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Selon la Constitution eurofédérale, je suis pas obligé de le dire, c’est protégé par un des amendements sur les libertés individuelles, mais aujourd’hui, une info comme celle-là vaut plus un kopek.

Le message est venu s’afficher à la périphérie de ma vision. Il avait directement sur mon nerf optique, via le réseau interne ultra-protégé d’Oshiro lnternational. Ça disait juste:

ALORS TU T’INTÉRESSES A MOI, PETIT FILS DE PUTE?

Une fraction de seconde plus tard, un virus hautement destructeur pénétrait mes défenses, grillait les circuits de sécurité de la neuromatrice et du casque, et m’envoyait une giclée de neurotransmetteurs vachards qui me firent perdre conscience, dans une gerbe de douleur et de lumières sauvages, juste avant le black-out.

Quand je me suis réveillé il faisait presque nuit. Ça tombait comme un tir de barrage, la pluie grondait de toutes parts, la Ceinture tout entière avait disparue, avalée par la nuée.

La neurotoxine m’avait sacrément dérouillé, j’étais nauséeux, le teint jaunâtre, je devais me taper une hépatite. Je l’ai combattue en me préparant un repas luxueux à en vomir.

Je connais assez bien le type de saloperie qu’on m’avait injecté, un truc vicieux, et très addictif, le dérivé viral d’une métamorphine russe diabolique qu’on surnommait Tchernovik à mon époque. Votre organisme finit généralement par vous la confectionner en dose industrielle, et vous crevez d’une cirrhose, ou d’une hépatite magnum.

Ce que je comprenais absolument pas, c’était comment le mec avait fait pour tromper Sub-Commandante Zero, et surtout en employant, même une micro-seconde, le réseau interne d’Oshiro.

Dans la tradition cyber-pirate, le meilleur antidote contre un Tchernovik réside en quelques termes simples: vous devez urgemment vous accrocher à autre chose.

Je me suis donc fait à bouffer, j’ai tourné en rond, j’ai bu un coup de vodka sibérienne de contrebande, à taux d’alcool illicite, dépassant de trente bons degrés la norme légale. J’ai maté la mousson qui enveloppait la cité, puis j’ai retrouvé un vieux kit dans mon bordel, un neurokit qui permettait de produire du THC en abondance, avec un simple séquenceur de molécules comme le mien. Une heure plus tard, le séquenceur me fournissait ma commande: un long ruban de cellulose fumable, imprégnée à 25 % de THC. Du détonant.

J’ai découpé le ruban en petites tiges que j’ai rigidifiées avec une colle biologique neutre puis je les ai enfilées dans des Camel indiennes, faites avec du tabac virginien cloné.

C’était pas de la sinse, mais ça explosait sec.

Ensuite, j’ai passé la soirée à me confectionner quelques cocktails personnels, de l’époque cyber-pirate. Avec les bons logiciels, et l’indispensable expérience, on peut faire faire n’importe quoi à un vulgaire séquenceur du commerce. De la Méthédrine, par exemple. Voire des opiacés, je vous dis pas. Ça demande du doigté, un bon paquet de patience et les connaissances chimiques requises, mais avec des protéines, une poignée d’ acides aminés, quelques enzymes, deux ou trois colonies de bactéries modifiées et une batterie de micro-machines, vous pouvez fabriquer à peu près n’importe quoi dans votre cuisine aujourd’hui.

Je me suis défoncé jusqu’ au K.O. dans le noir total, en écoutant la mousson gronder autour de moi comme une artillerie céleste.

Je me suis réveillé à midi. Dehors, le ciel était couleur gris-vert lavasse, j’ai à peine relevé qu’il pleuvait plus.

Puis je me suis fumé une Camel spéciale sur laquelle j’avais saupoudré un peu de Meth. La journée démarrait sur les chapeaux de roues.

C’est à ce moment-là que la porte a explosé.

J’ai juste eu le temps de me dire que j’avais déjà vécu une situation analogue, dans une vie antérieure, avant qu’ils ne fassent irruption dans la pièce.

7 “ TechnoPol Zombies ”

Ils étaient six. Et j’en connaissais trois.

Putain, je me suis dit, c’est jour de chance.

Les mecs faisaient partie d’une unité que je connaissais bien, pour l’avoir fréquenté juste après la “ Cellule Cyclope ”: les “ TechnoPol Zombies ”.

Faire partie des Zombies, à l’inverse de la “ cellule-à-un-oeil ”, c’est considéré comme une promotion, à la TechnoPol. C’est le service Action Spéciale de cette émanation multiforme du Ministère de la Justice Eurofédéral. Le bras séculier de l’idéologie Onuzie, dirait Youri.

Les six mecs tenaient des petits HK à micro-munitions (deux cents cartouches par chargeur), portaient des combinaisons à protections pare-balles intégrées, noires, mais je savais qu’il s’agissait de costumes électroniques, des trucs qui sont pas exactement ce qu’ils donnent à voir, pour les yeux humains, comme pour les senseurs d’une neuromatrice.

Ça suffisait pas pour expliquer les soudaines faiblesses de Sub-Commandante Zero, mais c’était assez pour que je sache qu’ils étaient en train d’enregistrer tout ce qui passait.

Les trois que je connaissais avaient rabaissé les capuches de leurs systèmes NBC, et seuls leurs yeux disparaissaient derrière les optiques noires, mais les trois autres gardaient leur bazar fermé, leurs visages disparaissaient entièrement derrière un rideau couleur charbon, sans tain, vaguement mercurisé.

Fallait que je la joue hyper-serrée.

– Salut, j’ai fait au premier d’entre eux, un mec surnommé Clando qui avait suivi un parcours parallèle au mien à la TechnoPol, “ Cellule Cyclope ”, puis Zombies, j’vous ai pas entendus frapper avant d’entrer.

Clando, un grand mec roux à la stature de Viking, s’est approché de moi.

– C’est parce qu’on frappe après, qu’il a dit.

Et il m’a envoyé son poing en pleine gueule.

J’ai valsé en arrière et j’ai titubé, sonné, comme un clown sur un trottoir roulant.

Je l’ai aperçu qui venait sur moi, derrière un voile rougeoyant, fantôme à la chevelure orange et aux yeux d’insecte.

J’ai balancé mon pied en avant et je l’ai eu quelque part dans le bide. Les deux autres se jetaient déjà sur moi. Des types d’une Brigade d’Intervention Territoriale de la conurb nord que j’avais croisés lors de ma première affectation. Deux gros flics de base, cons et hyper-efficaces, dont les noms ne me revenaient pas.

Ils s’y sont mis tous les trois, les trois que je connaissais, sans vergogne. Ils m’ont salement dérouillé. Pendant ce temps, les trois autres, aux visages de carbone impénétrables, observaient la scène comme de grosses mantes religieuses attentives devant une fourmilière. Ils se sont arrêtés juste avant que je tombe pour de bon dans les pommes. Je reconnaissais le travail soigné des Brigades de la ceinture nord. L’interrogatoire pouvait commencer dans les règles.

C’est Clando qui menait la danse, l’avait pris du galon c’t’enflure. Les deux autres cognaient à tour de rôle, et lui il posait les questions. Le trio masqué restait juste à la périphérie, sauf celui du centre, qui s’était légèrement avancé.

J’ai tous les détails en tête. Comment un des types masqués s’est mis à brancher tout un tas de bidules que je connaissais pas à Sub-Commandante Zero, à un moment donné. Et comment il a essayé de récupérer un max d’infos, alors que ma neuromatrice s’auto-effaçait le plus vite possible (ça prend quand même du temps, avec seize milliards de neuroprocesseurs). L’autre passait au scanner portable tous les coins et recoins de l’appart. Seul celui du centre est resté jusqu’ au bout, un peu derrière Clando.