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– C’est un de mes neuro-univers préférés, un des plus réussis.

J’ai acquiescé, après un coup d’oeil appréciateur auluxueux mobilier roulant.

– J’vous fais venir ici pour vous prévenir.

– Me prévenir de quoi?

– Ils sont sur ma piste.

– Qui ça, les types de l’ONU?

– Oui… enfin… L’équipe spéciale de l’UCHRO…

– UCHRO? Jamais entendu parler. J’en connais pourtant un rayon…

– Bouclez-la, vous ne connaissez rien… UCHRO, c’est Unknown Cortex Human Ressources Organization, c’est un département ultra-secret, ils l’ont mis en place exprès pour nous…

– Qui, nous?

– Nous, les autres comme moi…Bon, écoutez, leur escadron de pisteurs a remonté ma trace jusqu’à Munich, ce qui veut dire qu’ils sont déjà à Grenoble… J’ai contacté Grunz pour lui dire de quitter la ville, et je vais vous conseiller d’en faire autant.

– Paniquez pas, je suis un grand gars…

Là, elle s’est violemment empourprée.

– Fermez-la! Et ouvrez grandes vos antennes: ils viendront sûrement fouiner par ici et ces gars-là sont des sérieux, formés par les meilleurs services spéciaux de la planète, ou le Space Corps des Marines. Ils sont dotés d’armes anti-psy qui sont également très efficaces contre les humains, alors j’ai dû prendre des mesures… draconiennes.

– Qu’est-ce que vous voulez dire?

– Vous vous en rendrez compte en vous réveillant… Dans quelques secondes, je vais disparaître. Puis le wagon suivra, et vous vous réveillerez, dans deux ou trois heures… Je peux aussi vous dire que ce sera une fille…

– Dakota, attendez… j’ai fait, dans un élan instinctif.

– Non, j’use de l’énergie inutilement, je dois interrompre la communication.

Merci pour l’énergie inutile, j’ai pensé, piqué au vif, avant que tout ne s’éteigne dans l’ordre qu’elle avait annoncé.

Lorsque je me suis réveillé, il faisait encore nuit. Une nuit noire.

Tellement noire que je n’y voyais plus rien dans le recoin où je me trouvais. J’ai trouvé ça bizarre, parce que ça fait des décennies que je connais les nuits boréales électriques de la conurb.

Je me suis levé et j’ai marché jusqu’à la baie vitrée qui s’ouvrait sur la terrasse.

J’avais jamais vu ça de ma vie. Même lors de la guerre civile, alors que j’avais dix ans, les parties en présence avaient essayé de conserver intactes les centrales énergétiques.

La nuit était noire et elle s’étendait de toutes parts.

Plus d’éclairage urbain, plus de feux, plus d’écrans publicitaires géants, plus de lumières dans les appartements, à des kilomètres à la ronde. Plus rien. Même les bulbes lumineux du centre politico-financier de Marne-la-Vallée avaient disparu.

Pour la première fois de mon existence, je pouvais discerner le ciel de nuit au-dessus de la Ceinture, sans les interférences du dôme d’énergie dégagé par la ville.

Les étoiles brillaient comme une réplique cosmique de la conurb disparue. Je pensais à monsieur Tchou, et je me disais que son ciel nocturne façon manga devait lui sembler bien inutile maintenant.

J’ai entendu du bruit derrière moi et j’ai vu Youri qui rappliquait.

– T’as vu? il a fait.

– Y’a plus rien à voir, c’est ça qu’est drôle.

– Connard. Merde, pourquoi qu’elle a fait ça?

Je me suis tourné vers lui.

“ Qu’est-ce qui lui prend? Il fait semblant de pas savoir?… ”

– A ton avis? Tu penses que c’est juste parce que le programme de télé lui plaisait pas?

– Arrête de déconner…

– Arrête de déconner, toi. Elle t’a contacté, oui ou merde?

– Contacté? Qui ça? Dakota?

– Non, Mickey Mouse. T’as pas reçu un message-rêve cette nuit?

– Non.

– Bon, ben, moi oui. Elle m’a dit que les pisteurs d’un service secret de l’ONU sont sur sa trace, elle a dû foutre le bordel dans tout le réseau régional pour qu’ils la lâchent… Putain, j’ai jamais vu ça.

– Merde! merde! merde! répétait Youri.

Quel souk, j’ai pensé, avec une joie féroce.

Je savais pas si je la reverrais un jour, ni comment, j’étais certain qu’elle allait devoir passer un bon moment planquée quelque part, ou en cavale d’un bout à l’autre de la planète, avec une carte d’identité et un môme de ma conception. Une arme vivante au coeur du système. C’était tellement dingue, tellement énorme, que j’ai plus su quoi dire.

Je me doutais que j’aurais des nouvelles, un jour ou l’autre.

Me suffirait de détecter quelques catastrophes bizarres dans les colonnes des journaux.

Je savais aussi qu’un de ces quatre je ferais un rêve, et qu’elles seraient deux, sur la banquette de l’Orient-Express.

L’aube s’est levée sur la conurb.

J’ai souhaité bienvenue sur Terre à Dakota Novotny-Burroughs et à notre enfant.

Puis j’ai demandé à Youri s’il restait pas une bière dans le frigo.

6 Sub-Commandante Zero

Le mois de septembre s’est achevé et la mousson d’automne est arrivée. Le ciel est devenu vert-de-gris au-dessus de la conurb. Couleur gaz de combat. Il flottait sans discontinuer, de cette bonne pluie acide qui fait s’affolerles éco-bornes, et vous fait espérer un peu de vitriol dans la journée.

La pluie, c’est à peine si je me rendais compte qu’elle tombait, pourtant c’était comme si on se trouvait pile au milieu de la cuvette des chiottes où Dieu libérait sa vessie, comme disait Youri.

Je passais toutes mes journées les yeux rivés à l’écran, ou sous le neurocasque. Je m’abrutissais de boulot, je ramassais toutes les affaires pourries dont personne ne voulait. J’avais même fini par me brancher sur l’affaire du Trépaneur du Fleuve, et quand je passais pas mes nuits dans les bars de Grand Tunnel, je les fusillais à compulser tous les rapports de type Vicap enregistrés depuis dix-quinze ans dans les bases de données de l’EuroPol.

C’est pas que ça me passionnait, ces longs formulaires tous à l’identique, avec les mêmes cases, les mêmes listes morbides répétées sur les seize pages standards. C’était juste assez horrible pour me tenir en éveil, éloigner les nuages de la dépression, et effacer fugitivement l’image de la fille tombée du ciel, un soir d’été, dix mille siècles auparavant.

J’ai relevé plus de deux cents disparitions suspectes s’étant déroulées sur le territoire de la ceinture sud, durant ce laps de temps. J’ai épluché personnellement pas loin de cinq cents rapports (sur les trois mille pistés par la neuromatrice) faisant état de crimes violents non élucidés sur tout le territoire eurofédéral, de l’Irlande à la Vistule, du cercle arctique à Gibraltar. Mais je n’ai rien trouvé correspondant de près ou de loin au modus operandi de notre ami le Faiseur-de-trous-dans-le-crâne.

A force, sans m’en rendre compte, je me suis mis à collectionner des résultats notables par ailleurs. J’ai réussi à neutraliser la tentative d’implantation d’un virus mafieux dans le réseau interne du Fonds McKenzie. Puis j’ai mené une brillante intrusion dans le cerveau scientifique du centre de recherches Kodak-Fuji, mettant en lumière les carences de leurs systèmes de sécurité.

Lorsque j’étais cyber-pirate, avant de me retrouver au trou, j’avais appelé ma première neuromatrice Sub-Commandante Zero. Toutes mes IA personnelles se sont appelées ainsi par la suite. Evidemment, tout comme moi, les diverses générations de Sub-Commandante Zero se servent d’une panoplie de fausses identités pour communiquer avec l’extérieur. Je suis le seul, et je dis bien le seul, à connaître l’identité de mes neuromatrices. Je suis toujours parvenu à les détruire (où à ce qu’elles s’auto-effacent suffisamment) avant que les condés ne mettent la main dessus.