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– " et toi, toi, qu'en ma qualité de prêtre, je force, que tu le veuilles ou non, à descendre dans cette hostie, à t'incarner dans ce pain, Jésus, artisan des supercheries, larron d'hommages, voleur d'affection, écoute! Depuis le jour où tu sortis des entrailles ambassadrices d'une vierge, tu as failli à tes engagements, menti à tes promesses; des siècles ont sangloté, en t'attendant, Dieu fuyard, Dieu muet!

Tu devais rédimer les hommes et tu n'as rien racheté; tu devais apparaître dans ta gloire et tu t'endors! Va, mens, dis au misérable qui t'appelle: " espère, patiente, souffre, l'hôpital des " âmes te recevra, les anges t'assisteront, le ciel " s'ouvre ". – imposteur! Tu sais bien que les anges, dégoûtés de ton inertie, s'éloignent! -tu devais être le truchement de nos plaintes, le chambellan de nos pleurs, tu devais les introduire près du père et tu ne l'as point fait, parce que sans doute cette intercession dérangeait ton sommeil d'éternité béate et repue!

" tu as oublié cette pauvreté que tu prêchais. Vassal énamouré des banques! Tu as vu sous le pressoir de l'agio broyer les faibles, tu as entendu les râles des timides perclus par les famines, des femmes éventrées pour un peu de pain et tu as fait répondre par la chancellerie de tes simoniaques, par tes représentants de commerce, par tes papes, des excuses dilatoires, des promesses évasives, basochien de sacristie, Dieu d'affaires!

" monstre, dont l'inconcevable férocité engendra la vie et l'infligea à des innocents que tu oses condamner, au nom d'on ne sait quel péché originel, que tu oses punir, en vertu d'on ne sait quelles clauses, nous voudrions pourtant bien te faire avouer enfin tes impudents mensonges, tes inexpiables crimes!

Nous voudrions taper sur tes clous, appuyer sur tes épines, t'amener le sang douloureux au bord de tes plaies sèches!

" et cela, nous le pouvons et nous allons le faire, en violant la quiétude de ton corps, profanateur des amples vices, abstracteur des puretés stupides, Nazaréen maudit, roi fainéant, Dieu lâche! " -amen, crièrent les voix cristallines des enfants de choeur.

Durtal écoutait ce torrent de blasphèmes et d'insultes; l'immondice de ce prêtre le stupéfiait; un silence succéda à ces hurlements; la chapelle fumait dans la brume des encensoirs. Les femmes jusqu'alors taciturnes s'agitèrent, alors que, remonté à l'autel, le chanoine se tourna vers elles et les bénit, de la main gauche, d'un grand geste.

Et soudain les enfants de choeur agitèrent des sonnettes.

Ce fut comme un signal; des femmes tombées sur les tapis se roulèrent. L'une sembla mue par un ressort, se jeta sur le ventre et rama l'air avec ses pieds; une autre subitement atteinte d'un strabisme hideux, gloussa, puis, devenue aphone, resta, la mâchoire ouverte, la langue retroussée, la pointe dans le palais, an haut; une autre, bouffie, livide, les pupilles dilatées, se renversa la tête sur les épaules puis la redressa d'un jet brusque, et se laboura en râclant la gorge avec ses ongles; une autre encore, étendue sur les reins, défit ses jupes, sortit une panse nue, météorisée, énorme, puis se tordit en d'affreuses grimaces, tira, sans pouvoir la rentrer, une langue blanche déchirée sur les bords, d'une bouche en sang, hersée de dents rouges.

Du coup, Durtal se leva pour mieux voir, et distinctement, il entendit et il aperçut le chanoine Docre.

Il contemplait le Christ qui surmontait le tabernacle, et, les bras écartés, il vomissait d'effrayants outrages, gueulait, à bout de force, des injures de cocher ivre. Un des enfants de choeur s'agenouilla devant lui, en tournant le dos à l'autel. Un frisson parcourut l'échine du prêtre. D'un ton solennel, mais d'une voix clignotante, il dit: " hoc est enim corpus meum ", puis, au lieu de s'agenouiller, après la consécration, devant le précieux corps, il fit face aux assistants et il apparut, tuméfié, hagard, ruisselant de sueur.

Il titubait entre les deux enfants de choeur qui, relevant la chasuble, montrèrent son ventre nu, le tinrent, tandis que l'hostie, qu'il ramenait devant lui, sautait, atteinte et souillée, sur les marches.

Alors Durtal se sentit frémir, car un vent de folie secoua la salle. L'aura de la grande hystérie suivit le sacrilège et courba les femmes; pendant que les enfants de choeur encensaient la nudité du pontife, des femmes se ruèrent sur le pain eucharistique et, à plat ventre, au pied de l'autel, le griffèrent, arrachèrent des parcelles humides, burent et mangèrent cette divine ordure.

Une autre, accroupie sur un crucifix, éclata d'un rire déchirant puis cria: mon prêtre, mon prêtre!

Une vieille s'arracha les cheveux, bondit, pivota sur elle-même, se ploya, ne tint plus que sur un pied, s'abattit près d'une jeune fille qui, blottie le long d'un mur, craquait dans des convulsions, bavait de l'eau gazeuse, crachait, en pleurant, d'affreux blasphèmes. Et Durtal, épouvanté, vit, dans la fumée, ainsi qu'au travers d'un brouillard, les cornes rouges de Docre qui, maintenant assis, écumait de rage, mâchait des pains azymes, les recrachait, se tordait avec, en distribuait aux femmes; et elles les enfouissaient en bramant, ou se culbutaient, les unes sur les autres, pour les violer.

C'était un cabanon exaspéré d'hospice, une monstrueuse étuve de prostituées et de folles. Alors, tandis que les enfants de choeur s'alliaient aux hommes, que la maîtresse de la maison, montait, retroussée, sur l'autel, empoignait, d'une main, la hampe du Christ et ramenait de l'autre le calice sous ses jambes nues, au fond de la chapelle, dans l'ombre, une enfant, qui n'avait pas encore bougé, se courba tout à coup en avant et hurla à la mort, comme une chienne!

Excédé de dégoût, à moitié asphyxié, Durtal voulut fuir. Il chercha Hyacinthe mais elle n'était plus là. Il finit par l'apercevoir auprès du chanoine; il enjamba les corps enlacés sur les tapis et s'approcha d'elle. Les narines frémissantes, elle humait les exhalaisons des parfums et des couples.

– l'odeur du sabbat! Lui dit-elle, à mi-voix, les dents serrées.

– ah çà, venez-vous, à la fin?

Elle sembla s'éveiller, eut un moment d'hésitation, puis sans rien répondre, elle le suivit.

Il joua des coudes, se dégagea des femmes qui maintenant sortaient des dents prêtes à mordre; il poussa Mme Chantelouve vers la porte, franchit la cour, le vestibule, et la loge du concierge étant vide, il tira le cordon et se trouva dans la rue.

Là, il s'arrêta et aspira, à pleins poumons, des bouffées d'air; Hyacinthe, immobile, perdue au loin, s'accota au mur.

Il la regarda. -avouez que vous avez envie de rentrer? Dit-il, d'un ton dans lequel le mépris perçait.

– non, fit-elle, avec un effort, mais ces scènes me brisent. Je suis étourdie, j'ai besoin d'un verre d'eau pour me remettre.

Et elle remonta la rue, alla droit, en s'appuyant sur lui, chez le marchand de vins dont la devanture était ouverte.

C'était un ignoble bouge, une petite salle avec des tables et des bancs de bois, un comptoir en zinc, un jeu de zanzibar, et des brocs violets; au plafond, un bec de gaz en forme d'u; deux ouvriers terrassiers jouaient aux cartes; ils se retournèrent et rirent; le patron retira le brûle-gueule de sa bouche et saliva dans du sable; il ne semblait nullement surpris de voir cette femme élégante dans son taudis. Durtal qui l'observait crut même surprendre un clin d'oeil échangé entre Mme Chantelouve et lui.

Il alluma une bougie et souffla à voix basse:

– monsieur, vous ne pouvez boire, sans vous faire remarquer, avec ces gens; je vais vous conduire dans une pièce où vous serez seuls.

– voilà, dit Durtal à Hyacinthe qui s'engageait dans la spirale d'un escalier, voilà bien des allées et venues pour un verre d'eau!