryan, des pomme-rouge. Lord Caron et ser Guyard, de la garde Arc-en-ciel du roi Renly…, et l’irrésistible lord Alester Florent de Rubriand, bien sûr. Et, là-bas derrière, n’est-ce pas votre Chevalier Oignon que j’aperçois ? Dans le mille, ser Davos. La dame, m’est avis, je n’ai pas l’honneur.

— On m’appelle Mélisandre, ser. » Elle était seule venue sans armure, abstraction faite de ses rouges falbalas. A sa gorge, le gros rubis s’enivrait de soleil. « Servante de votre roi et du Maître de la Lumière.

— Grand bien vous fasse, madame, riposta-t-il, mais j’honore d’autres dieux et un autre roi.

— Il n’est qu’un seul roi véritable et qu’un seul dieu véritable, releva lord Florent.

— Serions-nous ici pour disputer de théologie, messire ? Si je l’avais su, j’aurais amené un septon.

— Vous savez pertinemment pourquoi nous sommes ici, grinça Stannis. Vous avez eu deux semaines pour méditer mon offre. Vous avez expédié vos corbeaux. Nul secours ne vous est venu. Ni ne vous viendra. Accalmie demeure seul, et je suis à bout de patience. Pour la dernière fois, ser, je vous ordonne d’ouvrir vos portes et de me remettre ce qui m’appartient légitimement.

— Et les conditions ? demanda ser Cortnay.

— Inchangées. Je vous pardonnerai votre trahison comme j’ai pardonné la leur aux seigneurs de ma suite ici présents. Les hommes de la garnison seront libres ou d’entrer à mon service ou de regagner leurs foyers en toute quiétude. Vous pourrez conserver vos armes et ceux de vos biens que peut emporter une carriole à bras. Je réquisitionnerai toutefois vos chevaux et vos bêtes de somme.

— Et en ce qui concerne Edric Storm ?

— Le bâtard de mon frère doit m’être livré.

— Dans ce cas, ma réponse est toujours non, messire. »

La mâchoire du roi se bloqua. Il ne souffla mot.

Mélisandre prit la parole à sa place. « Puisse le Maître de la Lumière vous protéger au sein de vos ténèbres, ser Cortnay.

— Puissent les Autres enculer ton Maître de la Lumière, cracha Penrose du tac au tac, et lui torcher la raie avec tes guenilles. »

Lord Alester Florent s’éclaircit le gosier. « Retenez votre langue, ser Cortnay. Sa Majesté ne veut aucun mal au garçon. Edric est son propre sang, tout comme le mien. Il a eu pour mère ma nièce Delena, comme nul n’ignore. Si vous n’en croyez pas le roi, croyez-m’en. Vous me savez homme d’honneur, et…

— Je vous sais homme d’ambition, coupa le chevalier. Homme à changer de rois et de dieux comme je change, moi, de bottes. Réversible à l’envi, comme tous ces tourne-casaque-là. »

Des clameurs indignées fusèrent des accusés. Pas si faux, songea Davos. Naguère encore, les Fossovoie, Guyard Morrigen et les lords Errol, Estremont, Varnier, Caron n’en avaient que pour Renly, se prélassaient sous son pavillon, le secondaient en matière de stratégie, tramaient à qui mieux mieux la perte de Stannis. Et lord Florent était des leurs, que sa qualité d’oncle de Selyse n’avait nullement empêché de se ruer aux pieds de Renly, lorsque l’étoile de Renly montait au firmament.

Bryce Caron poussa son cheval de l’avant. Le vent qui soufflait de la baie faisait tournoyer les pans de son long manteau arc-en-ciel. « Il n’y a point de tourne-casaque ici, ser. Je suis le féal d’Accalmie, dont Sa Majesté Stannis est le maître légitime…, en même temps que notre véritable roi. Dernier survivant de la maison Baratheon, il est l’héritier de Robert ainsi que de Renly.

— Si tel est le cas, pourquoi le chevalier des Fleurs ne se trouve-t-il parmi vous ? Et où sont Mathis Rowan ? Randyll Tarly ? lady du Rouvre ? Pourquoi boudent-ils votre compagnie, eux qui chérissaient le mieux Renly ? Où est Brienne de Torth, je vous prie ?

— Cette garce ? » Ser Guyard Morrigen s’esclaffa grossièrement. « S’est taillée. Dare-dare. C’est de sa main qu’est mort le roi.

— Mensonge ! répliqua Penrose. J’ai connu Brienne toute petite, alors qu’elle jouait encore aux pieds de son père dans la grand-salle de La Vesprée, et je l’ai connue mieux encore ici même, après que l’Etoile-du-Soir nous l’eut envoyée. Elle a aimé Renly Baratheon dès la seconde où il lui apparut, même un aveugle s’en rendait compte.

— Indubitablement, pontifia lord Florent, mais vous reconnaîtrez qu’elle ne serait pas la première toquée à tuer l’homme qui la dédaigne. Je n’en suis pas moins convaincu, quant à moi, que la meurtrière du roi fut lady Stark. Expressément venue de Vivesaigues pour négocier une alliance, elle s’était vu débouter par Renly. Elle n’a pas hésité à le supprimer parce qu’il incarnait un danger pour son fils.