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Ces préambules terminés, quelques jours après, les débats publics commencent. L'acte d'accusation, dressé en forme de réquisitoire, est lu, tout haut, devant l'accusé, devant le peuple qui tremble, alors que Chapeiron énumère, un à un, patiemment, les crimes, accuse formellement le maréchal d'avoir pollué et occis des petits enfants, d'avoir pratiqué les opérations de la sorcellerie et de la magie, d'avoir violé à Saint-étienne De Mer Morte, les immunités de la Sainte-eglise.

Puis, après un silence, il reprend son discours et, laissant de côté les meurtres, ne retenant plus alors que les crimes dont la punition, prévue par le droit canonique, pouvait être prononcée par l'église, il demande que Gilles soit frappé de la double excommunication, d'abord comme évocateur de démons, hérétique, apostat et relaps, ensuite comme sodomite et sacrilège.

Gilles qui a écouté ce réquisitoire tumultueux et serré, âpre et dense, s'exaspère. Il insulte les juges, les traite de simoniaques et de ribauds, et il refuse de répondre aux questions qu'on lui pose.

Le promoteur, les assesseurs, ne se lassent point; ils l'invitent à présenter sa défense. De nouveau, il les récuse, les outrage, puis lorsqu'il s'agit de les réfuter, il demeure muet.

Alors l'évêque et le vice-inquisiteur le déclarent contumace et prononcent contre lui la sentence d'excommunication qui est aussitôt rendue publique.

Ils décident en outre que les débats se poursuivront, le lendemain.

Un coup de sonnette interrompit la lecture que Durtal faisait de ses notes. Et des Hermies entra.

– je viens de voir Carhaix qui est souffrant, dit-il.

– tiens, qu'est-ce qu'il a?

– rien de grave, un peu de bronchite; il sera debout dans deux jours s'il consent à rester tranquille.

– j'irai le voir, demain, dit Durtal.

– et toi, que fais-tu, reprit des Hermies, tu travailles?

– mais oui, je pioche le procès du noble baron de Rais. Ce sera aussi ennuyeux à écrire qu'à lire!

– et tu ne sais toujours pas quand tu auras fini ton volume!

– non, répondit Durtal, en s'étirant. Au reste, je ne désire pas qu'il se termine. Que deviendrai-je alors? Il faudra chercher un autre sujet, retrouver la mise en train des chapitres du début si embêtants à poser; je passerai de mortelles heures d'oisiveté.

Vraiment, quand j'y songe, la littérature n'a qu'une raison d'être, sauver celui qui la fait du dégoût de vivre!

– et, charitablement, alléger la détresse des quelques-uns qui aiment encore l'art.

– ce qu'ils sont peu!

– et leur nombre va, en diminuant; la nouvelle génération ne s'intéresse plus qu'aux jeux de hasard et aux jockeys!

– oui, c'est exact; maintenant les hommes jouent et ne lisent plus; ce sont les femmes dites du monde qui achètent les livres et déterminent les succès ou les fours; aussi, est-ce à la dame, comme l'appelait Schopenhauer, à la petite oie, comme je la qualifierais volontiers, que nous sommes redevables de ces écuellées de romans tièdes et mucilagineux qu'on vante!

ça promet, dans l'avenir, une jolie littérature, car, pour plaire aux femmes, il faut naturellement énoncer, en un style secouru, les idées digérées et toujours chauves.

Oh! Et puis, reprit Durtal, après un silence, il vaut peut-être mieux qu'il en soit ainsi; les rares artistes qui restent n'ont plus à s'occuper du public; ils vivent et travaillent loin des salons, loin de la cohue des couturiers de lettres; le seul dépit qu'ils puissent honnêtement ressentir, c'est, quand leur oeuvre est imprimée, de la voir exposée aux salissantes curiosités des foules!

– le fait est, dit des Hermies, que c'est une véritable prostitution; la mise en vente, c'est l'acceptation des déshonorantes familiarités du premier venu; c'est la pollution, le viol consenti, du peu qu'on vaut!

– oui, c'est notre impénitent orgueil et aussi le besoin de misérables sous qui font qu'on ne peut garder ses manuscrits à l'abri des mufles; l'art devrait être ainsi que la femme qu'on aime, hors de portée, dans l'espace, loin; car enfin c'est avec la prière la seule éjaculation de l'âme qui soit propre! Aussi, lorsqu'un de mes livres paraît, je le délaisse avec horreur. Je m'écarte autant que possible des endroits où il bat sa retape. Je ne me soucie un peu de lui, qu'après des années, alors qu'il a disparu de toutes les vitrines, qu'il est à peu près mort; c'est te dire que je ne suis pas pressé de terminer l'histoire de Gilles qui malheureusement, tout de même, s'achève; le sort qui lui est réservé me laisse indifférent et je m'en désintéresserai même absolument quand elle paraîtra!

– dis donc, fais-tu quelque chose, ce soir?

– non, pourquoi?

– veux-tu que nous dînions ensemble?

– ça va!

Et tandis que Durtal enfilait ses bottines, des Hermies reprit:

– ce qui me frappe encore dans le monde soi-disant littéraire de ce temps c'est la qualité de son hypocrisie et de sa bassesse; ce que, par exemple, ce mot de dilettante aura servi à couvrir de turpitudes!

– certes, car il permet les plus fructueux des ménagements; mais ce qui est plus confondant, c'est que tout critique qui se le décerne maintenant comme un éloge, ne se doute même pas qu'il se soufflette; car enfin, tout cela se résume en un illogisme. Le dilettante n'a pas de tempérament personnel, puisqu'il n'exècre rien et qu'il aime tout; or, quiconque n'a pas de tempérament personnel n'a pas de talent.

– donc, reprit des Hermies, en mettant son chapeau, tout auteur qui se vante d'être un dilettante, avoue par cela même qu'il est un écrivain nul!

– dame!

C HAPITRE XVII

Vers la fin de l'après-midi, Durtal interrompit son travail et monta aux tours de Saint-sulpice.

Il trouva Carhaix étendu dans une chambre qui attenait à celle où d'habitude ils dînaient. Ces pièces étaient semblables, avec leurs murs de pierre, sans papier de tenture, et leurs plafonds en voûte; seulement, la chambre à coucher était plus sombre; la croisée ouvrait sa demi roue, non plus sur la place Saint-sulpice, mais sur le derrière de l'église dont le toit la noyait d'ombre. Cette cellule était meublée d'un lit de fer, garni d'un sommier musical et d'un matelas, de deux chaises de canne, d'une table recouverte d'un vieux tapis. Au mur nu, un crucifix sans valeur, fleuri de buis sec, et c'était tout.

Carhaix était assis sur son séant dans son lit et il parcourait des papiers et des livres. Il avait les yeux plus aqueux, le visage plus blême que de coutume; sa barbe, qui n'était pas rasée depuis plusieurs jours, poussait en taillis grisonnants sur ses joues caves; mais un bon sourire rendait affectueux, presque avenants ses pauvres traits.

Aux questions que lui posa Durtal, il répondit: – ce n'est rien; des Hermies m'autorise à me lever demain; mais quelle affreuse drogue! -et il montra une potion dont il prenait une cuillerée, d'heure en heure.

– qu'avalez-vous là? Demanda Durtal.

Mais le sonneur l'ignorait. Pour lui éviter sans doute des frais, des Hermies lui apportait lui-même la bouteille à boire.

– vous vous ennuyez au lit?

– vous pensez! Je suis obligé de confier mes cloches à un aide qui ne vaut rien. Ah! Si vous l'entendiez sonner! Moi, ça me donne des frissons, ça me crispe…

– ne te fais donc pas ainsi du mauvais sang, dit la femme; dans deux jours, tu pourras les sonner, toi-même, tes cloches!

Mais il poursuivait ses plaintes. -vous ne savez pas, vous autres; voilà des cloches qui ont l'habitude d'être bien traitées; c'est comme les bêtes, ces instruments-là, ça n'obéit qu'à son maître. Maintenant elles déraisonnent, elles brimballent, elles sonnent la gouille; c'est tout juste si d'ici je reconnais leurs voix!