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Tiens, il renferme des adjurations bizarres. En voici pour les énergumènes et les envoûtés; en voilà contre les philtres d'amour et contre la peste; il y en a aussi contre les sorts jetés aux comestibles; il y en a même qui objurguent le beurre et le lait de ne pas tourner!

C'est égal, ils mettaient le diable à toutes les sauces dans le bon temps. Et ça, qu'est-ce que c'est? Il tenait en main deux petits volumes à tranches cramoisies, reliés en veau fauve. Il les ouvrit, regarda le titre, c'était " l'anatomie de le messe ", par Pierre Du Moulin, avec cette date: Genève, 1624.

C'est peut-être intéressant. Il alla se chauffer les pieds, parcourut l'un de ces tomes, du bout des doigts. Hé! Fit-il, mais c'est très bien!

Il était question dans la page qu'il lisait du sacerdoce. L'auteur affirmait que nul ne devait exercer la prêtrise, s'il n'était sain de corps ou s'il était amputé d'un membre, et, se demandant à ce propos si un homme châtré pouvait être ordonné prêtre, il se répondait: " non, à moins qu'il ne porte sur soi, réduites en poudre, les parties qui lui défaillent. " il ajoutait cependant que le Cardinal Tolet n'admettait pas cette interprétation qui était néanmoins adoptée par tous.

Durtal poursuivit, égayé, cette lecture. Maintenant du Moulin se consultait sur le point de savoir s'il y avait lieu d'interdire les abbés ravagés par la luxure. Et il se citait, en réponse, la mélancolique glose du Canon Maximianus qui, dans sa distinction 81, soupire: " on dit communément que nul ne doit être déposé de sa charge pour fornication, vu que peu se trouvent qui soient exempts de ce vice. " -tiens, te voilà, dit Des Hermies qui entra.

Qu'est-ce que tu lis? " l'anatomie de la messe ", c'est un mauvais livre de protestant! Je suis harassé, reprit-il, en jetant son chapeau sur une table. Oh! Mon ami, quelles brutes que tous ces gens! Et, comme un homme qui en a gros sur le coeur, il se débonda:

– oui, je viens d'assister à une consultation de ceux que les journaux qualifient de " princes de la science ". J'ai subi, pendant un quart d'heure, les avis les plus divers. Tous convenaient cependant que mon malade était perdu; ils ont fini par s'entendre et par torturer inutilement ce malheureux, en prescrivant les moxas!

J'ai timidement fait observer qu'il serait plus simple de chercher un confesseur et d'endormir ensuite les souffrances du moribond avec des injections répétées de morphine. Si tu avais vu leurs têtes! C'est tout juste s'ils ne m'ont pas traité de calotin.

Ah! Elle est bien la science contemporaine! Tout le monde découvre une maladie nouvelle ou perdue, tambourine une méthode oubliée ou neuve et personne ne sait rien; au reste, quand bien même l'on ne serait pas le dernier des ignares, à quoi cela servirait-il puisque la pharmacie est tellement sophistiquée qu'aucun médecin ne peut être sûr que ses ordonnances sont maintenant exécutées à la lettre? Un exemple entre autres:

à l'heure actuelle, le sirop de pavot blanc, le diacode de l'ancien codex, n'existe plus; on le fabrique avec de l'opium et du sirop de sucre, comme si c'était la même chose!

Nous en sommes arrivés à ne plus doser les substances, à prescrire des remèdes tout faits, à nous servir de ces surprenantes spécialités qui encombrent les quatrièmes pages des feuilles. C'est le petit bonheur de la maladie, la médecine égalitaire pour tous les cas; quelle honte et quelle bêtise!

Non, ce n'est pas pour dire, mais la vieille thérapeutique qui se basait sur l'expérience valait mieux; elle savait au moins que les remèdes ingérés sous forme de pilules, de granules, de bols, étaient infidèles, et elle ne les prescrivait qu'à l'état liquide! Puis maintenant, chaque médecin se spécialise; les oculistes ne voient que les yeux et pour les guérir, ils empoisonnent tranquillement le corps. Ce qu'avec leur pilocarpine, ils ont détruit pour jamais la santé des gens!

D'autres traitent les affections cutanées, refoulent des eczémas chez des vieillards qui deviennent, aussitôt guéris, gâteux ou fous. Il n'y a plus aucun ensemble; on s'attaque à une partie au détriment des autres; c'est le gâchis! Maintenant aussi mes honorables confrères pataugent, s'engouent de médications qu'ils ne savent même pas employer.

Tiens, l'antipyrine, pour en citer une; c'est un des seuls produits vraiment actifs que les chimistes aient depuis longtemps trouvés.

Eh bien, quel est le docteur qui sait qu'appliquée en compresse avec les eaux iodurées, froides de Bondonneau, l'antipyrine lutte contre ce mal réputé incurable, le cancer? -et si cela semble invraisemblable, c'est vrai pourtant!

– au fond, dit Durtal, tu crois que les anciens thérapeutes guérissaient mieux?

– oui, car ils connaissaient merveilleusement les effets de remèdes immuables et préparés sans dols.

Il est bien évident néanmoins que lorsque le vieux Paré préconisait la médecine des sachets, ordonnait à ses clients de porter des médicaments secs et pulvérisés dans un petit sac dont la forme variait, suivant la nature des maladies à joindre, affectait la forme d'une coiffe pour la tête, d'une cornemuse pour l'estomac, d'une langue de boeuf pour la rate, il n'obtenait probablement pas des résultats bien vifs! Sa prétention de traiter les gastralgies par des appositions de poudre de rose rouge, de corail et de mastic, d'absinthe et de menthe, de noix muscade et d'anis est pour le moins controuvée; mais il avait aussi d'autres systèmes, et souvent il guérissait, parce qu'il possédait la science des simples qui est maintenant perdue!

La médecine actuelle lève les épaules lorsqu'on lui parle d'Ambroise Paré; elle a beaucoup fait de gorges chaudes aussi lorsqu'on citait le dogme des alchimistes, affirmant que l'or domptait des maux; ce qui n'empêche que maintenant l'on se sert, à doses altérantes, de la limaille et des sels de ce métal. On use de l'arséniate d'or dynamisé contre les chloroses, du muriate contre la syphilis, du cyanure contre l'aménorrhée et les scrofules, du chlorure de sodium et d'or contre les vieux ulcères!

Non, je t'assure, c'est dégoûtant d'être médecin, car j'ai beau être docteur ès sciences et avoir roulé dans les hôpitaux, je suis très inférieur à d'humbles herboristes de campagne, à des solitaires, qui en connaissent-et cela je le sais-bien plus long que moi!

– et l'homoeopathie?

– oh! Elle a du mauvais et du bon. Elle aussi pallie sans guérir, réprime parfois les maladies, mais pour les cas graves et aigus, elle est débile, – tout autant que la doctrine Matteï qui est radicalement impuissante, alors qu'il s'agit de conjurer d'impérieuses crises!

Mais elle est utile, celle-là, comme moyen dilatoire, comme médication d'attente, comme intermède. Avec ses produits qui purifient le sang et la lymphe, avec son antiscrofoloso, son angiotico, son anticanceroso, elle modifie quelquefois des états morbides sur lesquels les autres méthodes échouent; elle permet, par exemple, à un malade éreinté par l'iodure de potassium de patienter, de gagner du temps, de se reconstituer, pour pouvoir recommencer à boire sans danger l'iodure!

J'ajoute que les douleurs fulgurantes si rebelles même aux chloroformes et aux morphines, cèdent souvent à une application d'électricité verte. Tu me demanderas peut-être avec quels ingrédients cette électricité liquide se fabrique? Je te répondrai que je n'en sais absolument rien. Matteï prétend qu'il a pu fixer dans ses globules et ses eaux les propriétés électriques de certaines plantes; mais il n'a jamais livré sa recette; il peut donc raconter les histoires qui lui conviennent. Ce qui est, en tout cas, curieux, c'est que cette médecine imaginée par un comte, catholique et romain, est surtout suivie et propagée par les pasteurs protestants dont l'originelle niaiserie se solennise dans les incroyables homélies qui accompagnent leurs essais de cure. Au fond, tout bien considéré, ces systèmes-là, c'est de la blague! -la vérité c'est qu'en thérapeutique on marche à l'aventure; néanmoins avec un peu d'expérience et beaucoup de veine, l'on parvient quelquefois à ne pas trop dépeupler les villes.