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— Mort, ronchonna le corbeau en arpentant les épaules de son maître, mort, mort, mort. » Le Vieil Ours demeura d’abord prostré et muet. Comme si la corvée de parler lui était devenue d’une pesanteur excessive. Il finit cependant par souffler : « Que les dieux me pardonnent. Choisissez vos hommes. »

Qhorin Mimain se détourna. Ses yeux croisèrent ceux de Jon et s’y attachèrent un long moment. « Très bien. Je prends Jon Snow. »

Mormont tiqua. « Il n’est guère plus qu’un gamin. Mon ordonnance, en plus. Pas même patrouilleur.

— Pour votre service, Tallett est capable de le suppléer, messire. » Qhorin brandit les deux doigts de sa main mutilée. « Les anciens dieux sont toujours puissants, de ce côté-ci du Mur. Les dieux des Premiers Hommes… et des Stark. »

Mormont dévisagea Jon. « Que veux-tu, toi ?

— Y aller », répondit-il sans hésiter.

Le vieillard sourit tristement. « Je m’y attendais. »

L’aube s’était levée quand Jon franchit la portière de la tente aux côtés de Qhorin Mimain. Un tourbillon de vent les enveloppa, qui déploya leurs manteaux noirs en éparpillant une volée de cendres et d’étincelles.

« On part à midi, déclara le patrouilleur. Débrouille-toi pour trouver ton loup. »

TYRION

« La reine veut éloigner le prince Tommen. » Tout seuls qu’ils étaient, à genoux dans le noir silence du septuaire où les cierges les entouraient d’ombres incertaines, Lancel se gardait d’élever la voix. « Lord Gyles va le prendre à Rosby et l’y cacher déguisé en page. Le plan prévoit de lui brunir les cheveux et de le présenter à tous comme le fils d’un obscur chevalier.

— Qui redoute-t-elle ? L’émeute, ou moi ?

— Les deux.

— Ah. » Tyrion apprenait à l’instant cette nouvelle manigance. Les oisillons de Varys s’étaient-ils montrés déficients, pour une fois ? Il devait bien leur arriver de somnoler, comme à un chacun… – mais n’était-ce pas plutôt l’eunuque qui jouait un jeu plus subtil et serré que subodoré ? « Soyez remercié, ser.

— M’accorderez-vous la faveur dont je vous ai prié ?

— Peut-être. » Lancel désirait obtenir un poste de commandement lors de la bataille à venir. Un moyen superbe de périr avant que n’ait fini de croître ce brin de moustache, mais les jeunes chevaliers se figurent toujours invincibles…

Après que son cousin se fut esquivé sans bruit, Tyrion s’attarda le temps d’allumer un cierge à l’un de ceux qui brûlaient déjà devant l’autel du Guerrier. Veille sur mon frère, espèce de salopard, il est l’un des tiens. Puis d’en offrir un autre, pour lui-même, à l’Etranger.

Le Donjon Rouge était plongé dans les ténèbres, cette nuit-là, quand Bronn se présenta. Le nain était en train de faire couler de la cire d’or pour sceller une lettre. « Apporte-moi ça à ser Jacelyn.

— Ça dit quoi ? » A défaut de savoir lire, Bronn ne se privait pas de questionner impudemment.

« Qu’il doit prendre cinquante de ses meilleures épées pour aller patrouiller sur la route de la Rose. » Il imprima son sceau dans la cire molle.

« Stannis va plutôt remonter la route royale.

— Oh, je sais bien. Avertis Prédeaux de ne tenir aucun compte de ce que contient la lettre et d’emmener ses hommes vers le nord. Il lui faut tendre une embuscade sur la route de Rosby. Lord Gyles va partir dans un jour ou deux pour ses terres avec une douzaine d’hommes d’armes, quelques serviteurs et mon neveu Tommen. Celui-ci peut-être accoutré en page.

— Et vous voulez qu’il le ramène, c’est ça ?

— Non. Je veux qu’il le mène quand même à Rosby. » Tout bien réfléchi, faire quitter la ville à l’enfant était l’une des meilleures idées de Cersei. Là-bas, il serait à l’abri de l’émeute, et sa séparation d’avec son frère compliquerait les choses pour Stannis qui, dût-il prendre Port-Réal et supprimer Joffrey, aurait encore un prétendant Lannister à affronter. « Lord Gyles est trop mal fichu pour courir et trop pleutre pour se battre. Il donnera l’ordre au gouverneur du château d’ouvrir les portes. Une fois dans les murs, Prédeaux expulsera la garnison et veillera sur la sécurité de Tommen. Demande-lui si lord Prédeaux charme son oreille.

— Lord Bronn sonnerait mieux. Je vous attraperais le gosse aussi bien, moi. Avec une lorderie à la clef, je suis tout prêt à lui donner de l’à dada sur mon genou et à lui chanter des berceuses.

— J’ai besoin de toi ici », dit Tyrion. Et aucune envie de te confier mon neveu. S’il arrivait malheur à Joffrey, par hasard, les prétentions des Lannister au trône de Fer retomberaient tout entières sur les frêles épaules de Tommen. Que défendraient les manteaux d’or de ser Jacelyn, alors que les reîtres de Bronn étaient hautement susceptibles de le vendre à ses ennemis.

« Qu’est censé faire le nouveau lord de l’ancien ?

— Ce qui lui chante, à condition qu’il n’oublie pas de le nourrir. Je ne veux pas de mort. » Il repoussa son siège de la table. « Ma sœur va charger un membre de la Garde d’escorter son fils. »

Bronn s’en fichait éperdument. « Comme il est le chien de Joffrey, le Limier ne le quittera pas. Les manteaux d’or de Main-de-fer ne devraient pas avoir grand mal à maîtriser les autres.

— Si l’on en vient là, dis à ser Jacelyn d’épargner la vue du massacre à Tommen. » Il s’enveloppa dans un lourd manteau de laine brun sombre. « Viens. Je t’accompagne un bout de chemin.

— Chataya ?

— Tu me connais trop bien. »

Ils sortirent par une poterne percée dans le mur nord, et Tyrion mit son cheval au trot pour descendre l’allée Sombrenoir. Au bruit des sabots sur les pavés, des formes furtives se précipitaient parfois dans les venelles adjacentes, mais personne n’osa accoster les deux cavaliers. Le Conseil avait prorogé le couvre-feu, et la peine capitale guettait quiconque serait pris dehors après le dernier carillon du soir. La mesure avait rendu un semblant de paix à Port-Réal et réduit des trois quarts le nombre des cadavres que l’on ramassait au matin dans le dédale, mais elle lui valait, à en croire Varys, les malédictions de la populace. Qui devrait être reconnaissante de conserver suffisamment de souffle pour maudire. Deux manteaux d’or les interpellèrent alors qu’ils longeaient le boyau de la Dinanderie mais, en se rendant compte qu’ils avaient affaire à la Main, ils lui présentèrent leurs plates excuses et l’invitèrent d’un signe à continuer. Et Tyrion se retrouva seul lorsque Bronn, enfin, bifurqua vers la porte de la Gadoue.

Il se dirigeait vers le bordel de Chataya quand, brusquement, la patience l’abandonna. Il se retourna sur sa selle pour scruter ses arrières. Rien n’indiquait qu’on le suivît. Toutes les fenêtres étaient sombres ou leurs volets hermétiquement clos. Ne s’entendait rien d’autre que la brise embouquant les venelles. Si Cersei me fait filer, cette nuit, son sbire doit s’être déguisé en rat. « Au diable ces enfoirés ! » grommela-t-il. Il en avait par-dessus la tète, de faire gaffe. Il fit volter son cheval et l’éperonna. Si j’en ai un au train, nous verrons bien qui de nous est meilleur cavalier. Et il enfila au galop les rues éclairées par le clair de lune et, faisant feu des quatre fers sur les pavés, fusa par les ruelles en pente ou sinueuses, tantôt grimpant, dévalant tantôt, mais courant toujours, tout à ses amours.

Comme il heurtait à l’huis, de vagues accords mélodieux s’effilochèrent jusqu’à lui par-dessus le mur de pierre hérissé de dards. L’un des natifs d’Ibben l’introduisit. Tout en lui remettant son cheval, Tyrion s’étonna : « Qu’est-ce là ? » Par les fenêtres vitrées en pointe-de-diamant de la salle se déversaient des flots de lumière jaune, et un homme chantait.