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– cette démonstration n'est pas très limpide, objecta tranquillement le sonneur.

– il faudrait admettre alors, reprit des Hermies, que Johannès est un être amendé, en avance sur les temps, un apôtre que l'esprit saint vivifie.

– et cela est, affirma fermement l'astrologue.

– tenez, voulez-vous me passer le pain d'épices, demanda Carhaix.

– voici comment il faut l'apprêter, dit Durtal; vous en coupez une tranche, en dentelle, puis vous prenez une tranche de pain ordinaire également mince, vous les enduisez de beurre, les couchez l'une sur l'autre et les mangez; vous me direz si ce sandwich n'a point le goût exquis des noisettes fraîches.

– enfin, s'enquit des Hermies, à part cela, que devient, depuis si longtemps que je ne l'ai vu, le Dr Johannès?

– il mène une existence tout à la fois douillette et atroce. Il vit chez des amis qui le révèrent et qui l'adorent. Il se repose auprès d'eux des tribulations de toute sorte qu'il a subies. Ce serait parfait s'il n'avait à repousser presque quotidiennement les assauts que tentent contre lui les magiciens tonsurés de Rome.

– mais pourquoi?

– ce serait trop long à vous expliquer. Johannès est missionné par le ciel pour briser les manigances infectieuses du satanisme et pour prêcher la venue du Christ glorieux et du divin Paraclet. Or la curie diabolique qui cerne le Vatican a tout intérêt à se débarrasser d'un homme dont les prières entravent ses conjurations et réduisent à néant ses sorts.

– ah! S'exclama Durtal. Et serait-il indiscret de vous questionner pour savoir comment cet ancien prêtre prévoit et réfrène ces étonnants attentats?

– pas le moins du monde. -c'est par le vol et le cri de certains oiseaux que le docteur est averti de ces chocs. Les tiercelets, les éperviers mâles sont ses sentinelles. Il sait, selon qu'ils volent vers lui ou s'éloignent, selon qu'ils se dirigent vers l'Orient ou l'Occident, selon qu'ils poussent un seul ou plusieurs cris, l'heure du combat et il se met en garde. Ainsi qu'il me le racontait, un jour, les éperviers sont facilement influencés par les esprits et il use d'eux, comme le magnétiseur se sert de la somnambule, comme les spirites se servent des ardoises et des tables.

– ils sont les fils télégraphiques des dépêches magiques, fit des Hermies.

– oui, au reste, ces procédés ne sont point neufs, car ils se perdent dans la nuit des temps; l'ornithomancie est séculaire; on en trouve trace dans les livres saints et le Zohar atteste que l'on peut recevoir de nombreux avertissements, si l'on sait observer les vols et les cris des oiseaux.

– mais, dit Durtal, pourquoi l'épervier est-il choisi de préférence aux autres volucres?

– parce qu'il a toujours été, depuis les âges les plus désuets, le messager des charmes. En Egypte, le dieu à tête d'épervier était le dieu qui possédait la science des hiéroglyphes; autrefois, dans ce pays, les hiérogrammates avalaient le coeur et le sang de cet oiseau, pour se préparer aux rites magiques; aujourd'hui encore, les sorciers des rois Africains plantent dans leur chevelure une plume d'épervier; et ce volucre, ainsi que vous l'appelez, est sacré dans l'Inde.

– comment votre ami s'y prend-il, demanda la femme de Carhaix, pour élever et loger des bêtes qui sont, en somme, des bêtes de proie?

– il ne les élève, ni ne les loge. Ces éperviers ont fait leurs nids dans ces hautes falaises qui bordent la Saône, près de Lyon. Ils viennent le voir quand besoin est.

C'est égal, pensait, une fois de plus, Durtal, en regardant cette salle à manger si tépide et si seule, et en se rappelant les extraordinaires conversations qui s'étaient tenues dans cette tour, ce qu'on est loin ici des idées et du langage du Paris moderne!

– tout cela nous réfère au moyen age, dit-il, en complétant sa pensée tout haut.

– heureusement! S'écria Carhaix qui se leva pour aller sonner ses cloches.

– oui, fit des Hermies, et ce qui est aussi, à cette heure de réalité positive et brutale, bien étrange, ce sont ces batailles qui se livrent, dans le vide, au delà des humains, au-dessus des villes, entre un prêtre de Lyon et des prélats de Rome.

– et, en France, entre ce prêtre et les Rose-croix et le chanoine Docre.

Durtal se rappela que Mme Chantelouve lui avait, en effet, assuré que les chefs des Rose-croix s'efforçaient de nouer commerce avec le diable et d'apprêter des malengins.

– vous croyez que ces individus satanisent?

Demanda-t-il à Gévingey.

– ils le voudraient, mais ils ne savent rien. Ils se bornent à reproduire tels que des mécaniques, quelques opérations fluidiques et vénénifères que leur ont révélées les trois brahmes qui sont venus, il y a quelques années, à Paris.

– moi, jeta la femme de Carhaix qui prit congé de ses hôtes et s'alla coucher, je suis bien satisfaite de ne pas être mêlée à toutes ces aventures qui me font peur et de pouvoir prier et vivre en paix.

Alors, tandis que des Hermies préparait, ainsi que d'habitude, le café et que Durtal apportait les petits verres, Gévingey bourra sa pipe et, quand le bruit des cloches mourut, dispersé, comme bu par les pores du mur, il huma une longue bouffée de tabac et dit:

– j'ai passé quelques jours délicieux dans cette famille où vit le Dr Johannès, à Lyon. Après les secousses que je reçus, ce fut pour moi un inégalable bienfait que de parfaire ma convalescence dans ce milieu de dilection, très doux. Et puis, Johannès est un des hommes les plus savants en théologie et en sciences occultes que je connaisse. Personne, sinon son antipode, l'abominable Docre, n'a ainsi pénétré les arcanes du satanisme; l'on peut même dire qu'ils sont, tous les deux, en France, à l'heure qu'il est, les seuls qui aient franchi le seuil terrestre et obtenu, au point de vue du surnaturel, chacun dans son camp, des résultats certains. Mais, en sus de l'intérêt de sa conversation si habile et si pleine, qu'elle me surprenait même lorsqu'elle abordait cette astrologie judiciaire où pourtant j'excelle, Johannès me ravissait par la beauté de ses aperçus sur la transformation future des peuples.

Il est bien vraiment, je vous le jure, le prophète dont la mission de souffrance et de gloire a été entérinée, ici bas, par le très-haut.

– je veux bien, moi, fit, en souriant Durtal, mais cette théorie du Paraclet, c'est, si je ne me trompe, la très ancienne hérésie de Montanus qu'a formellement condamnée l'Eglise.

– oui, mais tout cela dépend de la façon dont on conçoit la venue du Paraclet, jeta le sonneur qui rentrait. C'est aussi la doctrine orthodoxe de Saint Irénée, de Saint Justin, de Scot Erigène, d'Amaury de Chartres, de Sainte Doucine, de l'admirable mystique qu'était Joachin De Flore! Cette croyance a été celle du moyen age tout entier et j'avoue qu'elle m'obsède, qu'elle me ravit, qu'elle répond aux plus ardents de mes souhaits. Au fait, reprit-il, en s'asseyant et se croisant les bras, si le troisième règne est illusoire, quelle consolation peut-il bien rester aux chrétiens, en face du désarroi général d'un monde que la charité nous oblige à ne pas haïr.

– je suis, d'ailleurs, obligé d'avouer que, malgré le sang du Golgotha, je me sens personnellement très peu racheté, dit des Hermies.

– il y a trois règnes, reprit l'astrologue, en tassant la cendre dans sa pipe, avec son doigt. Celui de l'ancien testament, du père, le règne de la crainte. -celui du nouveau testament, du fils, le règne de l'expiation. -celui de l'évangile johannite, du Saint Esprit, qui sera le règne du rachat et de l'amour. -c'est le passé, le présent et l'avenir; c'est l'hiver, le printemps et l'été; l'un, dit Johachin De Flore, a donné l'herbe, l'autre les épis, le troisième donnera le froment. Deux des personnes de la Sainte Trinité se sont montrées, la troisième doit logiquement paraître.