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— Est-ce que tu veux me faire peur avec toutes ces horreurs ? demanda Ellemir, toujours en colère.

— Pas du tout. J’essaie au contraire de te rassurer. Nous pouvons être sûrs qu’elle n’a pas été tuée et mangée. S’ils ont tué les gardes, et sa nourrice, c’est qu’ils ne voulaient pas n’importe quel être humain, ni n’importe quelle femme. Alors ils l’ont enlevée, non pas parce qu’elle était humaine, ni parce que c’était une femme, mais parce que c’était Callista.

— Les voleurs et les bandits de grand chemin, dit Ellemir d’une voix assourdie, enlèvent quelquefois des jeunes femmes pour en faire leurs esclaves ou leurs concubines, ou pour les vendre aux Villes Sèches.

— Je crois que nous pouvons écarter cette idée aussi, dit Damon fermement. Ils n’ont pris aucune de tes servantes. Et puis, qu’est-ce que les hommes-chats voudraient faire d’une femme ? Il y a eu des histoires de croisements entre humains et chieri, il y a longtemps, mais ce sont généralement des légendes, et pas un être vivant ne pourrait dire si elles sont fondées ou non. Quant aux autres espèces, nos femmes ne représentent rien pour eux, pas plus que les leurs pour nous. Bien sûr, il se pourrait qu’ils aient un prisonnier humain qui veuille une femme, mais même s’ils étaient assez altruistes et gentils pour bien vouloir lui en procurer une, ce que j’ai du mal à croire, il y a une douzaine de servantes dans les communs, aussi jeunes que Callista, tout aussi belles, et infiniment plus accessibles. S’ils avaient simplement voulu des femmes en otage ou pour les vendre comme esclaves, ils les auraient prises aussi. Ou alors, ils n’auraient pris qu’elles, et pas Callista.

— Ou moi. Pourquoi prendre Callista dans son lit et me laisser dans le mien ?

— Ça aussi. Vous êtes jumelles, toi et Callista. Moi, je peux vous distinguer l’une de l’autre, mais je vous ai connues à l’époque où vos cheveux étaient encore trop courts pour être tressés. Le premier venu n’aurait jamais pu voir de différence entre vous deux, et vous aurait facilement confondues. Par ailleurs, j’ai peine à croire qu’ils aient tout simplement voulu un otage, pour en exiger une rançon, et qu’ils aient pris la première qui leur tombait sous la main.

— Non, dit Ellemir. Mon lit est le plus près de la porte, et ils en ont soigneusement fait le tour pour parvenir jusqu’à elle.

— Alors, nous en arrivons à la seule différence entre vous deux. Callista est télépathe, et en plus, elle est gardienne. Tu ne l’es pas. Nous pouvons supposer que d’une façon ou d’une autre, ils savaient laquelle de vous deux était la télépathe, et qu’ils voulaient se saisir de celle-là en particulier. Pourquoi ? Je ne le sais pas plus que toi, mais je suis sûr que c’est là leur raison.

— Et cela ne nous rapproche toujours pas de la solution ! s’exclama Ellemir, hors d’elle. Le fait qu’elle a disparu, et que nous ne savons pas où elle est. Tes propos ne servent à rien.

— Non ? Réfléchis. Nous savons qu’elle n’a pas été tuée, sauf peut-être par accident. S’ils se sont donné tant de mal pour l’enlever, ils vont sûrement en prendre grand soin. Elle a peut-être peur, mais elle ne souffre sans doute pas du froid, ni de la faim, et il est peu vraisemblable qu’on l’ait battue ou molestée. Et aussi, on ne l’a probablement pas violée. Cela, déjà, devrait te rassurer.

Ellemir but quelques gorgées de vin.

— Mais cela ne nous aide pas à la retrouver, ou même à savoir où chercher.

Malgré tout, au grand plaisir de Damon, elle semblait plus calme.

— Une chose à la fois, enfant. Peut-être, après la tempête…

— Après la tempête, les traces qu’ils auront pu faire seront complètement effacées.

— D’après ce qu’on m’a dit, les hommes-chats ne laissent pas de traces que les humains puissent déchiffrer. De toute façon, je ne suis pas bon pisteur. Si je peux t’aider, ce ne sera pas de cette manière.

Les yeux d’Ellemir s’agrandirent, et soudainement, elle lui saisit le bras.

— Damon ! Tu es télépathe, toi aussi, et tu as été formé à la tour !… Peux-tu trouver Callista de cette façon ?

Elle avait l’air tellement excitée, tellement heureuse et ranimée, que Damon était accablé à l’idée de détruire son enthousiasme. Mais il le devait.

— Ce n’est pas si facile, Ellemir. Si toi, sa jumelle, ne peux pas atteindre son esprit, c’est qu’il y a une raison.

— Mais je n’ai aucune formation, j’en sais si peu, dit-elle avec espoir. Et tu as été formé à la tour…

— C’est vrai, soupira Damon. Et je vais essayer. C’était d’ailleurs mon intention. Mais n’espère pas trop, breda.

— Maintenant ? supplia-t-elle.

— Je vais faire ce que je peux. D’abord, apporte-moi un objet qui appartient à Callista. Un bijou, un vêtement qu’elle porte souvent, quelque chose de ce genre.

Pendant qu’Ellemir allait chercher l’objet, Damon sortit la pierre-étoile de son enveloppe de soie et la contempla en méditant. Télépathe, et formé à la tour aux antiques sciences télépathiques de Ténébreuse – oui, il l’avait été pendant quelque temps. Et le don héréditaire, le laran, ou faculté télépathique, de la famille Ridenow, était l’aptitude à détecter la présence de forces extra-humaines. Ce don avait été engendré dans le patrimoine génétique du clan Ridenow, précisément pour ce genre de travail, bien des siècles auparavant. Mais plus récemment, la vieille science non causale de Ténébreuse était tombée en désuétude. À cause d’un excès de mariages consanguins, les anciens dons du laran se reproduisaient rarement à leur état pur. Damon avait hérité du don de son clan dans toute son intégrité, mais de tout temps, l’avait considéré comme une malédiction plutôt que comme une bénédiction, et à présent, il répugnait à l’utiliser.

De même qu’il avait répugné à s’en servir – il se l’avouait franchement – pour sauver les membres de son escorte. Il avait senti le danger. Le voyage, qui aurait dû être paisible, routinier, était devenu un cauchemar. Pourtant, il n’avait pas eu le courage de se servir de la pierre-étoile qu’il avait reçue lors de son initiation, et qui était si étroitement en harmonie avec les réseaux télépathiques de son esprit que personne d’autre que lui ne pouvait l’utiliser, ni même la toucher.

Parce qu’il en avait peur… Il en avait toujours eu peur…

L’espace d’un instant, le temps sembla basculer, le ramenant quinze ans en arrière. Et un jeune Damon se tenait, la tête inclinée, devant la gardienne d’Arilinn, Leonie, qui maintenant prenait de l’âge et dont Callista devait justement prendre la place. Elle n’était déjà plus très jeune alors, Leonie, et loin d’être belle, avec ses cheveux roux qui perdaient de leur éclat, et sa silhouette amaigrie. Mais ses yeux gris étaient remplis de douceur et de compassion.

— Non, Damon. Ce n’est pas que tu aies échoué ou que je sois mécontente de toi. Et nous tous, moi la première, t’aimons et t’apprécions. Mais tu es trop sensible, tu ne sais pas barricader tes pensées. Si tu avais été une femme, dans un corps de femme…

Elle avait alors posé légèrement la main sur son épaule.