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– Mais où êtes-vous donc? Qu'est-ce que vous faites? On n'attend plus que vous, criaient les jeunes filles impatientes.

Veltchaninov haussa les épaules, et se dirigea vers elles. Pavel Pavlovitch le suivit.

– Je parie qu'il vous demandait un mouchoir, dit Maria Nikitichna: déjà l'autre fois il avait oublié son mouchoir.

– Il l'oublie toujours, fit une autre.

– Il a oublié son mouchoir! Pavel Pavlovitch a oublié son mouchoir! Maman, Pavel Pavlovitch a de nouveau oublié son mouchoir: Maman, Pavel Pavlovitch est de nouveau enrhumé! criait-on partout.

– Mais pourquoi ne le dit-il pas? Comme vous êtes timide, Pavel Pavlovitch! soupira madame Zakhlébinine de sa voix traînante. Il ne faut pas jouer avec le rhume… Je vais vous faire porter de suite un mouchoir… Mais comment se fait-il donc qu'il soit toujours enrhumé? ajouta-t-elle en s'éloignant, ravie qu'un prétexte lui permît de rentrer.

– Mais j'ai deux mouchoirs, et pas le moindre rhume! lui cria Pavel Pavlovitch.

Elle n'entendit pas, et, une minute plus tard, Pavel Pavlovitch, qui tâchait de suivre les autres, et de ne pas perdre de vue Nadia et Veltchaninov, vit accourir une femme de chambre tout essoufflée, qui lui apportait un mouchoir.

– Jouons, jouons, jouons aux proverbes! cria-t-on de toutes parts, comme si l'on se promettait Dieu sait quoi de ce jeu.

On choisit un endroit, et tout le monde s'assit. Maria Nikitichna fut désignée la première pour deviner; on la fit éloigner assez pour qu'elle ne pût rien entendre; on choisit le proverbe, et on se partagea les mots. Maria Nikitichna revint, et devina du premier coup.

Puis ce fut le tour du jeune homme aux cheveux en broussailles et aux lunettes bleues. On l'envoya encore plus loin, près d'un pavillon où il resta le nez collé au mur. Le jeune homme s'acquittait de son office avec un air de mépris hautain; on eût dit qu'il se sentait un peu humilié. Lorsqu'on l'eut rappelé, il ne devina rien, se fit répéter deux fois, réfléchit longuement, d'un air sombre, et ne trouva pas davantage. Le proverbe à deviner était: «La prière faite à Dieu, le service rendu au tsar ne sont jamais perdus.»

– Quel proverbe stupide! murmura le jeune homme dépité et mécontent, en retournant à sa place.

– Ah! que c'est donc ennuyeux! firent des voix.

Ce fut le tour de Veltchaninov; on l'emmena plus loin encore que les précédents; il ne devina rien non plus.

– Ah! que c'est donc ennuyeux! firent des voix, plus nombreuses.

– Eh bien! à présent, c'est mon tour, dit Nadia.

– Non, non, c'est le tour de Pavel Pavlovitch! crièrent toutes les voix, très vivement.

On l'emmena jusqu'au bout du jardin, on le planta dans un coin le nez contre le mur, et, pour qu'il ne pût pas se retourner on mit auprès de lui en sentinelle la petite rousse. Pavel Pavlovitch, ayant retrouvé un peu d'entrain, voulut s'acquitter avec une parfaite conscience de son devoir, et il resta là, droit comme une borne, les yeux au mur. La petite rousse le surveillait à vingt pas de distance, et faisant des signes aux jeunes filles, dans un état d'agitation extrême; il était clair qu'elles attendaient quelque chose avec impatience. Brusquement, la petite rousse fit un signal de ses bras. En un clin d'œil toutes partirent, à toutes jambes.

– Courez donc, mais courez donc! dirent à Veltchaninov dix voix inquiètes de le voir rester en place.

– Qu'y a-t-il donc? Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-il, en se mettant à courir derrière elles.

– Pas si haut! ne criez pas! Il faut le laisser debout là-bas, à regarder son mur, et nous sauver. Voilà Nastia qui se sauve aussi.

Nastia, la petite rousse, courait à perdre haleine, en agitant ses bras. Bientôt elles se furent toutes enfuies jusqu'à l'autre bout du jardin, derrière l'étang. Lorsque Veltchaninov y parvint à son tour, il vit que Katerina faisait de très vifs reproches à ses compagnes, surtout à Nadia et Maria Nikitichna.

– Katia, ma colombe, ne te fâche pas! disait Nadia en l'embrassant.

– Allons, je ne dirai rien à maman, mais je m'en vais, car ce n'est pas bien du tout. Que doit-il penser, le pauvre homme, là-bas, devant son mur!

Elle partit, mais les autres n'eurent ni compassion, ni regrets. Elles insistèrent très vivement auprès de Veltchaninov pour qu'il ne fît semblant de rien lorsque Pavlovitch viendrait les rejoindre.

– Et maintenant, jouons toutes aux quatre coins! cria la petite rousse, toute ravie.

Pavel Pavlovitch fut au moins un quart d'heure avant de rejoindre la société: il était effectivement resté plus de dix minutes debout devant son mur. Quand il arriva, le jeu marchait avec entrain, toutes criaient et riaient. Fou de colère, Pavel Pavlovitch courut droit à Veltchaninov, et lui prit le bras.

– Une petite minute, je vous prie!

– Allons bon, encore l'autre avec sa petite minute!

– Il demande encore un mouchoir! firent des voix.

– Cette fois, c'est bien vous… c'est votre faute…

Pavel Pavlovitch ne put rien dire de plus: il claquait des dents.

Veltchaninov l'engagea très amicalement à être plus gai:

– Si l'on vous taquine, c'est parce que vous êtes de mauvaise humeur, lorsque tout le monde est gai.

À son grand étonnement, son conseil détermina chez Pavel Pavlovitch un changement complet d'attitude; il devint calme sur-le-champ, revint se mêler à la société comme si ç'avait été sa faute, et prit part à tous les jeux; au bout d'une demi-heure, il avait retrouvé sa gaieté. Dans tous les jeux, il faisait la paire, lorsqu'il y avait lieu, avec la petite rousse, ou avec l'une des Zakhlébinine. Ce qui mit le comble à l'étonnement de Veltchaninov, c'est que pas une seule fois il n'adressa la parole à Nadia, bien qu'il se tînt toujours très près d'elle. Il paraissait accepter sa situation comme chose due, naturelle. Mais vers la fin de la journée, l'occasion se représenta de lui jouer un tour.

On jouait à cache-cache. Il était permis d'aller se cacher où l'on voulait. Pavel Pavlovitch, qui avait réussi à se dissimuler dans un buisson épais, eut soudain l'idée de courir se cacher dans la maison. On l'aperçut et ce furent des cris. Il monta l'escalier quatre à quatre jusqu' à l'entresol; il y connaissait une excellente cachette, derrière une commode. Mais la petite rousse grimpa derrière lui, se glissa sur la pointe des pieds, jusqu'à la porte de la chambre où il était réfugié, et la ferma à clef. Tous, comme ils avaient fait tout à l'heure, continuèrent à jouer, et coururent par-delà l'étang, à l'autre bout du jardin. Au bout de dix minutes, Pavel Pavlovitch, voyant qu'on ne le cherchait plus, mit la tête à la fenêtre. Plus personne! Il n'osa pas appeler, de crainte de troubler les parents; et puis, les domestiques avaient reçu l'ordre formel de ne pas paraître, et de ne pas répondre à l'appel de Pavel Pavlovitch. Katerina seule aurait pu lui être secourable; mais elle était rentrée dans sa chambre et s'y était endormie. Il resta ainsi près d'une heure. Enfin les jeunes filles se montrèrent, passèrent par deux ou trois, comme par hasard.

– Pavel Pavlovitch, pourquoi donc ne venez-vous pas nous rejoindre? Si vous saviez comme c'est amusant! Nous jouons au théâtre; Alexis Ivanovitch fait le jeune premier.

– Pavel Pavlovitch, pourquoi ne descendez-vous pas? Vous êtes bien étonnant, dirent en passant d'autres jeunes filles.

– Pourquoi donc étonnant? fit tout à coup la voix de madame Zakhlébinine, qui venait de se réveiller, et qui se décidait à faire un tour au jardin, en attendant le thé, pour voir les jeux des «enfants».