Выбрать главу

Maintenant, je regarde avec plus d'audace dans tes yeux. J'approche mes lèvres, et, sans force pour entendre,

Je veux t'embrasser, t'embrasser, t'embrasser!

Je veux t'embrasser, t'embrasser, t'embrasser!

Nadia trembla de peur, et recula; une rougeur couvrit ses joues, et il y eut comme un éclair qui passa de Veltchaninov à son visage tout bouleversé de confusion et presque de honte. Les autres auditeurs furent à la fois ravis et déconcertés: chacun semblait dire qu'il était vraiment déplacé de chanter de la sorte, et en même temps tous ces jeunes visages et tous ces petits yeux brillaient et étincelaient. La figure de Katerina Fédoséievna était si rayonnante que Veltchaninov la trouva presque jolie.

– Voilà une belle romance! murmura le vieux Zakhlébinine avec un peu d'embarras. Mais… n'est-ce pas trop violent? C'est beau, mais violent…

– C'est violent…, voulut dire à son tour sa femme.

Mais Pavel Pavlovitch ne lui laissa pas le temps d'achever, il bondit en avant, comme un fou, prit Nadia par le bras et la repoussa loin de Veltchaninov, se campa devant celui-ci, le regarda d'un œil éperdu, les lèvres tremblantes.

– Une petite minute, je vous prie, put-il dire enfin.

Veltchaninov comprit aussitôt que, s'il tardait le moins du monde, ce personnage en viendrait à des démarches dix fois plus absurdes; il le saisit par le bras, et, sans prendre garde à la surprise de tous, il l'emmena sur la terrasse, descendit avec lui au jardin, où déjà il faisait presque nuit.

– Comprenez-vous qu'il faut à l'instant même partir avec moi? dit Pavel Pavlovitch.

– Mais je ne comprends pas du tout…

– Rappelez-vous, poursuivit Pavel Pavlovitch, avec rage, rappelez-vous que vous m'avez pressé de vous dire tout, oui, tout, sincèrement, jusqu'au bout! Vous vous rappelez? Eh bien, le moment est venu… Allons!

Veltchaninov réfléchit, regarda encore une fois Pavel Pavlovitch, et consentit à partir.

Ce départ imprévu désola les parents et exaspéra les jeunes filles.

– Au moins, acceptez encore une tasse de thé, supplia madame Zakhlébinine.

– Mais enfin, qu'as-tu donc à être si agité? demanda le vieillard d'un ton sévère et mécontent à Pavel Pavlovitch, qui souriait et se taisait.

– Pavel Pavlovitch, pourquoi emmenez-vous Alexis Ivanovitch? gémirent les jeunes filles, en le regardant d'un œil furieux.

Nadia lui jeta un regard si dur qu'il fit une grimace; mais il ne céda pas.

– C'est qu'en effet Pavel Pavlovitch m'a rendu le service de me rappeler une affaire extrêmement importante, que j'allais oublier, dit Veltchaninov en souriant.

Il serra la main au père, s'inclina devant les jeunes filles, et plus particulièrement devant Katia, ce qui fut encore remarqué.

– Merci d'être venu nous voir; nous en serons toujours enchantés, tous, dit avec insistance le vieux Zakhlébinine.

– Oh! oui, nous sommes si enchantés…, reprit la mère, chaleureusement.

– Vous reviendrez, Alexis Ivanovitch, vous reviendrez! criaient les jeunes filles du haut du perron, tandis qu'il montait en voiture avec Pavel Pavlovitch.

Et une petite voix ajoutait, plus bas que les autres:

– Oh oui! revenez! cher, cher Alexis Ivanovitch!

– Cela, c'est la petite rousse, songea Veltchaninov.

XIII DE QUEL COTÉ PENCHE LA BALANCE

Il songeait encore à la petite rousse, et pourtant le regret et le mécontentement de lui-même lui brûlaient le cœur depuis longtemps. Au cours de cette journée, qui, en apparence, avait été si gaie, la tristesse ne l'avait pas quitté. Avant qu'il se mît à chanter, il ne savait plus comment s'en affranchir; peut-être est-ce pour cette raison qu'il avait chanté avec un tel élan.

«Et j'ai pu, moi, m'abaisser à ce point… tout oublier!» songea-t-il.

Mais aussitôt il coupa court à ses remords. Il lui semblait humiliant de gémir sur lui-même; il eût cent fois mieux aimé faire passer tout de suite sa colère sur un autre.

– L'imbécile! grommela-t-il avec colère, en jetant un coup d'œil en dessous vers Pavel Pavlovitch assis sans mot dire à ses côtés, dans la voiture.

Pavel Pavlovitch restait obstinément silencieux: il semblait se ramasser sur lui-même et se préparer. De temps à autre, d'un geste impatient, il ôtait son chapeau, et s'essuyait le front de son mouchoir.

– Il est en nage! grogna Veltchaninov.

Une seule fois, Pavel Pavlovitch ouvrit la bouche pour demander au cocher si l'orage éclaterait ou non.

– Bien sûr! et pour de bon! On a cuit toute la journée.

En effet le ciel s'obscurcissait, rayé parfois d'éclairs encore lointains. Il était dix heures et demie quand ils entrèrent en ville.

– Je vous accompagne chez vous, dit Pavel Pavlovitch en se tournant vers Veltchaninov, quand ils furent arrivés assez près de sa maison.

– Je le vois bien; seulement je vous préviens que je me sens très sérieusement indisposé.

– Oh! je ne m'arrêterai pas longtemps.

Lorsqu'ils passèrent devant la loge, Pavel Pavlovitch s'écarta un moment pour aller parler à Mavra.

– Qu'êtes-vous allé dire? lui demanda sévèrement Veltchaninov, quand il l'eut rejoint, et qu'ils entrèrent dans sa chambre.

– Oh! rien… Le cocher…

– Vous savez, vous n'aurez pas à boire!

L'autre ne répondit pas. Veltchaninov alluma une bougie. Pavel Pavlovitch s'installa dans le fauteuil. Veltchaninov se planta devant lui, les sourcils froncés.

– Je vous ai promis de vous dire, moi aussi, mon dernier mot, dit-il avec une agitation intérieure qu'il parvenait encore à maîtriser. Eh bien! le voilà, ce mot: j'estime que tout est définitivement réglé entre nous à tel point que nous n'avons plus rien à nous dire… Vous entendez, plus rien; et par conséquent, le mieux est que vous vous en alliez tout de suite, et que je ferme ma porte sur vous.

– Réglons nos comptes, Alexis Ivanovitch! dit Pavel Pavlovitch, en le regardant au fond des yeux d'une manière extrêmement douce.

– Comment: «Réglons nos comptes»? répondit Veltchaninov prodigieusement surpris. Quelle expression étrange!… Et quels comptes?… Ah! c'est donc cela votre «dernier mot», la révélation que vous me promettiez tout à l'heure!

– C'est cela même.

– Nous n'avons plus de comptes à régler, il y a longtemps que tout est réglé! répliqua Veltchaninov d'un air hautain.

– Vraiment! vous croyez? reprit Pavel Pavlovitch sur un ton pénétré.

Et en même temps il faisait le geste bizarre de joindre les mains et de les porter à sa poitrine.

Veltchaninov se tut, et marcha de long en large par la chambre. Le souvenir de Lisa lui emplit le cœur: ce fut comme un appel plaintif.

– Allons, voyons, quels sont ces comptes que vous voulez régler? fit-il après un long silence, en s'arrêtant devant lui, les sourcils froncés.

Pavel Pavlovitch n'avait cessé de le suivre de l'œil, les mains jointes contre sa poitrine.