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Un homme-chat s’était rapproché, et Damon dut se protéger de l’épée en forme de griffe qui se dirigeait vers lui. Il abattit sa lame, vit épée et patte tomber ensemble, se contracter, et s’immobiliser. Il ne sut jamais ce qui arriva au reste de l’homme-chat. Il était déjà loin.

Un éclair frappa le monstre écailleux que Damon avait créé. Le démon éclata dans une colonne de poussière et de fumée, puis disparut.

Ce fut Esteban qui mena le cheval terrifié, qui terrassa les quelques hommes-chats qui couraient aux talons de la bête pour lui couper les jarrets, Esteban qui mena le cheval vers les grottes. Damon sentait vaguement que Dom Esteban guidait sa main. Une force le transportait contre son gré et à toute vitesse à travers le brouillard épais et bouillonnant du surmonde. Au cœur de l’ombre luisaient des yeux furieux, flamboyant comme les feux d’un volcan. Les yeux terribles du grand chat.

Alors qu’il apercevait les yeux, torrides, des griffes, d’un geste vif, essayèrent de le saisir. Damon esquiva le coup. Il savait que si la pointe d’une seule griffe le touchait, lui ratissait le cœur, il serait forcé de réintégrer son corps, et le grand chat pourrait le maîtriser, l’anéantir d’un seul souffle brûlant.

De quoi les chats ont-ils peur ? se demanda Damon. Son corps bondit. Il se retrouva à quatre pattes, et se transforma en un loup sinistre qui prit forme devant l’homme-chat. Il bondit sur lui, en poussant un hurlement de loup-garou qui résonna à travers le surmonde, un hurlement pétrifiant au son duquel la forme féline vacilla et s’effaça momentanément. Un souffle torride brûla les yeux du loup qui hurla de rage. Damon se déchaîna. Il se rua sur le grand chat, les mâchoires écumantes, attaquant le félin à la gorge…

L’immense créature fourrée s’estompa et disparut. Damon s’entendit hurler à plusieurs reprises, essayant de se jeter sur l’obscurité, exaspéré par ce besoin démesuré de déchiqueter, de mordre, de sentir le sang gicler sous ses crocs…

Mais le grand chat s’était évanoui. Damon, tremblant, épuisé, malade et écœuré par le goût du sang dans sa gorge, se retrouva chancelant en selle. Son loup-garou avait bouté le maudit félin hors du surmonde. Pour la première fois, il semblait que le grand chat ne fût pas complètement invincible, après tout. Car la route était à présent dépouillée, jonchée uniquement de cadavres.

11

Un petit sursaut vif, comme l’impression de tomber, éveilla Andrew. La nuit tombait, et la pièce était sombre. À la lueur qui passait par la fenêtre, Andrew aperçut Callista au pied de son lit. Il constata avec plaisir qu’elle était vêtue cette fois d’une jupe et d’une ample tunique, et qu’elle avait tressé ses cheveux. Non, c’était Ellemir, qui portait de la nourriture sur un plateau.

— Andrew, dit-elle, vous devriez manger.

— Je n’ai pas faim, marmonna Andrew, mal réveillé et encore désorienté par ses rêves confus.

Des chats géants ? Des loups garous ? Comment allait Damon ? Callista était-elle en sûreté ? Comment pouvait-il s’être endormi ? Comment Ellemir pouvait-elle parler de manger en un moment pareil ?

— Si, vous devez manger, répondit Ellemir, bien qu’il ne se fût pas exprimé à voix haute.

Il avait du mal à s’habituer à ce qu’on pût lire dans ses pensées. Il faudrait pourtant s’y faire, pensa-t-il. Ellemir s’assit au bord du lit.

— Le travail télépathique est terriblement fatigant, dit-elle. Vous devez reprendre des forces, si vous ne voulez pas vous surcharger. Je savais que vous refuseriez de manger, alors je vous ai apporté de la soupe et des aliments qui se mangent facilement. Je sais bien que vous n’avez pas faim, mais essayez, Andrew.

— Damon ne peut pas atteindre Callista, ajoutât-elle malicieusement, sachant que c’était là le seul moyen de le persuader. Une fois qu’il sera dans les grottes de Corresanti, il ne pourra peut-être pas la trouver dans le noir. C’est un affreux labyrinthe de passages tout sombres. J’y suis allée une fois, et on m’a raconté l’histoire d’un homme qui s’y était perdu et n’en était sorti qu’au bout de plusieurs mois, aveugle, et la peur avait blanchi ses cheveux. Vous voyez que vous devez être prêt quand Damon aura besoin de vous. Et pour cela, vous devez être fort.

À contrecœur, mais convaincu par les arguments d’Ellemir, Andrew prit la cuiller. C’était un bouillon de viande au vermicelle, très épicé et délicieux. À côté, il y avait du pain de noix et une confiture acidulée. Quand il la goûta, il se rendit compte qu’il était affamé et dévora tout ce qu’il y avait sur le plateau.

— Comment se porte votre père ? s’enquit-il par politesse.

Ellemir eut un petit rire.

— Vous devriez voir le dîner qu’il vient d’engloutir, il y a une heure environ, me racontant entre deux bouchées combien d’hommes-chats il avait tués…

— Je l’ai vu, dit Andrew calmement. J’étais là. Ils sont terribles !

Il frissonna. Il savait qu’une partie de ce qu’il avait cru être un rêve provenait de son esprit qui vagabondait dans le village détruit par le grand chat. Il avala la dernière miette de pain. Puis, il tourna son esprit vers la pierre-étoile, vers Damon. Il vit la route déserte… ils approchaient des grottes…

Cette fois-ci, il lui fut plus facile de se transporter dans le surmonde, et comme la lumière du soleil baissait, il découvrit qu’il y voyait mieux dans la lueur bleue que Callista appelait « surlumière ». Bleue ? pensa-t-il. Était-ce parce que les cristaux étaient bleus et qu’ils projetaient leur éclat à travers son esprit ? Il regarda en dessous de lui : son corps gisait sur le lit, et Ellemir, après avoir posé le plateau sur le plancher, s’agenouilla à son côté pour surveiller son pouls, comme elle l’avait fait pour Damon.

Il s’aperçut que, dans le surmonde, il ne portait plus les vêtements de cuir et de fourrure qu’il avait empruntés au serviteur d’Ellemir. Il était vêtu de la fine tunique et du pantalon en nylon gris qu’il portait dans son bureau du QG terrien, avec au cou les emblèmes des huit planètes où il avait servi.

Pas très chaud pour cette planète. Oh ! zut, c’est le surmonde. Si Callista peut s’y promener dans sa nuisette déchirée sans mourir de froid, ça n’a aucune importance. Il se rendit compte qu’il s’était beaucoup éloigné et qu’il se trouvait à présent sur une plaine grise et monotone. Au loin, il apercevait des collines comme dans un mirage. Bon, où sont les grottes de Corresanti ? se demanda-t-il, tâchant de s’orienter dans la campagne blafarde.

Il vit qu’il tenait toujours la matrice, ou plutôt son équivalent astral. Elle luisait comme un feu d’artifice, jetant des éclairs de lumière. Il se demanda si elle le mènerait directement à Callista. En effet, il se déplaçait en direction des collines qui se dessinaient à présent nettement. Une grande ombre émanait de leur centre. Était-ce derrière ce rideau noir que Damon avait aperçu le grand chat ? Était-ce lui qui maintenait Callista prisonnière à l’aide de la grande matrice illicite ?

Il frissonna et essaya de ne pas penser au grand chat. Ou plutôt, de le transformer en pensée en un personnage d’Alice au pays des merveilles, un ancien conte terrien : le Grimaçon, ce gros chat inoffensif qui souriait sans arrêt et tenait des propos farfelus. Ou en Chat botté. Ce n’est qu’un personnage de conte de fées, se dit-il, et je veux bien être pendu si je le laisse m’empoisonner. Il savait d’instinct que c’était le moyen le plus sûr de se protéger de la puissance du grand chat. Non, du Chat botté, se rappela-t-il. J’espère que Damon ne va pas se retrouver nez à nez avec lui…