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J’essayais de retenir le sourire que le smart psychotrope de Youri ne cessait de vouloir arquer. Pas trop jovial, quand même.

J’ai vu le joumal faire un petit mouvement vers le bas. Son visage s’est encadré dans l’ouverture. Elle me fixait sans aménité, mais avec une intensité qui me foudroyait à chaque fois.

Je sentais que j’étais passé au scanner, un scanner prodigieusement intelligent.

L’exemplaire de Life s’est encore abaissé, avant de s’étaler sur ses jambes. Elle a poussé comme un soupir et m’a toisé.

– Qu’est-ce que vous avez à vendre exactement, monsieur le flic privé pourvoyeur de services qui se monnayent durement?

J’ai affronté crânement son regard et je me suis mis à sourire. Putain de smart, je me disais, mes pupilles devaient briller comme des super-novae.

– Ça dépend principalement du genre… disons… de problèmes auxquels vous êtes confrontée (allez, essayer de raccorder sur le plan professionnel, après tout c’est pour ça que j’étais là).

Elle m’a regardé, l’air concentré de quelqu’un qui se remémore un vieux souvenir.

J’en ai profité pour jeter un coup d’oeil à Youri, qui semblait se calmer mais n’en menait pas large et se faisait tout petit dans un coin.

J’ai fait un geste dans sa direction et j’ai montré les deux fauteuils qui formaient un triangle avec le sien autour de la table basse.

– Vous permettez qu’on s’asseoie et qu’on mette tout ça au clair?

Elle m’a observé, son petit ourlet au coin des lèvres, a vaguement frémi. J’ai vu qu’elle prenait une décision, en la pesant minutieusement

– OK, elle a lâché, avec l’ombre d’un sourire.

Je me suis dit qu’on enterrait la hache de guerre, mais que pour une première rencontre on était pas passé loin.

Je me suis installé et j’ai tout fait pour respecter mon rôle de mec sérieux, à qui on la fait pas, le dur-à-cuire-de-chez-Oshiro. J’avais failli tout faire disjoncter à cause d’une vulgaire poussée de testostérone, fallait que j’assure. Je devais ça à Youri. Et à mon amour-propre.

– Bien, j’ai dit, écoutez… Le mieux, ce serait que vous me racontiez vous-même votre histoire, d’accord? Ensuite je vous dis ce que je peux faire, et ensuite comment le faire, et si ça coûtera de l’argent, et combien. Il est convenu d’avance que je ne prends pas d’honoraires, mais tout ce qui est illégal, ou disons “ aux marges de la loi ” a un prix, je préfère être clair d’entrée.

– Vous inquiétez pas pour l’argent, qu’ elle a répondu, avec un petit geste de dédain très féminin. Je trouverai bien ce qu’il faut.

Elle me fixait de son oeil vert-or qui revenait peu à peu à la chaleur végétale des premiers instants. Son visage se détendait. L’ourlet de son sourire s’accentuait un peu. J’étais sur la bonne voie, je me disais, vas-y, creuse le sillon.

Je me suis calé, en rêvant à une bonne bière.

– Bon, ben, je vous écoute, Miss.

Elle a déplié ses jambes et les a repliées dans l’autre sens, sous ses fesses. Son corps a ondulé comme une plante tropicale sous l’alizé. J’aurais voulu que ça dure des siècles. Elle a lâché un bref soupir.

– J’sais pas trop par où commencer… Je viens de la cité-anneau orbitale… J’ai débarqué sur l’astrodrome de Baïkonour y a une semaine. J’avais un billet en supersonique pour Munich, avec une correspondance pour Grenoble, je suis allé chez monsieur Grunz, et hier soir monsieur Grunz m’a envoyé ici…

Je la regardais sans trop y croire. C’était quoi ces conneries? Elle avait des emmerdes oui ou non?

– OK, j’ai fait calmement, hyper-pro, reste hyper-pro que je me disais sans discontinuer, dites-moi maintenant de quoi vous avez besoin, qu’on coupe au plus vite.

La fille a plongé son regard au fond du mien, une sorte d’innocence angélique qui se superposait avec perversité à la sexualité torride qu’elle dégageait, rien qu’en respirant.

– Je crois que j’ai besoin d’une nouvelle identité, elle a lâché, comme si elle m’annonçait qu’elle devait changer de voiture.

Mon sourire publicitaire “ Bienvenue-chez-Oshiro ” ne m’avait pas quitté mais j’ai jeté un coup d’ oeil éloquent à Youri. Fumier, ça disait, j’comprends pourquoi tu m’as rien dit avant le moment fatidique. J’ai vu que Youri avait parfaitement capté mon message silencieux, il a baissé la tête, après m’avoir envoyé son putain de regard de chien battu.

J’ai poussé un long soupir. J’aurais tué pour une bière.

Déjà, un vieux réflexe se remettait en branle, comme le panneau solaire d’un satellite après des années de panne.

Tous les plans secondaires, puis tertiaires, tous les points de détail se ramifiaient, le listing interminable de tous les problèmes que soulevaient sa simple question.

Je me suis ébroué en me maudissant, et en maudissant Youri, cette fille, et l’ensemble du système solaire.

Je me suis rappelé in extremis qu’il fallait y aller mollo, avec cette gonzesse, j’ai corrigé à la dernière seconde la formulation de ma question.

– Il faudrait que vous m’en disiez plus, Miss. Aujourd’hui, des identités factices, y en a des catalogues pleins. Vous voulez quoi? Du standard, pour les caisses d’hypermarchés et les terminaux bancaires? Ou de la vraie neuropuce authentifiée, avec code génétique et tout le bazar?…

Dakota Novotny a fait un petit geste furtif signifiant sans doute l’agacement.

– Je veux une véritable fausse identité. Neuropuce, code génétique, je m’en contrefiche, ce que vous voulez, mais quelque chose qui me permette de me deplacer, d’ouvrir un vrai compte et pas dépenser toute cette énergie inutile pour passer une vulgaire douane et…

Là, elle s’est coupée, mais j’étais déjà en train d’analyser le sens de ses paroles. J’ai mis l’allusion à l’énergie dépensée sur le compte de la fatigue, puis soudainement j’ai tilté.

Comment elle avait fait, la môme, pour franchir une frontière orbitale internationale, puis deux ou trois terrestres entre le Kazakhstan et Grenoble, si elle avait pas de carte d’identité, même pas une fausse copie bidon vendue sur les marchés noirs du Caire ou d’Alma Ata? J’ai pas voulu l’asticoter, alors j’ai mis ça dans une case avec une réponse provisoire “ papiers, vrais ou faux, perdus, volés ou détruits après l’arrivée sur Terre? ”. Je me suis recalé sur les rails.

– Je répète, donc, pour qu’on soit bien sur la même longueur d’onde: vous avez besoin d’une véritable carte de crédit-identité internationale, pouvant recevoir les comptes bancaires et les visas, avec neuropuce personnelle intégrée, code génétique, et hologramme de l’ONU?

La môme a fait une petite moue.

– Ça doit être ça, si vous le dites.

Elle s’est mise à feuilleter les pages du Life, comme si la conversation ne l’intéressait que de loin. Rester pro, je me suis dit, rester pro.

– Bon, j’ai fait, c’est possible. Mais ça demande un bon mois de délai. Et ça va douiller, j’vous préviens.

J’ai aperçu Youri du coin de l’oeil, il relevait vers moi un regard pleinde gratitude.

J’l’aurais tué sur place.

– Ça va… douiller? a fait Dakota, vaguement intriguée.

Elle abandonnait le Life et l’assassinat de Kennedy, tout compte fait. Sa moue un peu boudeuse la rendait encore plus belle, plus sauvage.

– Ouais, j’ai répondu, ça va douiller. Ça va coûter un paquet de pognon.

– De l’argent? elle a demandé.

– Ouais, j’ai fait, beaucoup d’argent.

– Combien?

J’ai réfléchi rapidos. Hors de question de rebrancher une vieille connaissance, avec mon passé récent, ça risquait d’être pris comme une manoeuvre d’infiltration de bas étage, et les flics apprécieraient moyen, si jamais ils l’apprenaient de leur côté. Or tout se sait très vite dans la conurb. Ça voulait dire que j’allais devoir me taper le boulot, comme au bon vieux temps, mais encore plus clando qu’avant.