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– hier, j'ai vu combien vous me désiriez! Mais pourquoi, pourquoi vouloir en arriver là?

Il esquissa un vague geste de dépit.

– vous êtes tout de même singulier, reprit-elle.

J'ai relu l'un de vos livres, aujourd'hui et j'y ai noté cette phrase: " il n'y a de bon que les femmes que l'on a pas ", allons, avouez que vous aviez raison en l'écrivant!

– ça dépend, je n'étais pas amoureux alors!

Elle hocha la tête. -voyons, dit-elle, il faut que je prévienne mon mari que vous êtes là.

Durtal resta silencieux, se demandant quel rôle il jouait décidément dans ce ménage.

Chantelouve revint avec sa femme. Il était en robe de chambre et il avait la bouche barrée par un porte-plume.

Il le déposa sur la table, et après avoir assuré Durtal que sa santé s'était tout à fait remise, il se plaignit de labeurs écrasants, de fardeaux énormes.

J'ai dû renoncer à mes dîners et à mes réceptions, je ne vais même plus dans le monde, dit-il, je suis attelé, du matin au soir, devant ma table.

Et à une question de Durtal s'enquérant de la nature de ces travaux, il avoua toute une série de volumes sur des vies de Saints; de l'ouvrage à la grosse, non signé, commandé pour l'exportation par une maison de Tours.

– oui; et, dit en riant sa femme, ce sont des Saints vraiment négligés qu'il prépare.

Et comme Durtal réclamait du regard une explication, Chantelouve ajouta, riant à son tour: -elle dit vrai; les sujets me sont imposés et l'on dirait que l'éditeur se complaît à vouloir me faire célébrer la crasse! J'ai à décrire les bienheureux qui sont, pour la plupart, déplorablement sales: Labre, dont la vermine et la puanteur répugnaient les hôtes mêmes des étables; Sainte Cunégonde qui délaissait par humilité son corps; Sainte Opportune qui n'usa jamais d'eau et ne lava jamais son lit qu'avec ses larmes; Sainte Silvie qui ne se débarbouilla jamais la face; Sainte Radegonde qui ne changeait jamais de cilice et couchait sur un tas de cendre; et combien d'autres dont il me faut ceindre les têtes dépeignées d'une auréole d'or!

– il y a pis que cela, fit Durtal, lisez la vie de Marie Alacoque, vous y verrez que, pour se mortifier, elle ramassa avec sa langue les déjections d'une malade et suça, au doigt de pied d'un infirme, un apostume!

– je le sais, mais j'avoue que, loin de me toucher, ces saletés-là me répugnent.

– j'aime mieux Saint Luce le martyr, dit Mme Chantelouve. Celui-là avait le corps si transparent qu'il voyait au travers de sa poitrine des ordures dans son coeur; ces ordures sont pour nous, du moins, supportables. Au reste, reprit-elle, après un silence, ce manque de soins me ferait prendre en grippe les monastères et il me rendrait odieux votre Moyen Age!

– pardon, ma chère, dit le mari; mais vous commettez pour l'instant une grosse erreur: le Moyen Age n'a jamais été, comme vous le croyez, une époque sordide, car on y fréquentait assidûment les bains. A Paris, par exemple, où les établissements furent nombreux, les étuveurs parcouraient la ville, en criant que l'eau était chaude. C'est seulement à partir de la Renaissance que la crasse s'est implantée en France. Quand on songe que cette délicieuse reine Margot avait le corps macéré de parfums mais jambonné tel qu'un fond de poêle!

– et Henri iv qui se flattait d'avoir les pieds fumants et le gousset fin!

– mon ami, faites-nous grâce, je vous prie, de ces détails, dit la femme.

Durtal regardait pendant qu'il parlait, Chantelouve.

Il était rotond et petit, bedonnait de l'estomac, ceinturait à peine son ventre de ses deux bras. Il avait les joues rubicondes, les cheveux longs par derrière, très pommadés, ramenés en croissants le long des tempes.

Il portait du coton rose dans les oreilles, était complètement rasé, ressemblait à un notaire, bon vivant et pieux. Mais l'oeil, vif, fourbe, démentait cette mine joviale et confite; on devinait dans ce regard un homme d'affaires intrigant et madré, capable, sous ses abords mielleux, d'un mauvais coup.

– ce qu'il doit avoir envie de me ficher à la porte!

Se disait Durtal, car il n'ignore certainement pas les manigances de sa femme.

Mais si Chantelouve désirait se débarrasser de lui, il ne décelait guère. Les jambes croisées, les mains pliées, en un geste de prêtre, l'une sur l'autre, il paraissait s'intéresser fort maintenant aux travaux de Durtal.

Un peu incliné, écoutant ainsi qu'au théâtre, il répliquait: -oui, je connais la matière; j'ai lu, dans le temps un livre qui m'a semblé bien fait sur Gilles De Rais; c'était un volume de l'abbé Bossard.

– c'est même l'ouvrage le plus savant et le plus complet que l'on ait écrit sur le maréchal.

– mais, reprit, Chantelouve, il y a toujours un point que je ne comprends pas; je ne puis m'expliquer pourquoi Gilles de Rais fut surnommé Barbe-bleue, car son histoire n'a aucun rapport avec le conte du bon Perrault.

– la vérité, c'est que le vrai Barbe-bleue n'est pas Gilles de Rais, mais bien un roi breton appelé Cômor, dont un fragment de château existe encore, depuis le sixième siècle, sur les confins de la forêt de Carnoët. La légende est simple: ce roi demanda à Guérock, comte de Vannes, la main de sa fille Triphine. Guérock refusa parce qu'il avait ouï dire que ce roi constamment veuf, égorgeait ses femmes; enfin Saint Gildas lui promit de lui rendre sa fille saine et sauve quand il la réclamerait et l'union fut célébrée.

Quelques mois après, Triphine apprit qu'en effet Cômor tuait ses compagnes, dès qu'elles devenaient enceintes. Elle était grosse, elle s'enfuit, mais fut atteinte par son mari qui lui trancha le col.

Le père éploré somma Saint Gildas de tenir sa promesse et le Saint ressuscita Triphine.

Comme vous le voyez, cette légende se rapproche beaucoup plus que l'histoire de Barbe-bleue du vieux conte arrangé par l'ingénieux Perrault.

Maintenant, quant à vous dire comment et pourquoi le surnom de Barbe-bleue a émigré du roi Cômor au maréchal, je l'ignore; cela se perd dans la nuit des âges!

– mais, dites donc, vous devez brasser à pleins bras le satanisme avec votre Gilles de Rais, reprit Chantelouve, après un silence.

– oui, ce serait même intéressant, si ces scènes n'étaient pas aussi loin de nous; ce qui serait vraiment plus alléchant et moins désuet, ce serait de décrire le diabolisme de nos jours!

– sans doute, fit Chantelouve avec bonhomie.

– car, poursuivit Durtal qui le regardait, il se passe des choses inouïes pour l'instant! L'on m'a parlé de prêtres sacrilèges, d'un certain chanoine qui renouvellerait les scènes sabbatiques du Moyen Age.

Chantelouve ne broncha point. Tranquillement il déplia ses jambes et levant les yeux au plafond, il dit:

– mon dieu, il se peut que quelques brebis galeuses réussissent à se glisser dans le troupeau de notre clergé; mais celles-là sont si rares qu'elles ne valent même pas qu'on s'en occupe. -et il coupa la conversation, en parlant d'un livre sur la fronde qu'il venait de lire.

Durtal comprit que Chantelouve se refusait à parler de ses relations avec le chanoine Docre. Il garda le silence, un peu embarrassé.

– mon ami, fit Mme Chantelouve, en s'adressant à son mari, vous avez oublié de remonter votre lampe, elle charbonne; bien que la porte soit fermée, je sens la fumée d'ici.

Il sembla que ce fût un congé qu'elle signifiait.

Chantelouve se leva et, avec un vague ricanement, il s'excusa d'être obligé de continuer son oeuvre.

Il serra la main de Durtal, le pria de ne plus se montrer si rare et, ramenant les pans de sa robe de chambre sur son ventre, il quitta la place.

Elle le suivit des yeux, se leva, à son tour, s'en fut jusqu'à la porte, s'assura, d'un coup d'oeil, qu'elle était close, puis elle revint sur Durtal, adossé à la cheminée et, sans prononcer un mot, elle lui prit la tête entre les mains, posa les lèvres sur sa bouche et l'ouvrit.