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Damon se releva rapidement. Sa main dégaina brusquement. La pointe s’enfonça dans la fourrure blanche et ressortit couverte de sang. Déjà, la lame se dirigeait vers un deuxième homme-chat.

Comme celui-ci allait lui porter un coup au ventre, son poignet tourna légèrement en dirigeant sa pointe vers le sol pour dévier le coup. Au moment où les fers se croisaient, ses jambes effectuèrent un petit pas chassé, et soudain, sa lame transperça la gorge fourrée.

Il aperçut du coin de l’œil Eduin et Rannan, superbes cavaliers, comme tous les hommes du domaine Alton, faire virevolter leurs montures effrayées, abattre leurs épées au milieu des corps félins qui les encerclaient. Un homme-chat tomba sous les sabots du cheval de Rannan. Mais Damon n’avait pas de temps à leur accorder : de grands yeux verts le regardaient férocement, et une bouche garnie de crocs semblables à des aiguilles s’ouvrit avec un sifflement menaçant. Des touffes de fourrure noire se dressèrent sur les oreilles de la créature dont la lame écarta d’un coup sec celle de Damon et décrivit un arc éblouissant vers ses yeux. Un spasme de terreur saisit Damon, mais sa propre lame se tendait déjà vers la tête de son adversaire. Les épées se heurtèrent en faisant jaillir une étincelle. Le visage du félin vacilla vers Damon qui soudain ne se battit qu’avec de l’air.

La silhouette de l’homme-chat réapparut puis s’effaça. La puissance tapie dans l’ombre tentait de nouveau de cacher ses suppôts. Une terreur et un désespoir complets s’emparèrent de Damon, provoquant en lui une douleur telle qu’il se crut blessé. Il respira profondément et se concentra sur la pierre-étoile. Comme il s’abandonnait entièrement à l’adresse de Dom Esteban, il fit une courte prière pour que le lien tînt bon. Puis il oublia totalement son corps – qu’il fût en sûreté avec Dom Esteban ou non, il n’y pouvait plus rien – et se projeta dans le surmonde.

L’ombre était devant lui, profonde et terrible. Des filaments s’entrelaçaient, cherchant à masquer les reflets rouges de la colère du félin qui luttait là.

Il puisa désespérément dans les réseaux d’énergie et s’aperçut qu’il avait inconsciemment fait venir une lame de pure force dans sa main. Il l’abattit sur les filaments. Le voile à moitié tissé se racornit et prit feu. Les fils rompus, frémissants, reculèrent vers l’obscurité où ils disparurent. L’ombre tourbillonna, régressa, et Damon vit alors un énorme visage de chat le regarder férocement.

Il leva sa lame incandescente et fit face à la créature sinistre. Il était conscient de petites silhouettes qui se battaient en dessous de lui, tout près de lui : quatre hommes-chats plus minuscules que des chatons, trois petits hommes, et l’un de ces hommes… ce ne pouvait être que Dom Esteban ; ce ne pouvait être que son esquive, son dégagement impétueux… ?

Le brouillard noir reflua, dissimulant le grand chat, et à présent, seuls les yeux et le sourire malveillant regardaient Damon. Quelque part dans son esprit, un murmure dément chuchota avec sa propre voix : « Certes, j’ai souvent vu un chat sans grimace, mais une grimace sans chat… ? » et Damon se demanda s’il perdait la raison.

Il ne restait plus que deux hommes-chats. Damon vit avec indifférence l’un d’eux s’embrocher sur l’épée de l’homme qui se battait à pied. L’un des cavaliers frappa le second. Un remous d’ombre couvrit les grands yeux flamboyants qui, de vert, derrière le voile, prenaient une teinte rouge de charbon ardent. Enfin, ils disparurent derrière le mur de ténèbres. Une flèche de force noire vola vers Damon qui l’intercepta avec sa lame incandescente. Il attendit un instant, mais le nuage demeura immobile. Même la lueur des yeux furieux avait disparu. Damon se laissa alors descendre vers la terre pour réintégrer son corps…

Son épée était couverte de sang, de même que les cadavres qui gisaient dans la neige. Il appuya sa pointe sur le sol, se rendant subitement compte qu’il tremblait de tous ses membres.

Eduin fit faire volte-face à son cheval et se dirigea vers lui. La blessure sur la joue s’était rouverte, et, de l’onguent bleu qu’il s’était appliqué pour la protéger du froid, du sang gouttait. À part cela, il était indemne.

— Il n’en reste plus, dit-il d’une voix qui semblait étrangement distante et fatiguée. J’ai eu le dernier. Voulez-vous que je rattrape votre cheval, seigneur Damon ?

L’appel de son nom arracha Damon à une colère irraisonnée envers Eduin, une fureur qu’il ne comprenait pas. Frémissant, il se rendit compte qu’il était sur le point de jurer, de hurler de rage contre Eduin qui venait de piétiner son adversaire. La colère était telle qu’il tremblait des pieds à la tête. Il se souvint vaguement qu’il était en train de charger le dernier homme-chat, quand Eduin l’avait dépassé dans un grondement de tonnerre et lui avait volé sa proie.

— Seigneur Damon ! s’écria Eduin d’une voix plus forte, remplie d’inquiétude. Êtes-vous blessé ? Que vous arrive-t-il, vai dom ?

Damon se passa une main humide de transpiration sur le front. Il s’aperçut alors qu’il avait une égratignure, à peine plus grave qu’une coupure de rasoir, sur le dos de la main.

— Je me suis fait de pires entailles en me rasant, dit-il.

À ce moment…

… À ce moment, Andrew Carr s’assit, secouant la tête, suant et tremblant au souvenir de ce qu’il – lui-même ? – venait de faire et de voir. Il venait de vivre la bataille entière dans le corps et l’esprit de Damon.

Damon était sauf. Andrew savait qu’il pouvait se maintenir en contact avec lui – et avec Callista.

10

Les nuages de l’après-midi s’accumulaient alors que Damon et sa troupe s’engageaient dans un chemin étroit, couvert d’herbe, vers un groupe de maisons au pied d’un escarpement.

— C’est ça, le village de Corresanti ? demanda Eduin. Je ne connais pas très bien cette région. Et d’ailleurs…

Il fronça les sourcils.

— … Tout a l’air bizarre dans ce fichu brouillard. Est-ce qu’il est là pour de bon, ou est-ce que quelqu’un manipule nos esprits pour nous faire croire qu’il fait sombre ?

— Non, je crois qu’il est vraiment là, dit Damon. Il se peut que celui qui dirige ces félins trouve la lumière du soleil inconfortable, et ait répandu une ombre pour se protéger les yeux. Ce n’est pas difficile, avec une pierre-étoile, mais je vois mal un des nôtres s’amusant à le faire. Nous avons déjà assez peu de soleil, même en été.

Pas difficile… Mais ça demande quand même pas mal de puissance. Qui que soit le manipulateur, sa force s’accroît très rapidement. Si nous ne le désarmons pas promptement, il va peut-être devenir trop puissant pour que nous puissions le combattre. Notre devoir est de délivrer Callista, certes. Mais si nous laissons cette contrée sous cette domination maléfique, d’autres vont souffrir. Pourtant, nous ne pouvons pas l’affronter avant d’avoir libérer Callista, sinon elle sera tuée.

Il se rappelait les mots de Reidel – « des jardins abandonnés » – mais il ne s’était pas attendu à une telle désolation. Les champs étaient jonchés de plantes éparses sous le soleil voilé ; les eaux usées croupissaient dans les rigoles creusées pour l’écoulement ; les grandes ailes d’un moulin à vent, éventrées et déchirées, battaient lamentablement. De temps à autre, d’une étable, on entendait les beuglements mornes de bêtes affamées, privées de soins.