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9

Ils se mirent en route le même jour vers midi. Andrew, perché sur le toit d’Armida, les regardait partir. Ellemir était avec lui, enveloppée jusqu’aux oreilles d’un épais châle en tartan vert et bleu.

— Ils ne sont pas assez nombreux pour aller combattre une armée de non-humains, dit Andrew.

Ellemir secoua la tête.

— Ce n’est pas la force physique qui va les faire passer, dit-elle d’une voix étrangement distante. Damon porte la seule arme qui importe : la pierre-étoile.

— Il me semble pourtant qu’il va avoir à en découdre. Ou plutôt, votre père.

— Pas vraiment. Cela va seulement lui éviter de se faire tuer, s’il a de la chance. Mais des gens armés ont déjà essayé, en vain, de pénétrer dans la contrée des ténèbres. Les hommes-chats le savent. Je suis sûre qu’ils ont enlevé Callista dans l’espoir de se saisir de sa pierre-étoile. Ils ont dû découvrir qu’elle était ici – en général, il est facile à un télépathe d’en espionner un autre – et devaient espérer lui voler sa matrice. Peut-être même espéraient-ils la forcer à l’utiliser contre nous. Des humains auraient su… ils auraient su qu’une gardienne préférerait mourir. Mais il semble que les hommes-chats commencent seulement à apprendre à se servir de ce genre de choses. C’est pourquoi il y a encore un peu d’espoir.

Andrew se dit sombrement que c’était heureux. Si les hommes-chats avaient mieux connu les gardiennes, ils n’auraient pas enlevé Callista. Ils lui auraient coupé la gorge dans son lit. Andrew put voir à l’expression horrifiée d’Ellemir qu’elle avait suivi sa pensée.

— Damon se sent coupable de s’être enfui en laissant massacrer ses hommes, dit-elle. Mais c’était la seule chose à faire. S’ils l’avaient capturé vivant, avec sa matrice…

— Je pensais que personne ne pouvait utiliser la matrice d’un autre, sauf dans des circonstances extraordinaires.

— Pas sans faire beaucoup de mal à son propriétaire. Mais vous croyez que les hommes-chats hésiteraient à le faire ? demanda-t-elle avec mépris.

J’aurais dû aller avec eux, pensa Andrew avec amertume. C’était à moi de sauver Callista. Au lieu de ça, je dois rester à Armida, aussi inutile que Dom Esteban. Plus. Lui, il va se battre avec eux.

Il avait insisté pour faire partie de l’expédition. Il avait cru jusqu’à la dernière minute qu’ils auraient besoin qu’il les mène à Callista, au moins quand ils pénétreraient dans les grottes. Après tout, il était le seul à pouvoir l’atteindre. Même Damon, avec sa pierre-étoile, en était incapable. Mais Damon avait refusé catégoriquement.

— Andrew, non, c’est impossible. La meilleure escorte ne pourrait vous protéger d’une mort accidentelle. Vous êtes incapable de vous défendre, encore moins d’aider quelqu’un. Ce n’est pas votre faute, mon ami, mais nous devons utiliser votre énergie pour entrer dans les grottes et en sortir Callista. La moindre minute que nous prendrions pour vous défendre pourrait tout faire manquer. Et – je vous le rappelle – si nous sommes tués… (il se mordit les lèvres) quelqu’un d’autre peut recommencer. Si c’est vous qui êtes tué, Callista mourra dans sa grotte, de faim, de mauvais traitements, ou d’un coup de couteau dans la gorge, quand ils découvriront qu’elle ne peut leur servir à rien. Damon avait posé la main sur l’épaule d’Andrew avec pitié.

— Croyez-moi, Andrew, je sais ce que vous ressentez. Mais c’est le seul moyen.

— Et comment allez-vous la trouver sans moi ? Vous ne le pouvez pas, même avec votre pierre. Vous-même l’avez dit !

— Avec la pierre de Callista. Vous, vous avez accès au surmonde. Et vous pouvez me joindre, aussi. Une fois que je serai dans les grottes, vous pourrez nous mener à elle à l’aide de sa matrice.

Andrew ne savait pas vraiment comment il allait s’y prendre. En dépit de la séance de la veille, il n’avait qu’un semblant d’idée de la façon dont cela marchait. Il l’avait vu marcher, il l’avait senti marcher. Mais vingt-huit ans de non-croyance dans ce domaine ne s’effaçaient pas en vingt-huit heures.

À côté de lui, accoudée à la balustrade, Ellemir frissonna.

— Ils ont disparu. Il est inutile de rester ici par ce froid.

Elle fit demi-tour et ouvrit la porte du couloir supérieur d’Armida. Lentement, Andrew la suivit.

Il savait que Damon avait raison – ou plus précisément, il avait confiance en Damon – mais cela le tourmentait malgré tout. Depuis plusieurs jours, depuis le moment où il avait décidé que s’il survivait au blizzard, il trouverait Callista et la libérerait, il avait nourri l’espoir de trouver Callista, seule dans le noir, de l’enlever dans ses bras et de la ramener chez elle… Quel rêve romanesque stupide, pensa-t-il âprement. Et où est le cheval blanc qui doit l’emporter ?

Il ne s’était jamais imaginé un monde où l’on pouvait prendre l’épée au sérieux. Pour lui, une épée était un objet à admirer sur les murs d’un musée, ou destiné à faire faire un peu d’exercice. Il aurait voulu avoir une arme à feu ou à rayons – cela, au moins, réglerait rapidement son compte à un homme-chat. Il en avait parlé à Damon qui l’avait contemplé d’un air horrifié, comme s’il venait de parler de viol collectif, de cannibalisme et de génocide, et qui avait ensuite fait mention de quelque chose qui s’appelait le pacte. Effectivement, avant de signer le contrat avec l’Empire terrien sur Cottman IV, Andrew avait vaguement remarqué qu’on y parlait d’une Entente. Il n’y avait pas fait très attention ; on n’accorde jamais trop d’attention à ces détails techniques des cultures autochtones. Mais d’après ce qu’il avait compris, elle interdisait l’usage de toute arme mortelle qui frappait à distance. Damon avait dit que sur Ténébreuse – c’était apparemment le nom de la planète – on respectait cette Entente depuis des centaines ou des milliers d’années. L’emploi des armes à feu hors de question, l’escrime était devenue un art raffiné.

Pas étonnant qu’ils commencent à entraîner leurs enfants alors qu’ils portent encore des culottes courtes. Il se demanda si, avec le climat épouvantable de cette planète, les enfants portaient jamais des culottes courtes, puis haussa les épaules avec impatience. Il se rendit à la chambre que ses hôtes avaient mise à sa disposition, et se dirigea vers la fenêtre. Il déplaça le rideau pour essayer d’apercevoir la petite troupe de Damon, mais le groupe avait déjà dépassé le sommet de la colline.

Andrew s’allongea sur son lit, les mains sous la nuque. Il faudrait bien qu’il aille tôt ou tard dire quelques mots polis à Dom Esteban. Il ne raffolait pas du vieil homme : celui-ci avait fait de son mieux pour humilier Damon. Enfin, il était impotent, et c’était son hôte. De plus, il sentait qu’il devrait aller tenir compagnie à Ellemir. Il ne savait que lui dire, car il était conscient du tourment qu’elle éprouvait pour Callista, Damon et son père. Mais s’il pouvait se rendre utile, s’il pouvait lui faire savoir qu’il partageait son anxiété, il devait le faire.

Callista, Callista, pensa-t-il, dans quel monde m’avez-vous amené… Cependant, il éprouvait un curieux sentiment d’acceptation envers ce qui l’attendait.

La pierre-étoile de Callista qui pendait à son cou dégageait une chaleur rassurante, comme une créature vivante. C’est comme si je touchais Callista elle-même, se dit-il. Même à travers la soie, il sentait une sorte d’intimité dans l’attouchement contre sa gorge. Il se demanda où elle était et si elle allait bien.