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Il y avait eu des femmes, bien sûr. Des femmes dans tous les ports – quel était le dicton, commencé avec les marins, puis attribué aux hommes de l’espace : « toujours une nouvelle femme dans chaque port… » ? Et il savait que certains hommes trouvaient cet état de choses enviable !

Mais aucune de ces femmes n’avait été la bonne, et au fond de lui-même, il se rappelait tout ce qu’on lui avait dit à la division Psycho. Ils devaient savoir de quoi ils parlaient. On recherche la perfection chez une femme pour éviter une véritable liaison. On se réfugie dans un idéal pour ne pas avoir à faire face aux dures réalités de la vie. Et ainsi de suite. Quelques-uns d’entre eux étaient même allés jusqu’à essayer de le convaincre qu’il était inconsciemment homosexuel et trouvait ses expériences sexuelles insatisfaisantes parce que les femmes ne l’intéressaient pas vraiment. Seulement, il ne pouvait pas se l’avouer. On le lui avait répété, cent fois. Malgré tout, le rêve persistait.

Pas une femme pour son lit, mais une pour son cœur affamé.

Sans doute la vieille diseuse de bonne aventure avait-elle joué sur ce fait. Peut-être que tant d’hommes partageaient le même rêve qu’elle sortait la même chose à tout le monde, de même que les médiums charlatans sur Terre parlaient aux adolescentes du bel inconnu qu’elles rencontreraient sûrement un jour.

Non, elle était réelle. Je l’ai vue, et elle m’a appelé…

Très bien. Penses-y, maintenant. Il est temps de mettre les choses au point…

Il était venu à Cottman IV alors qu’il était en route pour une nouvelle mission. Ce n’était qu’une escale, une planète-carrefour parmi tant d’autres, un centre d’aiguillage du réseau de l’Empire terrien. La base spatiale était vaste, de même que la cité de commerce qui l’entourait. Mais la planète n’était pas une colonie de l’Empire, avec un commerce établi, des voyages, des visites. C’était, il le savait, un monde habité, mais pour la plus grande partie interdit aux Terriens. Il ignorait le nom que les autochtones lui donnaient. Celui qui figurait sur les cartes de l’Empire lui suffisait : Cottman IV. Il n’avait pas prévu d’y rester plus de quarante-huit heures, juste le temps d’organiser son voyage vers sa destination finale.

C’est alors qu’en compagnie de trois autres membres du service de l’Espace, il s’était rendu à la vieille ville. Il était las de l’ordinaire servi dans les vaisseaux. Cela avait toujours goût de machines, un fort goût âcre d’épices qui tentaient de masquer la saveur caractéristique de l’eau recyclée et des hydrocarbures. La nourriture de la vieille ville avait au moins l’avantage d’être naturelle : de la bonne viande grillée telle qu’il n’en avait pas eu depuis son dernier cantonnement, des fruits frais et odorants, un vin clair et doré. Il avait apprécié ce repas plus que n’importe lequel depuis des mois. Ensuite, par curiosité, il avait déambulé avec ses compagnons dans le marché, achetant des souvenirs, tâtant d’étranges étoffes rugueuses et de douces fourrures. Puis il s’était arrêté au stand d’une diseuse de bonne aventure, et pour s’amuser, avait prêté l’oreille à ses propos.

— Quelqu’un vous attend. Je peux vous montrer la figure de votre destinée, étranger. Voulez-vous voir le visage de celle qui vous attend ?

Il n’avait jamais pensé que ce fût rien de plus que la combine classique pour lui soutirer quelques pièces. Amusé, il avait donné à la vieille femme les pièces demandées et l’avait suivie dans sa baraque de toile. À l’intérieur, elle avait regardé dans son cristal – curieux comme, dans chaque monde où il était passé, la boule de cristal était l’instrument de prédilection de la prétendue double vue – et puis, sans un mot, avait poussé la boule vers lui. Mi-amusé, mi-dégoûté, prêt à s’éloigner, Andrew s’était penché et avait aperçu le joli minois, l’éclatante chevelure rousse.

Une publicité pour une poule de luxe, pensa-t-il cyniquement, et il se prépara à demander à la vieille maquerelle combien elle demandait pour la fille ce jour-là, et si elle avait des tarifs spéciaux pour les Terriens. À ce moment-là, la fille dans le cristal leva les yeux, son regard croisa celui d’Andrew, et…

Et c’était arrivé. Il n’y avait pas de mots pour l’exprimer. Il était resté si longtemps immobile, penché sur le cristal, qu’il en eut des crampes dans le cou, auxquelles il ne prêta d’ailleurs aucune attention sur le moment.

Elle était très jeune et semblait à la fois apeurée et souffrante. Il avait l’impression qu’elle pleurait et lui demandait une aide que lui seul pouvait apporter ; qu’elle le touchait intentionnellement au plus profond de lui-même. Mais il ne parvenait pas à comprendre ce que c’était, sauf qu’elle l’avait appelé, qu’elle avait désespérément besoin de lui.

C’est alors que le visage avait disparu.

Il avait mal à la tête. Il s’agrippa à la table, tremblant, tâchant vainement de la rappeler.

— Où est-elle ? Qui est-elle ? supplia-t-il.

La vieille femme tourna vers lui un visage renfrogné. Apparemment, elle ignorait tout de ce qui venait de se passer.

— Non, vraiment, comment saurais-je ce que vous avez vu, étranger d’une autre planète ? Je n’ai rien vu, ni personne, et d’autres attendent. Vous devez partir, à présent.

Déconcerté, accablé, il était sorti en trébuchant.

Elle m’a appelé. Elle a besoin de moi. Elle est ici…

Et je pars dans six heures.

Cela ne lui avait pas été vraiment facile de rompre son contrat afin de rester, mais il n’avait pas eu trop de difficultés non plus. Les postes sur les planètes où il se rendait étaient très demandés. En moins de trois jours, il serait remplacé. Il lui faudrait accepter un grade deux échelons en dessous du sien, mais cela lui importait peu. D’un autre côté, comme on le lui avait appris au Personnel, les volontaires pour Cottman IV étaient difficiles à trouver. Le climat était mauvais, il n’y avait pour ainsi dire pas de commerce avec l’Empire et, bien que le salaire fût intéressant, aucun employé qualifié ne tenait vraiment à s’exiler si loin, aux limites de l’Empire, sur une planète qui refusait obstinément tout rapport avec eux sauf la location de la base spatiale. On lui offrit le choix entre un travail au centre d’informatique et un emploi dans la section Cartographie et Exploration, très dangereux mais largement rémunéré. Pour on ne sait quelle raison, les habitants de cette planète n’avaient jamais dressé de carte de la contrée. L’Empire terrien avait pensé améliorer les relations publiques avec eux en leur présentant des cartes finies que leur technologie ne pouvait ou ne voulait exécuter.

Il choisit Cartographie et Exploration. Il savait déjà – en l’espace d’une semaine, il avait vu chaque fille, chaque femme de la base – qu’elle ne travaillait ni au Médic, ni au Personnel, ni aux Communications. Les employés du service de Cartographie et Exploration jouissaient de certains privilèges qui leur permettaient de sortir des strictes limites de l’Empire. Il ne savait où, ni pourquoi, elle se trouvait là, et l’attendait…

C’était devenu une obsession, il s’en rendait compte, mais il ne pouvait ni ne voulait rompre le charme.

Enfin, la troisième fois qu’il était parti en expédition dans l’avion de cartographie, l’accident… et il était là, pas plus près d’elle qu’avant. Elle, son rêve. Si elle avait jamais existé, ce dont il doutait.

Épuisé par cet effort de mémoire, il rampa de nouveau à l’intérieur de son refuge pour se reposer. Il aurait assez de temps le lendemain pour trouver un moyen de sortir de la corniche. Il mangea les rations de secours, suça de la glace et sombra dans un sommeil inconfortable…