Elle apparut de nouveau, debout devant lui, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du petit abri sombre, comme un fantôme, un rêve, une fleur obscure, une flamme dans son cœur…
Je ne sais pourquoi c’est vous que j’ai atteint, étranger. Je cherchais mes cousins, ceux qui m’aiment et pourraient m’aider…
Demoiselle en détresse, je parie, pensa-t-il. Que me voulez-vous ?
Le visage se couvrit de tristesse.
Qui êtes-vous ? Je ne peux continuer à vous appeler « fille fantôme ».
Callista.
Cette fois, je deviens fou, se dit Andrew. C’est un nom terrien.
Je ne suis pas une sorcière de la Terre. Mes facultés sont d’air et de feu…
Tout cela ne rime à rien. Que me voulez-vous ?
Pour le moment, sauver la vie que j’ai sans le vouloir mise en danger. Il faut que je vous prévienne : évitez la contrée des ténèbres…
Elle disparut brusquement, et il se retrouva seul, clignant des yeux.
Callista signifie tout simplement « belle », si je me souviens bien, pensa-t-il. Peut-être n’est-elle qu’un symbole de beauté dans mon esprit. Mais qu’est-ce que la contrée des ténèbres ? Et comment peut-elle m’aider à me sauver ? Oh ! Quelle idiotie, voilà que je recommence à la traiter comme si elle était réelle.
Regarde les choses en face. Cette femme n’existe pas, et si tu dois sortir d’ici, tu devras le faire seul.
Pourtant, comme il s’allongeait pour se reposer et faire ses plans, il se surprit à essayer, encore une fois, de rappeler le joli visage devant ses yeux.
2
La tempête faisait toujours rage sur les hauteurs, mais dans la vallée, la lumière du soleil couchant brillait. Seul l’épais nuage en forme d’enclume, à l’ouest, indiquait l’endroit où l’orage enveloppait les pics montagneux.
Damon Ridenow menait son cheval, la tête baissée, s’arc-boutant contre le vent qui faisait claquer sa cape : cela lui donnait l’impression de voler, comme pour fuir un orage menaçant. Il essaya de se dire : le temps glacial me transperce jusqu’aux os, mais il savait qu’il y avait autre chose. Il ressentait un malaise, quelque chose qui tourmentait et harcelait son esprit, comme un mauvais pressentiment.
Il s’aperçut qu’il avait constamment détourné les yeux des basses collines boisées qui s’étendaient à l’est. Volontairement, tâchant de rompre l’étrange malaise, il se retourna sur sa selle et se força à examiner les versants de bas en haut.
La contrée des ténèbres.
C’est absurde ! se dit-il avec colère. Il y avait eu la guerre, l’an dernier, avec les hommes-chats. Certains des siens avaient été tués, et d’autres avaient dû partir, obligés de se réinstaller sur les terres Alton, aux alentours des lacs. Les hommes-chats étaient féroces et cruels, c’est vrai, ils massacraient, brûlaient, torturaient et laissaient pour morts ceux qu’ils n’avaient pu tuer du premier coup. Peut-être Damon ressentait-il tout simplement le souvenir de la souffrance causée par la guerre à ce même endroit. Mon esprit est ouvert à ceux qui ont souffert…
Non, c’était pire que cela. Les choses qu’on lui avait racontées au sujet de ce que les hommes-chats avaient fait…
Il jeta un coup d’œil derrière lui. Son escorte – quatre fines lames de la garde – commençait à se grouper et à murmurer, et il se rendit compte qu’il devrait ordonner une halte pour permettre aux chevaux de souffler. L’un des gardes éperonna son cheval et vint se ranger à son côté. Damon serra la bride de sa monture pour regarder l’homme.
— Seigneur Damon, dit le garde avec toute la déférence due, mais d’un air fâché. Pourquoi menons-nous un tel train comme si des ennemis galopaient à nos trousses ? Je n’ai entendu aucune rumeur de guerre ou d’attaque.
Damon se contraignit à réduire le pas, au prix d’un grand effort. Il eût voulu éperonner sa monture, rejoindre à toute vitesse la sûreté d’Armida où ils se rendaient…
— Je crois que nous sommes suivis, Reidel, dit-il gravement.
Le garde parcourut l’horizon d’un œil méfiant – c’était son devoir d’être circonspect – mais franchement sceptique.
— Quel buisson, pensez-vous, cache un guet-apens, seigneur Damon ?
— Vous en savez autant que moi, soupira Damon. L’homme s’entêta.
— Eh bien, vous êtes un seigneur Comyn, et c’est votre affaire, et mon devoir est d’exécuter vos ordres. Mais il y a une limite à ce qu’un homme et un cheval peuvent faire, monseigneur, et si nous sommes attaqués, avec nos chevaux épuisés et nos courbatures, nous ne nous battrons que moins bien.
— Je pense que vous avez raison, soupira Damon. Ordonnez la halte, donc. Au moins, ici, il y a peu de danger d’attaque en pays découvert.
Il était courbatu et fatigué, et heureux de descendre de cheval, bien que l’idée d’une catastrophe imminente l’obsédât. Quand le garde Reidel lui apporta à manger, il prit sa part sans sourire et n’adressa à Reidel que des remerciements distraits. Le garde s’attarda auprès de lui, usant de son privilège de vieille connaissance.
— Sentez-vous encore du danger derrière chaque arbre, seigneur Damon ?
— Oui, mais je ne saurais dire pourquoi, répondit Damon avec un soupir.
C’était un homme de taille à peine au-dessus de la moyenne, un homme fin et pâle, aux cheveux couleur de feu, caractéristiques des seigneurs Comyn des Sept Domaines. Comme la plupart de ses cousins, il n’était armé que d’une dague, et sous son manteau, il portait la tunique légère d’un homme peu habitué à vivre dehors, d’un érudit. Le garde l’observait avec sollicitude.
— Vous n’êtes pas habitué à passer tant de temps à cheval, monseigneur, et à une telle allure. Était-ce nécessaire de partir aussi rapidement ?
— Je ne sais pas, répondit le seigneur Comyn calmement. Mais ma cousine à Armida m’a envoyé un message – un message très prudent – me suppliant de me rendre chez elle le plus vite possible, et elle n’est pas de ces gens qui sursautent à la vue d’une ombre et passent des nuits blanches de crainte que les bandits n’attaquent la propriété quand les hommes de la maison sont absents. Une sommation urgente de la dame Ellemir n’est pas une chose à prendre à la légère, alors je me suis mis en route tout de suite, comme il se doit. Ce pourrait être un ennui de famille, quelque maladie dans sa maisonnée. Quoi que ce soit, l’affaire est grave, sinon elle serait capable de s’en occuper seule. Le garde approuva posément.
— J’ai entendu dire que la dame est courageuse et intelligente, dit-il. J’ai un frère qui fait partie de ses gens. Puis-je aller faire part de tout cela à mes camarades, monseigneur ? Ils grogneront sans doute moins s’ils savent qu’il s’agit d’un ennui grave et non d’un caprice de votre part.
— Je vous en prie, allez, ce n’est pas un secret, dit Damon. Je l’aurais fait de moi-même, si j’en avais eu l’idée.
Reidel sourit.
— Je sais que vous n’abusez pas de vos hommes, dit-il, mais aucun d’entre nous n’avait entendu de rumeur, et aucun homme sensé ne tient à traverser ce pays sans y être vraiment forcé.
Il allait s’éloigner, mais Damon le retint par la manche.
— Sans y être vraiment forcé – que voulez-vous dire, Reidel ?
Maintenant qu’on l’interrogeait directement, l’homme se montrait nerveux.