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Oreste révèle que l’oracle d’Apollon lui a ordonné de venger la mort d’Agamemnon. Dans une longue tirade poétique, Electre fortifie le courage d’Oreste, et il part tuer Égisthe et Clytemnestre. Il réussit à s’introduire par ruse dans le palais, en prétendant à sa mère Clytemnestre qu’il est un messager de la lointaine Phocide apportant la nouvelle de la mort d’Oreste. Une fois à l’intérieur, il tue Égisthe puis, affrontant sa mère, il l’accuse du meurtre et l’assassine ensuite.

La pièce s’achève lorsqu’Oreste, rendu fou par son crime, voit les Furies qui viennent le poursuivre. Il cherche refuge dans le temple d’Apollon. La séquelle mystique et allégorique, Les Euménides, voit Oreste absous de son crime.

Eschyle, somme toute, ne se préoccupait pas outre mesure de la plausibilité de l’action de sa tragédie. Son dessein dans la trilogie de L’Orestie était de nature théologique : examiner l’action des dieux lorsqu’ils jettent leur malédiction sur une maison, malédiction qui repose sur le meurtre et conduit à d’autres meurtres. La note dominante de cette philosophie est peut-être contenue dans le vers suivant : « C’est Zeus seul qui indique la voie parfaite de la connaissance. Il a décrété que l’homme apprendra la sagesse à l’école de l’affliction. » Eschyle sacrifie la technique dramatique, ou tout au moins la relègue au second plan, afin de mieux fixer l’attention sur les aspects psychologique et religieux du matricide.

L’Electre d’Euripide se situe virtuellement à l’opposé de la conception d’Eschyle. Bien qu’il utilise la même intrigue, il travaille davantage sa technique et innove sur plusieurs points pour nous fournir une substance bien plus riche. Les personnages d’Electre et d’Oreste se détachent avec netteté chez Euripide : Electre, à moitié folle, bannie de la cour, mariée à un paysan, ne pense qu’à sa vengeance. Oreste, pétri de lâcheté, rentre à Mycènes par la petite porte et poignarde abjectement Égisthe dans le dos avant d’attirer sournoisement Clytemnestre vers son destin mortel. Euripide a le souci constant de la crédibilité dramatique, au contraire d’Eschyle. Après la fameuse parodie de la scène de la boucle de cheveux eschyléenne, Oreste se fait reconnaître de sa sœur Electre non pas par ses cheveux, ni par la pointure de ses chaussures mais par…

Oh, et puis merde. Merde, merde, merde et merde. C’est mauvais comme tout. Ça ne vaut pas un pet. Comment Yahya Lumumba aurait-il pu écrire des conneries pareilles ? Bidon du premier mot jusqu’au dernier. Qu’est-ce que Yahya Lumumba a à foutre de la tragédie grecque ? Qu’est-ce que j’en ai à foutre moi-même ? Que lui est Hécube, ou qu’est-il à Hécube pour qu’il pleure pour elle ? Je vais tout déchirer et tout recommencer. Je vais écrire en jive. Leur montrer ce que c’est que le rythme des marchands de pastèques. Aide-moi à penser noir, ô Seigneur. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas. J’ai envie de dégobiller, Seigneur. Je crois que j’ai la fièvre. Attendez. Peut-être qu’avec un joint ça ira mieux. Ouais. Un bon vieux stick de mutah. Mets-y du soul, mec, tu m’entends ? Juif blanc pourri de mes deux, mets-y du soul. O.K. ? Bon. C’est l’histoire d’un mec appelé Agamemnon, et qui avait des couilles, mais ça ne l’a pas empêché de se faire baiser. Sa bonne femme, Clytemnestre, elle s’était collée avec ce putain d’enculé d’Égisthe, et un jour elle lui dit : Baby, toi et moi on va se faire la peau du vieil Aga, et tu seras roi. Gigi the King, qu’on t’appellera, et on s’en paiera du bon temps. Aga, il était parti crapahuter quelque part, mais voilà qu’il revient en perme et avant qu’il ait eu le temps de dire yé ! Ils lui sautent dessus et ils lui font son affaire. Ça en fait déjà un de moins. Mais ce n’est pas tout. Il y a Electre, une cinglée de gonzesse qui est la fille du vieil Aga, et elle s’énerve pour de bon quand ils se farcissent son vieux, alors elle dit à son frère, qui s’appelle Oreste, elle lui dit Oreste, je veux que tu les saignes, ces deux enculés. Je veux que tu les saignes d’une oreille à l’autre. Mais ce mec, Oreste, ça faisait quelque temps qu’il n’habitait plus en ville, et il n’était pas tellement à la coule, mais…

C’est ça, mec, tu commences à piger, ouais ! Maintenant, tu vas expliquer l’utilisation par Euripide du deus ex machina, et la vertu de catharsis de la technique dramatique réaliste de Sophocle. C’est ça, oui. Quel pauvre schmuck tu fais, David Selig. Quel pauvre schmuck.

XV

J’ai essayé de me montrer affectueux avec Judith. J’ai essayé d’être tendre et attentionné, mais nos vieilles haines s’interposaient toujours entre nous. Je me répétais : c’est ma petite sœur, elle est tout ce que j’ai, je dois l’aimer davantage. Mais on ne peut commander à ses sentiments. On ne peut pas faire naître l’amour rien qu’avec de bonnes intentions. Sans compter que mes intentions n’avaient jamais été tellement bonnes. J’avais vu en elle une rivale dès le départ. J’étais le premier-né, le délicat, l’inadapté. J’étais supposé être au centre de tout. Tels étaient les termes de mon contrat avec Dieu : je dois souffrir parce que je suis différent, mais à titre de compensation l’univers tout entier tourne autour de moi. Le bébé introduit dans la maisonnée n’était destiné à être rien d’autre qu’un artifice thérapeutique conçu pour m’aider à mieux m’insérer dans le genre humain. Tel était le marché. Elle n’était pas censée avoir une réalité propre en tant que personne, elle n’était pas censée avoir ses propres exigences ni drainer une partie de leur amour. C’était un objet, elle faisait partie du mobilier. Mais je n’y croyais pas vraiment. J’avais dix ans, souvenez-vous, quand ils l’ont adoptée, et à dix ans je n’étais pas stupide. Je savais que mes parents, n’étant plus obligés de diriger toutes leurs attentions exclusivement vers un fils mystérieusement ailleurs et troublé, finiraient rapidement par reporter leurs préoccupations et leur amour – oui, particulièrement leur amour – vers le bébé adorable et sans problèmes. Elle prendrait ma place au centre des choses. Je deviendrais une curiosité douteuse et inutile. Je ne pouvais pas m’empêcher de la rendre responsable. Vous ne comprenez pas pourquoi j’ai essayé de la tuer dans son berceau ? D’un autre côté, vous devez vous douter de l’origine de la froideur qu’elle m’a toujours manifestée. À ce jour, je n’ai toujours pas d’excuse à avancer. Le cycle de haine a commencé avec moi. Avec moi, Jude. Avec moi. Tu aurais pu le rompre avec un peu d’amour, cependant, si tu avais voulu. Mais tu n’as pas voulu.

Un samedi après-midi de mai 61, je suis allé rendre visite à mes parents. Je n’allais pas souvent chez eux en ce temps-là, bien que ce ne fût qu’à vingt minutes par le subway. J’étais à l’extérieur du cercle de famille, autonome et lointain, et j’éprouvais un sentiment de farouche résistance à l’idée de tout rapprochement. D’abord, il y avait cette hostilité latente envers mes parents : c’étaient eux qui m’avaient communiqué ces gènes douteux, après tout, eux qui m’avaient fait venir au monde dans ces conditions. Et par-dessus le marché, il y avait Judith qui me glaçait de son dédain. Est-ce que ça ne suffisait pas comme ça ? Je restais donc sans les voir des semaines, des mois d’affilée, jusqu’à ce que les mélancoliques coups de téléphone maternels soient trop insistants et que le poids de ma culpabilité ait raison de ma résistance.

Je fus heureux d’apprendre, en arrivant là-bas, que Judith était encore dans sa chambre, en train de dormir. À trois heures de l’après-midi ? C’est que, m’expliqua ma mère, elle était sortie la nuit dernière et elle était rentrée très tard. Judith avait seize ans, et je l’imaginais très bien allant à un match de basket de l’école avec un gamin maigre et boutonneux, pour ensuite aller déguster un milk-shake au drugstore du coin. Dors, sœurette, dors sur tes deux oreilles. Mais évidemment, son absence me laisse confronté directement et sans protection avec mes tristes parents fatigués. Ma mère, insignifiante et douce ; mon père, las et désabusé. Toute ma vie, je les avais vus devenir de plus en plus petits. Maintenant, ils me paraissaient sur le point de s’évanouir en fumée.