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— Non, dit Dom Esteban. Il avait perdu une jambe parce qu’on l’avait trahi et que des assassins l’avaient attaqué pendant son sommeil. Afin qu’il ne puisse plus se battre en duel et qu’il perde ainsi une bonne moitié des terres Hastur. Il envoya à sa place son frère Rafael, qui était une sorte de moine et n’avait aucune expérience en matière de duels, et qui pourtant se battit contre sept hommes et les tua tous. Depuis ce jour, le château Hastur est aux mains des Hastur en bordure des montagnes. Et cela, Rafael avait pu le faire, parce que Régis, encore immobilisé, avait pu guider ses gestes depuis son lit, grâce à la matrice qu’il avait encastrée dans l’épée et qui les maintenait en contact.

— Un conte de fées, dit Damon.

Malgré tout, il sentait un étrange picotement dans le dos. Dom Esteban secoua la tête, autant que les sacs de sable le lui permettaient.

— Sur l’honneur du domaine Alton, Damon, protesta-t-il avec véhémence, ce n’est pas un conte de fées. Ce talent était connu depuis longtemps, mais de nos jours, peu de Comyn ont la force ou le courage de le faire. À présent, ce sont les femmes qui manient les pierres-étoiles. Pourtant, si j’étais sûr que tu as le talent de nos ancêtres avec une matrice…

Damon comprit avec effarement où Dom Esteban voulait en venir.

— Mais…

— Tu as peur ? Crois-tu que tu pourrais supporter le contact du don Alton ? Si cela te rendait capable de te battre contre les hommes-chats, avec mon adresse ?

Damon ferma les yeux.

— J’ai besoin d’y réfléchir, dit-il honnêtement. Ce ne serait pas facile.

Pourtant… si c’était le seul moyen de sauver Callista ?

Dom Esteban était le seul homme au monde capable de passer à travers une embuscade d’hommes-chats. Damon s’était échappé comme un lapin en laissant mourir ses gardes. Il fallait qu’il prenne sa décision tout seul. Pendant un moment, personne n’exista plus dans la pièce, que Dom Esteban et lui.

Il s’approcha du lit et regarda l’homme prostré.

— Si je refuse, mon oncle, ce n’est pas que j’aie peur. Seulement, je ne suis pas sûr que vous ayez la force d’entreprendre une chose pareille dans votre état. Je ne savais pas que le don Alton s’était reproduit en vous dans toute son intégrité.

— Oh ! oui, je l’ai, dit Esteban, le fixant avec une intensité effrayante. Mais toute ma vie, je n’ai jamais cru avoir besoin d’autre don que ma force physique et mon adresse aux armes. Pourquoi crois-tu que Callista a été choisie parmi toutes les filles des Domaines pour devenir gardienne ? Le don Alton est la faculté d’établir un rapport de force, et j’ai reçu quelque entraînement dans ma jeunesse. Mets-moi à l’épreuve si tu veux.

Ellemir vint glisser sa main dans celle de Damon.

— Père, protesta-t-elle, vous ne pouvez pas faire une chose pareille, c’est épouvantable !

— Épouvantable ? Pourquoi donc, ma fille ?

— Cela va à l’encontre de la loi la plus sévère du Comyn : personne ne doit dominer l’esprit et l’âme d’un autre.

— Et qui parle de son esprit et de son âme ? demanda le vieil homme, ses sourcils broussailleux se soulevant comme deux grosses chenilles. C’est son bras et ses réflexes qui m’intéressent, et je peux les dominer. Et je ne le ferai que de son plein gré.

Il essaya de tendre la main vers Damon, grimaça de douleur et se renversa entre les sacs de sable.

— À toi de décider, Damon.

Andrew était pâle et inquiet. Damon ne se sentait guère plus rassuré, et la main d’Ellemir tremblait dans la sienne.

— Si c’est le meilleur moyen d’arriver à Callista, dit-il lentement, j’accepterai plus encore. Si vous vous sentez assez fort, seigneur Esteban.

— Si mes sacrées jambes pouvaient seulement bouger !… Je me suis battu avec de pires blessures. Prends une épée d’entraînement. Eduin, prends l’autre.

Damon enfila le masque, tourna son côté droit vers Eduin. Le garde salua. Il lui faisait face, les pieds écartés, la pointe de son épée au sol. Damon sentit la peur l’envahir.

Ce n’est pas qu’Eduin puisse me faire bien mal avec cette épée de bois, ni que je redoute quelques bleus et bosses. Mais cet odieux bonhomme m’a toujours harcelé sur mon manque d’adresse. Me ridiculiser devant Ellemir… lui permettre de m’humilier une fois de plus…

— Ta pierre-étoile est recouverte, Damon, dit Esteban d’une voix étrange et distante. Découvre-la.

Damon retira les étuis de cuir et de soie et laissa la gemme nue, tiède et pesante, reposer sur sa gorge. Il donna la pochette à Ellemir, et le frôlement des doigts de la jeune fille contre les siens le rassura.

— Recule-toi, Ellemir, dit Esteban. Vous aussi, Terrien. Tenez-vous près de la porte, et veillez à ce qu’aucun serviteur n’entre. Ils ne peuvent pas faire grand mal avec ces épées d’entraînement, mais quand même…

Ellemir et Andrew se retirèrent. Les deux hommes s’affrontèrent, épées en main, se contournant lentement. Damon était légèrement conscient du contact d’acier de Dom Esteban – qu’est-ce que j’ai dit à Andrew, qu’on apprend à reconnaître les gens à leur image, comme on reconnaît leur voix ? – et sentait un curieux bourdonnement dans ses oreilles, comme une forte pression. Il vit l’épée d’Eduin se diriger vers lui. Avant qu’il ait pu réaliser ce qu’il faisait, il fléchit les genoux, et son bras se détendit pour une riposte foudroyante. L’épée tournoya, Damon entendit le claquement rapide du bois contre le cuir, et il assista alors à une série d’images toutes plus inattendues les unes que les autres : le visage interdit d’Eduin, avec sa cicatrice encore fraîche ; l’air stupéfait d’Andrew ; son propre bras s’élevant, alors qu’il faisait un pas en arrière et feintait ; l’épée s’échappant de la main du garde, voltigeant à travers la pièce et atterrissant presque aux pieds du Terrien. Celui-ci se baissa pour la ramasser. Dans la tête de Damon, le bourdonnement cessa.

— Me crois-tu, à présent, cousin ? As-tu jamais été capable de toucher Eduin auparavant, seulement même de le désarmer ?

Damon réalisa qu’il était essoufflé et que son cœur battait la chamade. Je ne me suis jamais déplacé à une telle rapidité, pensa-t-il, et il ne put s’empêcher de ressentir un mélange de peur et de rancune. La main d’un autre, l’esprit d’un autre… qui contrôlent… qui contrôlent mon corps…

Pourtant, pour rendre à ces maudits félins la monnaie de leur pièce, Dom Esteban était le seul homme capable de mener l’attaque. Et il savait qu’Esteban l’aurait fait s’il l’avait pu.

Damon ne tenait pas particulièrement à être un homme d’épée. Ce n’était pas son fort. Pourtant, il avait un compte à régler avec les hommes-chats. Ses hommes comptaient sur lui, et il les avait laissés mourir. Et Reidel était son ami. S’il pouvait anéantir ses monstres avec l’aide de Dom Esteban, avait-il le droit de refuser ?

Esteban était calmement allongé, pliant et dépliant les doigts d’un air pensif. Il garda le silence, puis il lança à Damon un regard triomphant.

Il est ravi, que le diable l’emporte ! Mais après tout, pourquoi ne le serait-il pas ? Il vient de se prouver qu’il n’est pas complètement inutile.

Damon posa l’épée. À travers le cristal nu, il captait les bribes de sensations diverses : l’émerveillement, presque la terreur d’Eduin, la stupéfaction d’Andrew, le désarroi d’Ellemir. Il essaya de les repousser toutes, et se rapprocha du lit.

— J’accepte, cousin, dit-il d’une voix assurée. Quand commençons-nous ?