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— Je ne connais rien à tout cela, lui rappela Andrew.

— Oh ! ça – Damon haussa les épaules, il était complètement épuisé. Je devrais être plus raisonnable. Je ne suis plus habitué au surmonde. Il faut que je me repose, et j’essaierai une autre fois. Pour le moment, je n’ai plus de forces. Mais quand j’aurai récupéré…

Il se redressa.

— … ces damnés hommes-chats n’auront qu’à bien se tenir ! Je crois savoir, à présent, ce que nous allons faire.

Eh bien, se dit Andrew, il en sait bigrement plus que moi. Mais je pense qu’il sait ce qu’il fait, et ça me suffit pour le moment.

6

Damon Ridenow se réveilla et paressa un moment dans son lit, le regard fixé au plafond. Le jour baissait. Après la recherche ardue qui avait duré toute la nuit dans le surmonde, et la confrontation avec Andrew Carr, il avait passé la plus grande partie de la journée à dormir. La fatigue avait disparu, mais l’appréhension était toujours là. Le Terrien était leur seul lien avec Callista, et Damon trouvait absolument invraisemblable qu’un homme d’une autre planète pût réaliser ce subtil contact avec une télépathe. Des Terriens, possédant les facultés du laran des Comyn ! Impossible !

Et pourtant, c’était arrivé.

Il n’avait rien contre Andrew, mais le fait que ce fût un étranger le mettait mal à l’aise. Quant à l’homme lui-même, il avait plutôt tendance à le trouver sympathique, peut-être grâce au rapport mental qui les avait rapprochés, un instant. Dans la caste Comyn, c’était le laran, ce don extra-sensoriel particulier, qui influençait les affinités. Le rang et les liens familiaux, par contre, avaient peu de poids. Donc, selon ce critère, le plus important sur Ténébreuse, Andrew Carr était des leurs, et le fait qu’il fût terrien était un détail sans grande portée.

Ellemir, aussi, avait subitement pris une importance nouvelle dans sa vie.

Télépathe, formé à la tour, il savait que le contact des esprits créait une intimité qui surpassait tout le reste. Il avait ressenti cela pour Leonie – de vingt ans son aînée, vouée par la loi à demeurer vierge. Durant les années passées à la tour, et bien longtemps après qu’il en fut parti, il l’avait aimée profondément, sans espoir de réciprocité, avec une dévotion passionnée qui l’avait rendu indifférent aux autres femmes. Si Leonie était au courant de son amour – et elle ne pouvait l’ignorer, étant ce qu’elle était – cela ne l’avait jamais affectée. Les gardiennes étaient formées, à l’aide de méthodes incompréhensibles pour le commun des mortels, à être inconscientes de leur beauté et de leur sexualité.

Cette pensée le ramena à Callista – et à Ellemir. Il avait connu Ellemir quand elle était tout enfant. Mais il avait presque vingt ans de plus qu’elle. Les parents de Damon avaient insisté maintes fois pour qu’il se marie, mais la dévotion de sa première jeunesse s’était consumée dans l’ardeur de sa flamme pour l’intouchable Leonie. Après cela, il n’avait jamais cru avoir beaucoup à offrir aux femmes. Après l’intimité qu’il avait connue avec les membres du Cercle de la tour, dont l’esprit et le cœur étaient ouverts à chacun – ils étaient sept à s’être regroupés très étroitement –, un contact plus superficiel lui était devenu intolérable. Renvoyé de la tour, il avait vécu dans une solitude telle que rien ne pouvait la dissiper.

Seul, seul, toute ma vie j’ai été seul. Et je n’avais jamais pensé… Ellemir, ma cousine, une enfant, juste une petite fille…

Il se leva brusquement, se dirigea vers la fenêtre et regarda dans la cour. Ellemir n’était pas si jeune que ça. Elle était assez âgée pour diriger ce vaste domaine quand les hommes de la famille se rendaient au conseil Comyn. Elle devait avoir une vingtaine d’années. Elle était en âge d’avoir un amant. En âge de se marier, si elle le voulait. Elle avait tous les droits d’une Comynara, et était libre de ses actes.

Mais elle est assez jeune pour mériter quelqu’un de mieux que moi, qui suis déchiré par la peur et l’incompétence…

Il se demanda si elle avait pensé à l’éventualité d’une liaison avec lui, si même elle avait eu d’autres amants. Il l’espérait. Si Ellemir l’aimait, il voulait que ce soit un sentiment né d’un choix, de son expérience des hommes. Pas un béguin d’adolescente qui disparaîtrait quand elle rencontrerait d’autres hommes. Il se prit à songer : jumelle d’une gardienne, Ellemir aurait peut-être acquis un peu de l’indifférence à l’égard des hommes, qui avait été conditionnée chez Callista.

De toute façon, c’était une question à laquelle il fallait faire face. Ils ne pouvaient plus ignorer l’affinité, l’émotion presque sexuelle qui existait entre eux. Et il n’y avait, certes, aucune raison de l’ignorer. Cela renforcerait aussi leur aptitude à travailler ensemble durant les événements à venir. Ils s’étaient engagés à retrouver Callista, et cette affinité ne ferait qu’accroître leur force. Après cela… eh bien, peut-être ne pourraient-ils plus jamais se séparer l’un de l’autre.

Damon sourit doucement. Il réalisait qu’il devrait probablement épouser Ellemir. Il n’en était pas mécontent, à moins que l’idée ne déplaise à Ellemir.

Il y pensait toujours en descendant l’escalier pour se rendre à la grande salle. Ellemir était là, et avant même qu’elle ait levé ses yeux graves vers lui, il comprit qu’elle aussi avait réfléchi et pris la même décision. Elle lâcha son ouvrage et alla se blottir sans rien dire dans les bras de Damon qui poussa un profond soupir de soulagement. Ils restèrent debout devant le feu, en silence, les doigts enlacés.

— Cela ne t’ennuie pas, breda, dit-il au bout d’un long moment, que j’aie l’âge d’être ton père ?

— Toi ? Oh, non, non ! Non, seulement si tu étais trop vieux pour me donner des enfants, comme c’est arrivé à la pauvre Liriel quand on l’a mariée au vieux Dom Cyril Ardais. Cela m’ennuierait vraiment. Mais toi, non, je ne me suis jamais donné la peine de m’inquiéter de ton âge. Je crois que je n’aimerais pas avoir un amant qui ne puisse me donner d’enfants, ajouta-t-elle avec simplicité. Ce serait trop triste.

Damon eut grand-peine à réprimer une cascade de rires inattendue. Il n’avait pas songé à cela. Faites confiance à une femme pour penser aux détails importants. L’idée était plaisante, et sa famille serait contente.

— Je crois que nous n’aurons pas besoin de nous en inquiéter quand le moment sera venu, preciosa, dit-il.

— Père ne sera pas content, dit Ellemir lentement. Avec Callista à la tour, je crois qu’il espérait que je resterais ici et que je m’occuperais de la maison. Mais j’ai achevé ma dix-neuvième année, et d’après la loi Comyn, je suis libre de faire ce que je veux.

Damon haussa les épaules en pensant au formidable vieillard qu’était le père des deux jeunes filles.

— Je n’ai jamais entendu dire que Dom Esteban ne m’aimait pas, dit-il. Et s’il ne peut supporter de te perdre, peu importe où nous choisirons de vivre. Amour…

Il s’interrompit, brusquement inquiet.

— Pourquoi pleures-tu ?

Elle se blottit encore plus près.

— J’avais toujours pensé, dit-elle d’un air désolé, que quand j’aurais fait mon choix, Callista serait la première à le savoir.

— Vous êtes très proches, Callista et toi, bien-aimée ?

— Pas aussi proches que d’autres jumelles, depuis qu’elle est partie pour la tour et qu’elle doit devenir gardienne. Je savais que nous ne pourrions jamais partager un amant, ou un mari, comme tant de sœurs le font. Et pourtant, je suis bien triste à l’idée que Callista ne connaîtra jamais ce qui a tant d’importance pour moi.