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— … tu serais devenu gardienne, peut-être l’une des meilleures. Mais tu es un homme (elle haussa les épaules imperceptiblement), et cela te ferait du mal, te déchirerait. Peut-être qu’une fois éloigné de la tour, tu arriveras à t’entourer d’autres choses, à devenir moins sensible, moins…

Elle hésita, cherchant le mot exact.

— … moins vulnérable. C’est pour ton bien que je te renvoie, Damon. Pour ta santé, pour ton bonheur, peut-être même pour ton équilibre.

Doucement, comme dans un soupir, ses lèvres effleurèrent le front de Damon.

— Tu sais que je t’aime. C’est pour cela que je ne veux pas que tu souffres. Va, Damon.

La décision de Leonie était sans appel, et Damon était parti, maudissant sa vulnérabilité et son don.

Il était entré au conseil Comyn, et bien qu’il ne fût ni soldat ni homme d’épée, il avait à son tour commandé la garde : il avait constamment besoin de se prouver qu’il n’était pas un incapable. Il ne s’avoua jamais à quel point cette heure passée avec Leonie l’avait tourmenté dans sa virilité. Il s’était tenu à l’écart avec horreur et panique de tout travail avec la pierre-étoile, qu’il portait toujours, car elle faisait maintenant partie de lui-même. Et maintenant, il fallait qu’il s’en serve, et son esprit, ses nerfs, tous ses sens protestaient avec révolte.

Il revint brusquement à la réalité quand il entendit Ellemir lui adresser timidement la parole.

— Damon, tu dors ?

Il secoua la tête pour chasser tous les fantômes de son échec passé et de sa peur.

— Non, non. Je me préparais. Qu’est-ce que tu m’as apporté ?

Elle ouvrit la main. Elle tenait un filigrane d’argent en forme de papillon, délicatement étoile de gemmes multicolores.

— Callista le porte toujours dans ses cheveux, dit-elle – et effectivement, quelques longs cheveux soyeux étaient encore accrochés au fermoir.

— Tu es sûre que c’est à elle ? Je suppose que, comme toutes les sœurs, vous vous prêtez vos affaires – ma propre sœur se plaignait souvent de cela.

Ellemir tourna la tête pour lui montrer la boucle en forme de papillon sur sa nuque.

— Père fait toujours façonner les bijoux de Callista en argent et les miens en plaqué or, pour que nous puissions les distinguer. Il a fait faire ceux-là pour nous à Carthon, il y a des années, et depuis, elle porte le sien dans ses cheveux tous les jours. Elle n’aime pas particulièrement les bijoux, alors elle m’a donné le bracelet assorti, mais elle porte toujours la boucle.

C’était détaillé et convaincant. Damon prit la boucle entre ses doigts et ferma les yeux pour la sentir.

— Oui, c’est à Callista, dit-il au bout d’un moment.

— Comment le reconnais-tu ? Damon haussa les épaules.

— Donne-moi le tien, dit-il.

Ellemir détacha la boucle de ses cheveux en se tournant pudiquement, si bien qu’il ne fit qu’entrevoir sa nuque découverte. Il était tellement sensible à la présence de la jeune fille que cette vision fugace provoqua en lui un profond transport d’émotion sensuelle. Mais le moment était mal choisi, et il repoussa fermement sa pensée vers un niveau plus reculé de sa conscience. Il prit le bijou dans la main et y sentit l’empreinte vivante d’Ellemir. Il respira profondément et refoula de nouveau la sensation.

— Ferme les yeux, ordonna-t-il.

Comme une enfant, elle serra les paupières.

— Étends les mains…

Damon posa un bijou dans chacune de ses petites mains blanches.

— À présent, si tu n’es pas capable de me dire lequel est le tien, tu n’es pas une enfant du domaine Alton.

— On a mesuré mon laran quand j’étais petite, protesta Ellemir, et on m’a dit que, comparée à Callista, je n’en avais presque pas…

— Ne te compare jamais à personne, dit Damon, subitement en colère. Concentre-toi, Ellemir.

— Celui-ci est à moi… j’en suis sûre, dit Ellemir avec une note de surprise dans la voix.

— Regarde, maintenant.

Elle ouvrit ses yeux bleus et contempla avec étonnement le papillon doré qu’elle tenait dans la main.

— Mais oui ! L’autre était différent, et celui-ci… Comment ai-je fait cela ?

— Celui-ci, le tien, porte la marque de ta personnalité, tes vibrations, répondit Damon. Cela aurait été encore plus facile si Callista et toi n’étiez pas jumelles, car les jumelles ont des vibrations très semblables. C’est pour cela que je voulais être tout à fait sûr que tu n’avais jamais porté le sien. Évidemment, comme Callista est gardienne, son empreinte est plus nette.

Il se tut, sentant la colère revenir. Ellemir avait toujours vécu dans l’ombre de sa jumelle. Elle était trop bonne et douce pour en être froissée. Pourquoi fallait-il qu’elle fût si humble ?

Il essaya de se calmer.

— Je crois que tu as plus de laran que tu ne le penses, bien qu’il soit vrai que, chez des jumelles, il semble que l’une hérite toujours plus que sa part du don que l’autre. C’est pourquoi les meilleures gardiennes sont souvent des jumelles, parce qu’elles possèdent une part des facultés télépathiques de leurs sœurs en plus de la leur.

Il prit la pierre-étoile dans la coupe formée par ses mains. Le cristal lui renvoya des éclats d’un bleu énigmatique semblables à des rubans de feu s’enroulant en son milieu. Des feux qui allaient réduire son âme en cendres… Damon serra les dents pour maîtriser son angoisse.

— Je vais avoir besoin de ton aide, dit-il rudement.

— Mais comment ? Je ne sais rien faire.

— Tu n’as jamais surveillé Callista quand elle sortait ?

Ellemir fit non de la tête.

— Elle ne me parle jamais de sa formation ni de son travail. Elle dit que c’est difficile et qu’elle préfère ne pas y penser quand elle est ici.

— Dommage, dit Damon.

Il s’installa confortablement dans sa chaise.

— Très bien, dit-il. Je vais te dire ce qu’il faut faire. Ce serait mieux si tu avais de l’expérience, mais tu en as suffisamment pour faire ce que je vais te demander. Mets tes mains sur mes poignets, de façon que je puisse toujours voir la pierre, mais – oui, comme ça, sur le pouls. À présent…

Il tenta un léger contact télépathique. Elle tressaillit, et il sourit.

— Voilà, tu as senti le contact. Maintenant, tout ce qu’il te reste à faire, c’est de veiller sur mon corps pendant que j’en serai sorti et que je chercherai Callista. Au début, tu verras que je serai un peu froid, et que mon pouls va ralentir quelque peu. C’est normal, ne t’affole pas. Mais si on nous interrompt, ne laisse personne me toucher. Et surtout, que personne ne me déplace. Si mon pouls s’accélère, si les veines de mes tempes enflent, ou si mon corps devient très froid ou très chaud, alors réveille-moi.

— Comment ?

— Appelle-moi par mon nom, et mets-y toute ton énergie. Tu n’as pas besoin de le prononcer tout haut, projette seulement tes pensées sur moi, en disant mon nom. Si tu n’y arrives pas, ou si mon état empire – par exemple, si j’ai du mal à respirer – réveille-moi immédiatement. Il ne faut pas hésiter. En désespoir de cause, mais seulement si tu ne peux faire autrement, touche la pierre.

Il ne put réprimer une grimace.

— Vraiment en dernier ressort, cependant. C’est douloureux et ça pourrait me mettre en état de choc.

Les mains d’Ellemir tremblèrent. Sa peur et son hésitation obscurcissaient légèrement les pensées de Damon. Pauvre enfant, se dit-il. Je ne devrais pas avoir à lui faire cela. Quelle poisse ! Il fallait bien que Callista s’attire des ennuis…