— Vous avez peut-être raison, dit-il. Cornent vous débrouillez-vous à l’épée ?
Surpris, Andrew hésita avant de répondre.
— Je ne sais pas. L’escrime, chez nous, n’est plus qu’un sport. Mais je ne demande pas mieux que d’essayer. J’apprends vite.
Damon haussa les sourcils.
— Ce n’est pas si facile.
Son peuple n’utilise l’épée que pour un sport ? Comment se défendent-ils donc ? Avec des couteaux, comme les habitants des Villes Sèches, ou avec le poing ? Dans ce cas, ils doivent être plus forts que nous. À moins que les Terriens ne soient allés plus loin que le pacte et n’aient interdit toute arme qui tue ?
— Eduin ! appela-t-il.
Le garde, qui attendait près de la porte, se mit au garde-à-vous.
— Vai dom ?
— Allez chercher deux épées d’entraînement.
Eduin revint peu de temps après, portant deux épées de bois et de cuir qui servaient à l’initiation des débutants. Damon en saisit une et tendit l’autre au Terrien. Celui-ci examina curieusement le bâton de bois souple dont la pointe et les tranchants étaient recouverts de cuir tressé, et finalement la prit en main d’un geste maladroit. Damon fronça les sourcils.
— Avez-vous jamais touché une épée ?
— J’ai fait un peu d’escrime pour m’amuser. Je ne suis pas très bon.
Je le crois sans peine, se dit Damon en attachant son masque de cuir. Il jeta à Andrew un coup d’œil par-dessus son épaule droite, à travers la grille qui lui protégeait le visage. Les épées d’entraînement étaient assez flexibles pour être inoffensives. Andrew lui faisait carrément face. La poitrine découverte, nota-t-il, et il tient l’épée comme pour donner un coup de tisonnier au feu.
Andrew fit un pas en avant. Damon leva légèrement son épée pour parer l’attaque. Andrew en perdit l’équilibre et reçut la pointe de cuir dans la poitrine. Damon baissa son arme en hochant la tête.
— Vous voyez, mon ami ? Et je ne suis même pas un escrimeur. Je ne pourrais pas échanger une demi-douzaine de coups avec un adversaire médiocre. Dom Esteban ou Eduin me feraient sauter l’épée des mains avant que j’aie pu la lever.
— Je suis sûr que je pourrais apprendre, protesta Andrew, entêté.
— Pas assez vite. Croyez-moi, Andrew, j’ai commencé à m’entraîner à l’épée quand je n’avais pas encore huit ans. Vous êtes fort, je le vois bien. Vous êtes même assez rapide. Mais nous ne pourrions jamais vous apprendre comment vous défendre, en une semaine. Et nous n’avons pas une semaine. Ni même une journée. Je suis désolé, Andrew. Nous avons besoin de vous pour quelque chose de plus important.
— Et tu crois que toi, tu peux mener un groupe d’hommes contre les hommes-chats ? demanda Dom Esteban d’un air sarcastique. Eduin peut faire avec toi, en quelques secondes, ce que tu as fait au Terrien.
Damon se retourna vers le blessé. Esteban avait fait remporter le plateau, et il regardait les personnes présentes à tour de rôle, avec une lueur de colère dans les yeux.
— Sois raisonnable, Damon. Je t’ai laissé dans la garde parce que les hommes t’aimaient bien et que tu as le sens de l’organisation. Mais ceci est l’affaire d’un escrimeur de première classe. Es-tu aveugle au point de croire que tu es capable de vaincre ces êtres qui ont assailli la garde d’Armida et enlevé Callista ? Est-ce que je marie ma fille à un imbécile ?
— Père, comment osez-vous ! s’écria Ellemir, furieuse. Vous ne pouvez pas parler à Damon de la sorte !
Damon lui fit signe de se calmer. Il fit face au vieil homme.
— Je le sais bien, mon oncle. Je connais probablement mes propres faiblesses mieux que vous. Mais on ne peut pas demander l’impossible, et, de toute façon, c’est mon droit : je suis à présent le parent le plus proche de Callista, si l’on ne tient pas compte de Domenic qui n’a pas encore dix-sept ans.
Esteban fit une grimace.
— Très bien, mon fils. J’admire ton cran. Je voudrais que ton habileté soit à la mesure de ton caractère.
Il leva les poings et les abattit sur les coussins avec rage.
— Par les enfers de Zandru ! Me voilà, diminué et inutile comme l’âne de Durraman, et toute mon adresse, toute ma connaissance…
Sa fureur tomba tout d’un coup.
— Si j’avais le temps de t’entraîner, reprit-il enfin, d’une voix plus faible, tu n’es pas un incapable… mais nous n’avons pas le temps, pas le temps. Tu dis qu’avec ta pierre-étoile, tu peux défaire leur damnée invisibilité ?
Damon acquiesça. Eduin avança alors jusqu’au lit et s’agenouilla.
— Seigneur Istvan, je dois une vie au seigneur Damon. Permettez-moi de l’accompagner à Corresanti.
— Vous êtes blessé, mon vieux, dit Damon, profondément touché. Et vous avez déjà eu à vous battre une fois.
— Quand même, protesta Eduin. Vous avez dit que j’étais meilleur bretteur que vous. Laissez-moi vous garder, seigneur Damon. Vous devez porter la pierre-étoile.
— Miséricordieuse Avarra ! souffla Dom Esteban. Voilà la solution !
— J’accepte volontiers votre compagnie et votre épée, si vous vous sentez assez fort, dit Damon en posant une main sur l’épaule d’Eduin.
Il était dans un état de sensibilité telle que le flot de dévouement et de gratitude qu’il percevait en l’homme le décontenançait.
— Mais vous devez vos services à Dom Esteban. C’est à lui de vous donner la permission de m’accompagner.
Ils se tournèrent vers Esteban. Il avait les yeux fermés, et Damon se demanda si cette conversation l’avait fatigué. Mais en voyant ses sourcils froncés, il comprit que le blessé était plongé dans une profonde réflexion. C’est alors qu’Esteban rouvrit les yeux.
— Dis-moi donc, Damon, demanda-t-il. Sais-tu bien te servir de ta pierre-étoile ? Je sais que tu as le laran et que tu as passé plusieurs années à la tour. Mais est-ce que Leonie ne t’a pas renvoyé ? Si c’était pour une raison d’incompétence, mon idée ne marchera pas, mais…
— Ce n’était pas pour incompétence, dit Damon paisiblement. Leonie ne s’est pas plainte de mon travail. Elle a dit que j’étais trop sensible, et qu’elle avait peur que ma santé n’en souffre.
— Regarde-moi dans les yeux, Damon. Est-ce la vérité ou de la vanité ?
Il y avait des moments où Damon détestait positivement cet homme dépourvu de délicatesse.
— Si je me souviens bien, dit-il en soutenant le regard d’Esteban sans fléchir, vous avez assez de laran pour le découvrir vous-même.
Dom Esteban eut à nouveau un sourire sans joie.
— Je ne sais comment, ni où tu as trouvé suffisamment de caractère pour me tenir tête, cousin, mais c’est bon signe. Quand tu étais adolescent, tu avais peur de moi. Est-ce seulement parce que je ne vais jamais plus me lever que tu as le courage de me faire face ?
Il fixa à son tour les yeux de Damon – un contact rude comme sa poigne solide.
— Je te demande pardon d’avoir douté de toi, cousin, mais ceci est trop important pour que j’épargne les sentiments de qui que ce soit, même les miens. Penses-tu que je me réjouisse à l’idée qu’un autre va devoir aller au secours de ma fille préférée ? Enfin. Je vois que tu es doué. Connais-tu l’histoire de Régis V ? Les Hastur régnaient en ce temps-là. C’était avant que la couronne ne passe dans la lignée des Elhalyn.
Damon fronça les sourcils, tâchant de se rappeler les vieilles légendes.
— Régis V… n’avait-il pas perdu une jambe à la bataille du col du Dammerung… ?