Выбрать главу

— Inutile, répondit-elle, il n’était pas protégé. Mais, ici… Cet Accalmie est une place ancienne. Les pierres en sont tissues de sorts – antiques, oubliés, mais toujours présents. Sombres murs que ne saurait traverser d’ombre.

— D’ombre ? » Davos en eut la chair de poule. « L’ombre est l’apanage des ténèbres…

— Vous êtes plus ignare qu’un bambin, chevalier. Il n’est pas d’ombres dans le noir. Les ombres sont les servantes de la lumière, les filles du feu. Plus vive est la flamme, plus sombres sont les ombres qu’elle projette. »

Chut , signifia-t-il, tout en ramant, le front plissé. Ils se rapprochaient du rivage, et les voix portent, sur les flots. La nage sourde des avirons se perdait dans le gonflement régulier de la houle. La façade maritime d’Accalmie écrasait de sa masse énorme une falaise à pic de craie blanchâtre plus haute qu’elle de moitié pourtant. Au bas de celle-ci béait une gueule sombre, et c’est vers elle que, comme seize ans plus tôt, gouvernait ser Davos. Le tunnel débouchait sous le château dans une caverne où les seigneurs de l’Orage avaient jadis bâti leurs appontements.

Uniquement accessible à marée haute, l’abord en était même alors des plus traître, mais Davos avait conservé toute son adresse de contrebandier, et les rochers déchiquetés ne l’empêchèrent pas de se faufiler jusqu’en face de l’ouverture et de s’abandonner aux vagues pour y pénétrer. Elles se fracassaient à l’entour et giflaient la barque en la ballottant tantôt ci tantôt là, non sans tremper jusqu’à la moelle ses deux passagers. A peine émergea-t-il du gouffre un croc luisant de roc imperceptiblement trahi par sa bave rageuse que le rembarra une poussée soudaine d’aviron.

Puis la falaise les avala, les ténèbres les engloutirent et les eaux s’apaisèrent, l’esquif ralentit sa course, tournoya. Répercuté par les échos de la caverne, leur souffle parut les envelopper. Davos ne s’était pas attendu à cette nuit de poix. Seize ans plus tôt, des torches éclairaient le tunnel tout du long, des regards affamés luisaient à chacune des meurtrières de la voûte. La herse se trouvait quelque part au-delà. Retenue par les rames, la barque alla sur son erre y heurter quasiment sans bruit.

« Impossible d’aller plus loin, si vous ne disposez d’un complice, à l’intérieur, pour nous lever la grille », chuchota Davos, et ses chuchotements se débandèrent sur le clapotis comme une nichée de souris feutrées.

« Avons-nous franchi l’enceinte ?

— Oui. Elle nous surplombe, mais je vous l’ai dit, impossible d’aller plus loin. La herse descend jusqu’au fond. Et même un enfant ne pourrait se glisser entre ses barreaux. »

Point d’autre réponse qu’un léger froufrou. Puis une lumière éclaboussa les ténèbres.

Le souffle coupé, Davos leva une main pour se protéger les yeux. Mélisandre avait repoussé sa coule et, d’un simple mouvement d’épaules, dépouillé sa robe vaporeuse. Elle était nue, dessous, et grosse à accoucher. Ses seins gonflés pendaient lourdement sur son buste, et son ventre semblait sur le point d’éclater. « Les dieux nous préservent », murmura-t-il, et elle répliqua par un rire de gorge étouffé, rauque. Ses prunelles étaient des charbons ardents, la sueur qui lui emperlait la peau rutilait, comme incandescente de son propre feu. Mélisandre irradiait.

Haletante, elle s’accroupit, jambes écartées. Le sang ruisselait sur ses cuisses, un sang noir comme de l’encre. Elle poussa un cri d’extase ou d’agonie si ce n’étaient, comment savoir ? les deux, tandis que surgissait le crâne de l’enfant. Les bras se libérèrent en gigotant convulsivement, des doigts noirs serpentèrent autour des cuisses crispées de Mélisandre qui continua de pousser jusqu’à ce que l’ombre tout entière se fut extirpée au monde et dressée, plus grande que Davos, aussi haute que le tunnel, au-dessus du bateau. Il n’eut qu’une seconde pour la regarder avant qu’elle ne s’éclipse, ne s’insinue entre les barreaux de la herse et ne détale à la surface des eaux, mais cette seconde dura bien assez.

Cette ombre, il la connaissait. Comme il connaissait l’homme qui la projetait.

JON

L’appel survint telle une vrille au plus noir de la nuit. Jon s’accouda, la force de l’habitude lui fit simultanément empoigner Grand-Griffe, déjà s’agitait le camp. Le cor qui secoue les dormeurs , songea-t-il.

La longue note basse persistait, à la limite de l’audible. Les sentinelles de l’enceinte battaient, muettes, la semelle, l’haleine au gel et la tête tournée vers l’ouest. Lorsque le son du cor eut achevé de s’évanouir, le vent lui-même cessa de mugir. Les hommes se dépêtraient de leurs couvertures, saisissaient piques et ceinturons, se démenaient en silence, l’oreille aux aguets. Un cheval s’ébroua, que quelqu’un fit taire. Un instant, la forêt tout entière eut l’air de retenir également son souffle. A l’affût d’un second appel, les frères de la Garde de Nuit priaient qu’il ne retentît point, tout en craignant de ne pas l’entendre.

Après que le silence se fut prolongé de manière intolérable et leur eut appris que le cor ne sonnerait plus, ils se sourirent mutuellement d’un air penaud, comme pour nier que l’angoisse les eût étreints. Jon Snow ranima le feu et, pendant qu’il s’habillait, bouclait son ceinturon, enfilait ses bottes, époussetait son manteau et en secouait la rosée avant de se l’arrimer aux épaules, le gai brasillement des flammes lui jeta au visage des bouffées de chaleur bienvenues. A l’intérieur de la tente, il entendait bouger le lord Commandant. Qui, quelques instants plus tard, souleva la portière. « Une seule sonnerie ? » Perché sur son épaule, son corbeau se taisait, plume ébouriffée, l’air piteux.

« Une seule, messire, confirma-t-il. Des frères qui reviennent. »

Mormont s’approcha du feu. « Le Mimain. Pas si tôt. » Au fil des jours, l’attente l’avait rendu de plus en plus quinteux ; un peu plus, et il mettait bas des oursons. « Veille qu’il y ait un repas chaud pour les hommes et du fourrage pour les chevaux. Je veux voir Qhorin dès son arrivée.

— Je vous l’amènerai, messire. » Comme on comptait recevoir les hommes de Tour Ombreuse beaucoup plus tôt, leur retard, que se passait-il ? n’avait pas manqué d’alarmer. A l’heure de la popote, Edd-la-Douleur n’était pas le seul à se répandre en marmonnements sinistres. Ser Ottyn Wythers préconisait de se replier le plus tôt possible sur Château noir. Ser Mallador Locke se serait plutôt porté sur Tour Ombreuse, dans l’espoir de relever la piste de Qhorin et d’apprendre ce qu’il était advenu de lui. Et Thoren Petibois voulait une incursion dans les montagnes. « Mance Rayder sait qu’il lui faudra affronter la Garde, avait-il déclaré, mais jamais il ne s’attendra à nous voir tellement au nord. Si nous remontons la Laiteuse, nous pouvons le prendre à l’improviste et tailler des croupières à ses troupes dès avant qu’il ne se doute de notre présence.

— Il aurait l’avantage du nombre, et comme ! objectait ser Ottyn. Craster a dit qu’il rassemblait une grande armée. Des milliers d’hommes. Sans Qhorin, nous ne sommes que deux cents.

— Lâchez deux cents loups sur dix mille brebis, ser, et voyez ce qu’il en arrive, répondait Petibois, plein d’aplomb.

— Il y a des chèvres, parmi ces brebis, Thoren, avertissait Jarman Buckwell. Mouais, voire quelques lions. Clinquefrac, Harma la Truffe, Alfyn Freux-buteur…

— Je les connais aussi bien que toi, Buckwell ! jappa Thoren. Et je veux me payer leur tête, tous. C’est des sauvageons. Pas des soldats. Quelques centaines de fiers-à-bras, plus ou moins bourrés, dans un gros troupeau de femelles, de chiards et de serfs. Qu’on va te balayer vite fait tout ça et te les renvoyer piailler dans leurs gourbis. »