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Puis, en dehors de ces associations universelles ou de ces assemblées locales, les cas isolés abondent, sur lesquels la lumière si difficilement allumée, clignote. Il y a quelques années, mourut, au loin, dans la pénitence, un certain comte De Lautrec qui faisait don aux églises de statues pieuses qu'il maléficiait pour sataniser les fidèles? à Bruges, un prêtre que je connais contamine les Saints Ciboires, s'en sert pour apprêter des malengins et des sorts; enfin, l'on peut, entre tous, citer un cas très net de possession; c'est le cas de Cantianille qui bouleversa, en 1865, non seulement la ville d'Auxerre, mais encore tout le diocèse de Sens.

Cette Cantianille, placée dans un couvent de Mont-saint-sulpice, fut violée, dès qu'elle eut atteint sa quinzième année, par un prêtre qui la voua au diable. Ce prêtre avait été, lui-même, pourri, dès son enfance, par un ecclésiastique qui faisait partie d'une secte de possédés, créée le soir même du jour où fut guillotiné Louis Xvi.

Ce qui se passa dans ce couvent où plusieurs nonnes, évidemment exaspérées par l'hystérie, s'associèrent aux démences érotiques et aux rages sacrilèges de Cantianille, rappelle à s'y méprendre les procès de la magie d'antan, les histoires de Gaufredy et de Madeleine Palud, d'Urbain Grandier et de Madeleine Bavent, du jésuite Girard et de La Cadière, des histoires sur lesquelles il y aurait, au point de vue de l'hystéro-épilepsie, d'une part, et du diabolisme, de l'autre, beaucoup à dire. Toujours est-il que Cantianille, renvoyée du couvent, fut exorcisée par un certain prêtre du diocèse, l'abbé Thorey, dont la cervelle ne paraît pas avoir bien résisté à ces pratiques. Ce fut bientôt, à Auxerre, de telles scènes scandaleuses, de telles crises diaboliques, que l'Evêque dut intervenir.

Cantianille fut chassée du pays; l'abbé Thorey fut frappé disciplinairement et l'affaire alla à Rome.

Ce qui est aussi curieux, c'est que l'Evêque, terrifié par ce qu'il avait vu, donna sa démission et se retira à Fontainebleau où il mourut, encore dans l'effroi, deux ans après.

– mes amis, dit Carhaix qui consulta sa montre, il est huit heures moins le quart; il faut que je monte dans le clocher pour sonner l'angélus du soir; ne m'attendez pas, prenez le café; je vous rejoins dans dix minutes.

Il endossa son costume du Groënland, alluma une lanterne et ouvrit la porte; une bouffée de vent glacial entra; des molécules blanches tourbillonnèrent dans le noir.

– le vent chasse la neige par les meurtrières dans l'escalier, dit la femme; j'ai toujours peur que Louis n'attrape une fluxion de poitrine par ces temps; tenez, Monsieur Des Hermies, voilà le café; je vous laisse le soin de le servir; à cette heure, mes pauvres jambes ne me tiennent plus; il faut que j'aille les étendre.

– le fait est, soupira Des Hermies, lorsqu'ils lui eurent souhaité une bonne nuit, le fait est qu'elle vieillit joliment, la maman Carhaix; j'ai beau essayer de la remonter par des toniques, je n'avance point d'un pas; la vérité, c'est qu'elle est élimée jusqu'à la corde; elle a monté par trop d'escaliers, dans sa vie, la pauvre femme!

– c'est tout de même curieux ce que tu m'as raconté, dit Durtal; en somme, dans le moderne, le grand jeu du Satanisme, c'est la messe noire!

– oui, et l'envoûtement et l'incubat et le succubat dont je te parlerai ou plutôt dont je te ferai parler par un autre plus expert que moi en ces matières. -messe sacrilège, maléfices et succubat, c'est la véridique quintessence du Satanisme!

– et ces hosties consacrées dans des offices blasphématoires, quel usage en faisait-on, lorsqu'on ne les déchirait pas?

– mais, je te l'ai dit, on les employait à des actes infâmes. Tiens, écoute: -et Des Hermies retira de la bibliothèque du sonneur et feuilleta le tome v de la mystique de Goerres. Voici le bouquet:

" ces prêtres vont quelquefois, dans leur " scélératesse, jusqu'à célébrer la messe avec de " grandes hosties qu'ils coupent ensuite au milieu, " après quoi, ils les collent sur un parchemin " arrangé de la même manière et ils s'en servent " ensuite d'une façon abominable pour satisfaire " leurs passions. " -la Sodomie Divine, alors?

– dame!

A ce moment, la cloche, mise en branle dans la tour, bôomba. La chambre où se tenait Durtal trembla, se mit, en quelque sorte, à bourdonner. Il semblait que les ondes des sons sortissent des murs; qu'ils se déroulassent en spirale de la pierre même; il semblait que l'on fût transféré, en rêve, dans le fond de ces coquillages qui, lorsqu'on les approche de l'oreille, simulent le bruit roulant des vagues. Des Hermies, habitué au vacarme des cloches, ne s'inquiéta que du café, le mit au chaud sur le poêle.

Puis la cloche bôomba, plus lente, le bourdonnement s'éclaircit; les carreaux des fenêtres, les vitres de la bibliothèque, les verres restés sur la table se turent, n'eurent plus que des sons ténus et aigrelets, que des notes presque surettes.

L'on entendit un pas dans l'escalier. Carhaix rentra, couvert de neige.

– cristi, mes enfants, ça vente dur! -il se secoua, jeta sa défroque sur une chaise, éteignit sa lanterne. -il m'arrivait par les ouïes de la tour, au travers des lames, des abat-son, des pelletées de neige qui m'aveuglaient! Quel chien d'hiver! La bourgeoise s'est couchée, bon; eh bien, mais vous n'avez pas pris votre café?

Reprit-il en voyant Durtal qui le servait dans les verres.

Il se rapprocha du poêle, le tisonna, s'essuya les yeux que le grand froid avait remplis de larmes et il but une gorgée de café.

– maintenant, ça y est! Où en êtes-vous de vos histoires, Des Hermies?

– j'ai terminé le rapide exposé du Satanisme, mais je n'ai pas encore parlé du monstre authentique, du seul maître qui existe réellement, à l'heure présente, de cet abbé défroqué…

– oh! Fit Carhaix, prenez garde, le nom seul de cet homme porte malheur!

– bah! Le chanoine Docre, pour l'appeler par son nom, ne peut rien contre nous. J'avoue même que je ne comprends pas bien la terreur qu'il inspire; mais laissons cela; je voudrais qu'avant de nous occuper de cet homme, Durtal vît notre ami Gévingey, celui qui paraît le connaître le mieux et le plus à fond.

Une conversation avec lui simplifierait singulièrement les explications que je pourrais ajouter sur le Satanisme, surtout sur les vénéfices et le succubat. Voyons, voulez-vous que nous l'invitions à dîner ici?

Carhaix se gratta la tête, puis vida la cendre de sa pipe sur son ongle.

– c'est que, dit-il, nous sommes un peu en désaccord ensemble.

– tiens, pourquoi?

– oh! Pas pour des choses graves; j'ai interrompu ses expériences, ici même, un jour; mais versez-vous donc un petit verre, Monsieur Durtal, et vous, Des Hermies, vous ne buvez pas; et, tandis qu'en allumant des cigarettes, tous deux flûtaient quelques gouttes d'un cognac à peu près probe, Carhaix reprit:

– Gévingey qui, bien qu'astrologue, est un bon chrétien et un brave homme que je reverrais avec plaisir du reste, a voulu consulter mes cloches.

ça vous étonne, mais c'est ainsi; les cloches ont autrefois, dans les sciences défendues, joué un rôle. L'art de prédire l'avenir avec leurs sons est une des branches les plus inconnues et les plus abandonnées de l'occulte. Gévingey a retrouvé des documents et il a voulu les vérifier dans la tour.

– mais qu'est-ce qu'il faisait?

– est-ce que je sais! Il se posait sous la cloche, au risque de se casser les reins, à son âge, dans les charpentes; il entrait à moitié dedans, se coiffait, en quelque sorte, jusqu'aux hanches, de ce calice. Et il parlait tout seul et il écoutait les frémissements du bronze répercutant sa voix.

Il m'a causé aussi de l'interprétation des songes, à propos des cloches; à l'entendre, celui qui, pendant son sommeil, voit des cloches en branle est menacé d'un accident; si la cloche carillonne, c'est présage de médisance; si elle tombe, c'est certitude d'ataxie; si elle se rompt, c'est assurance d'afflictions et de misères. Enfin, il a ajouté, je crois, que lorsque des oiseaux de nuit volent autour d'une cloche éclairée par la lune, l'on peut être sûr qu'un vol sacrilège sera commis dans l'église ou que le curé risque la mort.