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– ah! çà, voyons, tu crois qu'à l'heure actuelle, on évoque le Diable, qu'on célèbre encore des messes noires?

– oui.

– tu en es sûr?

– parfaitement.

– tu me stupéfies; -mais, saperlotte, sais-tu bien, mon vieux, que si je voyais de telles choses, cela m'aiderait singulièrement pour mon travail.

Sans blague, tu crois à un courant démoniaque contemporain, tu as des preuves?

– oui, et de cela nous causerons plus tard, car aujourd'hui, je suis pressé. -tiens, demain soir, chez Carhaix où nous dînons, comme tu sais. – je viendrai te prendre. -au revoir; en attendant, médite ce mot que tu appliquais tout à l'heure aux magiciens: " s'ils étaient entrés dans l'Eglise, ils n'auraient voulu être que Cardinaux ou Papes ", et songe en même temps combien est affreux le clergé de nos jours!

L'explication du diabolisme moderne est là, en grande partie, du moins, car il n'y a pas, sans prêtre sacrilège, de satanisme mûr.

– mais enfin qu'est-ce qu'ils veulent, ces prêtres-là?

– tout, fit Des Hermies.

– comme Gilles De Rais alors, qui demandait au Démon " science, pouvoir, richesse ", tout ce que l'humanité envie, dans des cédules signées de son propre sang!

CHAPITRE V

E ntrez vite et chauffez-vous; ah! Messieurs, nous finirons tout de même par nous fâcher, dit Mme Carhaix en voyant Durtal retirer des bouteilles enveloppées de sa poche et Des Hermies déposer des petits paquets ficelés sur la table; non vraiment, vous dépensez trop.

– mais puisque ça nous amuse, Madame Carhaix; et votre mari?

– il est là-haut; depuis ce matin, il ne dérage pas!

– dame, le froid est aujourd'hui terrible, fit Durtal, et elle ne doit pas être drôle la tour, par un tel temps!

– oh! Ce n'est pas pour lui qu'il grogne, c'est pour ses cloches! -mais débarrassez-vous donc!

Ils enlevèrent leurs paletots et s'approchèrent du poêle.

– il ne fait pas bien chaud, ici! Reprit-elle; ce logement, voyez-vous, il faudrait pour le dégeler un feu qui marchât sans interruption, nuit et jour.

– achetez un poêle mobile.

– non, par exemple, on s'asphyxierait ici!

– ce ne serait pas, en tout cas, commode, fit Des Hermies, car il n'y a pas de cheminées. Il est vrai qu'avec des tuyaux de rallonge qu'on amènerait comme le tuyau de tirage du poêle qui est là jusqu'à la fenêtre… mais, à propos de ces appareils, te rends-tu compte, Durtal, combien ces hideux boudins de tôle représentent l'époque utilitaire où nous sommes.

Songes-y; l'ingénieur que tout objet qui n'a pas une forme sinistre ou ignoble, offense, s'est tout entier révélé dans cette invention. Il nous dit: vous voulez avoir chaud, vous aurez chaud- mais rien de plus; il ne faut pas que quelque chose d'agréable pour la vue subsiste. Plus de bois qui crépite et chante, plus de chaleur légère et douce! L'utile, sans la fantaisie de ces beaux glaïeuls de flammes qui jaillissent dans le brasier sonore des bûches sèches.

– mais est-ce qu'il n'y a pas de ces poêles-là, où l'on voit le feu? Demanda Mme Carhaix.

– oui et c'est pis! Du feu derrière un guichet de mica, de la flamme en prison, c'est plus triste encore!

Ah! Les belles bourrées à la campagne, les sarments qui sentent bon et dorent les pièces! La vie moderne a mis ordre à cela. Ce luxe du plus pauvre des paysans est impossible à Paris, pour les gens qui n'ont pas de copieuses rentes.

Le sonneur entra; avec sa moustache hérissée, piquée à chaque bout de poils d'un globule blanc, avec son passe-montagne en tricot, sa pelisse en peau de mouton, ses moufles fourrés, ses galoches, il ressemblait à un Samoyède, descendu du pôle.

– je ne vous donne pas la main, dit-il, car je suis plein de graisse et d'huile. Quel temps!

Imaginez-vous que, depuis ce matin, j'astique les cloches… et je ne suis pas sans crainte!

– et pourquoi?

– comment pourquoi? Mais vous savez bien que la gelée contracte le métal, qui se fêle ou qui se rompt. Il y a eu des grands hivers où, allez, on en a bien perdu, car ça souffre comme nous de ce temps-là, les cloches!

Tu as de l'eau chaude, ma bonne, dit-il, en passant, pour se laver, dans l'autre pièce?

– voulez-vous que nous vous aidions à finir de mettre le couvert? Proposa Des Hermies.

Mais la femme de Carhaix refusa.

– non, non, asseyez-vous, le dîner est prêt.

– et il embaume, s'écria Durtal, humant l'odeur d'un pétulant pot-au-feu qu'éperonnait une pointe de céleri affiliée aux parfums des autres légumes.

– a table! Clama Carhaix qui reparut, débarbouillé, en vareuse.

Ils s'assirent; le poêle attisé ronflait; Durtal éprouvait la soudaine détente d'une âme frileuse presque évanouie dans un bain de fluides tièdes; il se trouvait avec les Carhaix, si loin de Paris, si loin de son siècle!

Ce logis était bien pauvre, mais il était si cordial, si mollet, si doux! Jusqu'à ce couvert de campagne, ces verres propres, cette fraîche assiettée de beurre demi-sel, cette cruche à cidre, qui aidaient à l'intimité de cette table éclairée par une lampe un peu usée qui répandait ses lueurs d'argent dédoré sur la grosse nappe.

Tiens, la première fois que nous viendrons, il faudra que j'achète dans une maison anglaise un de ces pots de marmelade à l'orange si délicieusement sures, se dit Durtal; car d'un commun accord avec Des Hermies, ils ne dînaient chez le sonneur qu'en fournissant une partie des plats.

Carhaix apprêtait un pot-au-feu et une simple salade et il versait son cidre. Pour ne pas lui infliger de frais, ils apportaient le vin, le café, l'eau-de-vie, les desserts, et ils s'arrangeaient de façon à ce que les reliefs de leurs emplettes compensassent la dépense de la soupe et du boeuf qui auraient certainement duré plusieurs jours, si les Carhaix eussent mangé seuls.

– cette fois-ci, ça y est! Dit la femme, en servant à la ronde un bouillon couleur d'acajou, moiré à sa surface d'ondes mordorées, bullé d'oeils en topaze.

Il était succulent et onctueux, robuste et pourtant délicat, affiné qu'il était par des abats bouillis de poule.

Tous se taisaient maintenant, le nez dans l'assiette, la figure ranimée par la fumigation de l'odorante soupe.

– ce serait le moment de répéter le lieu commun cher à Flaubert: on n'en mange pas comme cela, au restaurant, fit Durtal.

– ne débinons point les restaurants, dit Des Hermies. Ils dégagent une joie très spéciale pour les gens qui savent les inspecter. Tenez, il y a de cela deux jours: je revenais de visiter un malade, j'échoue dans un de ces établissements où, pour la somme de trois francs, l'on a droit à un potage, deux plats au choix, une salade et un dessert.

Ce restaurant, où je vais à peu près une fois par mois, possède d'immuables clients, des gens bien élevés et hostiles, des officiers en bourgeois, des membres du Parlement, des bureaucrates.

Tout en chipotant la sauce au gratin d'une redoutable sole, je regardais ces habitués qui m'entouraient et je les trouvais singulièrement changés depuis ma dernière visite. Ils avaient maigri ou s'étaient boursouflés; les yeux étaient cernés de violet et creux ou pochés en dessous de besaces roses; les gens gras avaient jauni; les maigres devenaient verts.

Plus sûrs que les vénéfices oubliés des Exili, les terribles mixtures de cette maison empoisonnaient lentement sa clientèle.

Cela m'intéressait, comme vous pouvez croire; je me faisais à moi-même un cours de toxicologie et je découvrais, en m'étudiant à manger, les effroyables ingrédients qui masquaient le goût des poissons désinfectés, de même que des cadavres, par des mélanges pulvérulents de charbon et de tan, des viandes fardées par des marinades, peintes avec des sauces couleur d'égout, des vins colorés par les fuschines, parfumés par les furfurols, alourdis par les mélasses et les plâtres!