frappez, me voici! Ce dernier moyen a pour but d'éventer les fluides et de paralyser les pouvoirs de l'assaillant. En magie, tout acte connu, publié, est perdu. Quant au choc en retour, il faut également être avisé, si l'on veut, sans être tout d'abord atteint, refouler les sorts sur la personne qui les dépêche.
J'étais donc certain de périr; un jour s'était écoulé déjà depuis mon envoûtement; deux de plus, et je laissais à Paris mes os.
– pourquoi cela?
– parce que tout individu, frappé par la voie magique, n'a que trois jours pour se garantir. Passé ce délai, le mal devient très souvent incurable. Aussi, lorsque Docre m'annonça qu'il me condamnait, de sa propre autorité, à la peine de mort et lorsque, deux heures après, je me suis senti, en rentrant chez moi, bien malade, je n'ai pas hésité à boucler ma valise et à me rendre à Lyon.
– et là? Questionna Durtal.
– là, j'ai vu le Dr Johannès; je lui ai raconté la menace de Docre, le mal dont je souffrais. Il m'a dit simplement: ce prêtre sait enrober les plus virulents des poisons dans les plus effroyables des sacrilèges; la lutte sera têtue, mais je le vaincrai; et il a aussitôt appelé une dame qui habite chez lui, une voyante.
Il l'a endormie et elle a, sur ses injonctions, expliqué la nature du sortilège que j'ai subi; elle a reconstitué la scène, m'a littéralement vu empoisonner par le sang des menstrues d'une femme nourrie d'hosties poignardées et de drogues habilement dosées et mêlées à ses boissons et à ses mets; cette sorte d'envoûtement est si terrible qu'à part le Dr Johannès, aucun thaumaturge en France n'ose tenter ces cures!
Aussi, le docteur a-t-il fini par me dire: votre guérison ne peut être obtenue que par une puissance infrangible; il n'y a pas à lanterner, nous allons, et tout de suite, recourir au sacrifice de gloire de Melchissédec.
Et il a fait dresser un autel, composé d'une table, d'un tabernacle de bois, en forme de maisonnette, surmonté d'une croix, cerclé sous le fronton, comme d'un cadran d'horloge, par la figure ronde du tétragramme. Il a fait apporter le calice d'argent, les pains azymes et le vin. Lui-même a revêtu ses habits sacerdotaux, passé à son doigt l'anneau qui a reçu les bénédictions suprêmes, puis il a commencé de lire sur un missel spécial les prières du sacrifice.
Presque aussitôt, la voyante s'est écriée: -voici les esprits évoqués pour le maléfice et qui ont porté le poison, selon le commandement du maître de la goétie, du chanoine Docre!
Moi, j'étais assis près de l'autel. Le Dr Johannès a placé sa main gauche sur ma tête et, étendant vers le ciel son autre main, il a supplié l'archange Saint Michel de l'assister, il a adjuré les glorieuses légions des glaivataires et des invincibles, de dominer, d'enchaîner ces esprits du mal.
Je me sentais allégé; cette sensation de morsure étouffée, qui me torturait à Paris, diminuait.
Le Dr Johannès a continué de réciter ses oraisons, puis quand est venu le moment de la prière déprécatoire, il m'a pris le main, l'a posée sur l'autel et, par trois fois, il a clamé:
" que les projets et que les desseins de l'ouvrier d'iniquité qui a fait l'envoûtement contre vous soient anéantis; que toute résomption obtenue par la voie satanique soit foulée aux pieds; que toute attaque dirigée contre vous soit nulle et dénuée d'effets; que toutes les malédictions de votre ennemi soient transformées en bénédictions des plus hauts sommets des collines éternelles; que ses fluides de mort soient transmués en ferments de vie… enfin, que les archanges des sentences et des châtiments décident du sort de ce misérable prêtre qui a mis sa confiance dans les oeuvres de ténèbres et de mal! " " pour vous, a-t-il repris, vous êtes délivré, le ciel vous a guéri; que votre coeur en rende au Dieu vivant et au Christ Jésus les plus ardentes actions de grâce, par la glorieuse Marie! " et il m'a offert un peu de pain azyme et de vin.
J'étais, en effet, sauvé. Vous qui êtes médecin, Monsieur Des Hermies, vous pouvez attester que la science humaine était impuissante à me guérir; – et maintenant, voyez-moi!
– oui, fit des Hermies embarrassé, je constate, sans en discuter les moyens, les résultats de cette cure, et, je l'avoue, ce n'est pas la première fois qu'à ma connaissance, de pareils effets se produisent! -non, merci, répondit-il à la femme de Carhaix qui l'invitait à reprendre d'un plat de purée de pois sur laquelle des saucisses au raifort étaient couchées.
– mais, dit Durtal, permettez-moi de vous poser quelques questions. Certains détails m'intéressent.
Comment étaient les ornements sacerdotaux de Johannès?
– son costume se composait d'une longue robe de cachemire vermillon, serrée à la taille par une cordelière blanche et rouge. Il avait par-dessus cette robe un manteau blanc de même étoffe, découpé sur la poitrine, en forme de croix, la tête en bas.
– la tête en bas! S'écria Carhaix.
– oui, cette croix renversée comme la figure du pendu dans le tarot, signifie que le prêtre Melchissédec doit mourir au vieil homme et vivre dans le Christ, afin d'être puissant de la puissance même du verbe fait chair et mort pour nous.
Carhaix parut mal à l'aise. Son catholicisme farouche et défiant se refusait à admettre des cérémonies imprescrites. Il se tut, ne se mêla plus à la conversation, se borna à remplir les verres, à assaisonner la salade, à faire circuler les plats.
– et cette bague dont vous avez parlé, comment était-elle? Demanda des Hermies.
– c'est un anneau symbolique d'or pur. Il a l'image d'un serpent dont le coeur en relief et piqué d'un rubis, est relié par une chaînette à un petit annelet qui scelle les mâchoires de la bête.
– ce que je voudrais bien savoir, moi, fit Durtal, c'est l'origine et le but de ce sacrifice. Qu'est-ce que Melchissédec vient faire là dedans?
– ah! Dit l'astrologue, Melchissédec est une des plus mystérieuses figures qui traversent les livres saints. Il était roi de Salem, sacrificateur du Dieu fort. Il bénit Abraham et celui-ci lui octroya la dîme des dépouilles des rois vaincus de Sodome et de Gomorrhe. Tel est le récit de la Génèse. Mais Saint Paul le cite aussi. Il le déclare sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours, ni fin de vie, étant ainsi fait semblable au Fils de Dieu et sacrificateur pour toujours.
D'autre part, Jésus est appelé dans l'ecriture non seulement prêtre éternel, mais encore, dit le psalmiste, à la façon et selon l'ordre de Melchissédec.
Tout cela est assez obscur, comme vous voyez; les exégètes reconnaissent, en lui, les uns, la figure prophétique du Sauveur, les autres, celle de Saint Joseph et tous admettent que le sacrifice de Melchissédec offrant à Abraham le pain et le vin dont il avait tout d'abord fait oblation au Seigneur, préfigure, suivant l'expression d'Isodore De Damiette, l'exemplaire des mystères divins, autrement dit de la sainte messe.
– bien, fit des Hermies, mais cela ne nous explique point les vertus d'alexipharmaque, d'antidote, qu'attribue à ce sacrifice le Dr Johannès.
– vous m'en demandez tant! S'exclama Gévingey.
Il faudrait que ce fût le docteur même qui vous répondît; néanmoins, vous pouvez admettre ceci, messieurs:
la théologie nous enseigne que la messe, telle qu'elle se célèbre, est le renouvellement du sacrifice du calvaire; mais le sacrifice de gloire n'est point cela; c'est, en quelque sorte, la messe future, l'office glorieux que connaîtra sur la terre le règne du divin Paraclet. Ce sacrifice est offert à Dieu par l'homme régénéré, rédimé par l'effusion de l'esprit saint, de l'amour. Or, l'être hominal dont le coeur a été ainsi purifié et sanctifié est invincible et les enchantements de l'enfer ne sauraient prévaloir contre lui, s'il fait usage de ce sacrifice pour dilapider les esprits du mal. Cela vous explique la puissance du Dr Johannès dont le coeur s'unifie, dans cette cérémonie, avec le divin coeur de Jésus.