Pendant ce temps-là, le dialogue ça a donné à peu près ça:
– Alors, Dantzik, tu t’amuses à faire joujou avec l’Electronucléaire de France?
– J’vois pas de quoi tu parles, Clando, mais sûr que c’est pas le genre de joujou que t’affectionnes… C’est vrai que t’as toujours besoin d’une pompe Aphrodix au moment crucial?
– Tape, Grognard.
Voilà, Grognard je me suis dit, en me rappelant le nom du gros mec aux cheveux broussailleux qui m’ envoyait la taloche.
Du plat de la main. Sur la tempe. Hyper-pro.
J’ai valsé de la chaise avec un voile de toutes les couleurs devant les yeux.
– Remets-le sur la chaise, Susak.
Susak, je me suis dit en identifiant l’autre, un épais alcoolique au visage boursouflé par la couperose qui m’a soulevé comme un oreiller et m’a tapoté gentiment le bide en me recalant contre le dossier.
– Ça va aller, Dantzik? qu’il m’a sorti, sur le mode humanitaire à la mode.
– Ça ira mieux quand je vous collerai contre un mur, les uns après les autres.
Ça les a juste fait rire sèchement.
– Bon, je reprends, Dantzik, et on rigole pas, j’ai un putain de gros mandat bleu et blanc sur moi, t’es sous juridiction spéciale de l’ONU, t’as enfreint des lois eurofédérales, alors tu vois, j’ai douze heures de garde à vue devant moi, sans avocat, sans rien, tu connais le topo…
– J’connais le topo, j’ai répondu, mais je vois pas de quoi vous parlez, la dernière fois que j’ai fait péter une bombe, vers 1945, y’a plus que les Japs qui s’en souviennent
– Vas-y, Susak.
– Excuse-moi, vieux.
La beigne m’est arrivée sur la tempe gauche, réplique de la précédente.
– Remets-le sur la chaise, Grognard.
J’avais la gueule d’un réacteur qui souhait comme une trombe au centre de ma tête. Ça vrombissait et je voyais trouble.
Je me suis à peine rendu compte qu’on me réinstallait.
– Bien, a repris Clando, je vais encore te laisser une chance. La carotte: si tu nous allonges qui a commandité l’opération, je te promets qu’on dira que t’as été coopératif.
– Okay, j’ai craché avec un filet de sang, et le bâton?
– Le bâton, c’est que si tu lâches pas le morceau, on va passer aux choses sérieuses. Un shoot de ParanoMétanol, sûr que ça va te faire remonter des souvenirs.
Le fumier, je connais ce genre de saloperie, ça vous fait entrer dans des états psychotiques cauchemardesques. Et puis j’en avais marre du couple Grognard-Susak-beigne gauche-beigne droite, j’étais pas prêt à supporter ça toute une journée.
– Qu’est-ce que tu veux savoir? j’ai lâché, dans un soupir.
Ma vue avait du mal à se stabiliser, j’avais un mal de crâne terrible. Je crevais de soif.
– J’viens d’te le dire, Dantzik, qui a commandité l’opération contre l’Electronucléaire de France, en septembre?
Je comprenais qu’il faisait allusion au court-circuit provoqué par Dakota, et je me disais, merde ça y’est la TechnoPol est remontée jusqu’à moi, mais comment, bordel, comment? Et Dakota? Ils la pistaient aussi, avec l’aide des équipes de l’ONU, cet “ Uchro ” dont elle m’avait parlé?
– Je voudrais sincèrement éclairer ta lanterne, Clando, mais je peux pas dire qui a commandité une opération que j’ai pas faite. Pourquoi j’aurais fait péter le réseau de la conurb?
Clando a arqué un mauvais sourire. Ses yeux de mouche me semblaient monstrueux. J’avais chaud. Comme de la fièvre. J’avais envie de gerber. J’ai compris que la neurotoxine virale faisait son effet. Il me fallait urgemment ma dose de dope pour combattre l’accrochage au Tchernovik.
J’étais pas dans la situation rêvée pour demander l’autorisation d’en rouler un.
– Dantzik, t’es qu’un con, qu’il m’a craché, en se rapprochant de moi, son visage tout près du mien, ses optiques emplissaient l’univers comme deux lunes noires de mauvais augure. T’es qu’un con, alors je vais redemander à Grognard de t’en allonger un, puis de préparer le shoot, et après quoi, on reprendra pépères le cours de not’discussion, qu’est-ce que t’en dis comme ça?
J’ai réfléchi, à fond les manettes. J’avais un choix limité. Ma tête s’enfonçait déjà dans les épaules, en prévision du coup à venir.
J’ai poussé un soupir de résignation authentique, spécialité maison.
– J’en dis que tu obtientas rien de plus parce que y’a pas de commanditaire, Clando.
Ses optiques semblèrent traduire un léger intérêt.
– Ah ouais! T’as juste fait ça pourle fun, Dantzik?
– Non, j’ai répondu, j’ai fait ça par accident.
Ça l’a interloqué, cette réponse. Mais pas plus de deux ou trois seconde.
– Tu me prends pour un con, Dantzik?
– Non, je testais un logiciel d’intrusion un peu spécial pour mes opérations bidon, et j’ai pas vu que j’étais en train de contaminer le réseau et…
C’est à ce moment-là que le type à la capuche noire s’est avancé d’un ou deux pas dans notre direction, il a écarté Clando du bras et il s’est planté devant moi.
J’entendais son souffle métallique par le micro buccal de sa combinaison.
– Ça va comme ça, HG.
Il a dézippé d’un coup sec le masque facial de sa capuche et j’ai dévisagé une tête que j’avais pas vue depuis plus de douze ans.
– Djamel? j’ai fait, abasourdi.
Le visage de mon ancien complice s’encadrait dans le capuchon noir, en lame de couteau, ses yeux bleus de Kabyle me fixaient comme deux armes séduisantes.
L’avait fait du chemin, le Djamel, depuis qu’il était tombé. Il m’a vite expliqué qu’il était lieutenant de Brigade chez les Zombies, Officier de liaison International, l’élite, et que j’avais intérêt à arrêter de débiter mes conneries. Ils avaient pas de temps à perdre.
C’est à ce moment que les deux autres zigues se sont ramenés, mais sans dézipper leur masque.
– Ecoute, il m’a froidement expliqué, on sait tout, et tout est consigné dans le mandat légal dont Clando t’a parlé, t’as droit à une synthèse de ton dossier, comme tes droits l’exigent, alors si tu veux, on te laisse lire… Par quoi tu veux qu’on commence, par la carte Zinovsky? Là, je me la suis bouclée. Mon cas s’aggravait de minute en minute.
– Ecoute (je me souvenais brusquement de ce tic verbal, des souvenirs venaient se mêler au réel, comme dans un drôle de rêve éveillé)… On va pas t’asticoter plus longtemps sur le coup de l’EDF, ce qu’on cherche est plus important.
Je voyais le truc venir, comme un bulldozer.
– Qu’est-ce qu’il y a de plus important que le disjonctage du réseau de l’EDF? j’ai craché, entre mes dents cassées, et mes gencives pleines de sang.
Djamel me regardait de ses yeux bleus à l’insondable densité.
– Il y a Dakota Novotny-Burroughs, HG, voilà ce qu’il y a de plus important.
J’essayais de soutenir son regard en me demandant très fort qui était cette parfaite étrangère. On est pas télépathe dans la TechnoPol, mais on suit des cours de décodages comportementaux, et ça suffit pour détecter si quelqu’un ment.
– Vois pas… j’ai commencé.
– Ta gueule… (je me la suis bouclée). Ecoute, je vais rapidement te présenter les deux messieurs qui m’accompagnent… A la différence des simples flics comme nous autres, ils agissent directement sous l’autorité d’un département de l’ONU (oh! putain de Dieu, je me suis dit, tout en soutenant froidement le regard de Djamel)… Donc, ils sont protégés par le secret absolu et ils sont pas obligés de te dévoiler leur identité, ni te dire pourquoi ils enquêtent, ni quelles charges pèsent contre toi, ni rien du tout. Toi, par contre, tu vas être obligé de tout déballer. Tu risques la perpèt’ sinon.