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Il avait dormi tout son soûl, et il n’avait plus froid, ni très faim. Il faisait trop sombre pour y voir, mais il n’y avait de toute façon pas grand-chose à voir. Son esprit se mit à vagabonder. Dommage que je ne sois pas spécialiste en xénologie. Aucun Terrien n’a jamais été lâché sur cette planète. Il savait qu’à l’aide des artefacts qu’il avait trouvés – et mangés – de compétents sociologues et anthropologues auraient pu analyser avec précision le niveau culturel de cette planète, ou du moins des gens qui habitaient cette région. Les solides murs de brique, les jougs de bois tenus par des chevilles, le robinet de bois dur au-dessus de la cuvette en pierre, les fenêtres sans vitres, couvertes seulement d’hermétiques volets de bois, tout cela en disait long sur la culture de la région : cela allait de pair avec la clôture qu’il avait longée dans la montagne et les latrines de terre, c’est-à-dire une société agricole de niveau assez bas. Et pourtant, il n’en était pas si sûr. Il se trouvait, après tout, dans une cabane de berger, un refuge pour les jours de mauvais temps, et aucune civilisation n’allait gaspiller de technologie sur de telles bâtisses. Et puis, il y avait cette espèce de prévoyance sophistiquée qui avait poussé ces gens à construire ce genre d’abri et à y entreposer des provisions de nourriture impérissable, et même à penser aux besoins de la nature, pour que l’on n’ait pas à sortir. La couverture avait été tissée avec art, ce qui était devenu bien rare à l’ère des tissus synthétiques ou à jeter après usage. Il réalisa alors que les habitants de cette planète étaient peut-être beaucoup plus civilisés qu’il n’avait pensé.

Il se retourna dans la paille et cligna des yeux… La fille était là de nouveau. Elle portait toujours la robe bleue déchirée, qui semblait luire d’un pâle éclat, comme de la glace, dans l’obscurité. Bien qu’il crût toujours qu’elle n’était qu’une illusion, il ne put s’empêcher de lui demander à voix haute :

— Vous n’avez pas froid ?

Il ne fait pas froid, là où je suis.

C’est complètement dingue, pensa Andrew.

— Alors, vous n’êtes pas ici ? demanda-t-il lentement.

Comment pourrais-je être là où vous êtes ? Si vous pensez que je suis là – non, ici –, essayez de me toucher.

Andrew tendit une main hésitante. Il aurait dû rencontrer son bras nu, mais il n’y avait rien de palpable.

— Je n’y comprends rien, dit-il obstinément. Vous êtes là, et vous n’êtes pas là. Je vous vois, et vous êtes un fantôme. Vous dites que vous vous appelez Callista, mais ça, c’est un nom de chez moi. Je crois toujours que je suis fou et que je me parle tout seul, mais j’aimerais bien savoir comment vous expliquez tout cela.

La fille fantôme eut un rire enfantin très doux.

— Je ne comprends pas non plus, dit-elle tranquillement. Comme je vous l’ai dit plus tôt, ce n’est pas vous que j’essayais d’atteindre mais ma parente et mes amis. Mais où que je cherche, je ne les trouve pas. C’est comme si leurs esprits avaient été effacés de ce monde. Pendant longtemps, j’ai erré dans des endroits sombres, jusqu’au moment où j’ai rencontré vos yeux. C’était comme si je vous connaissais, bien que je ne vous aie jamais vu auparavant. Et puis, quelque chose en vous me faisait revenir. Quelque part, ailleurs que dans ce monde, nous nous sommes touchés. Je ne suis rien pour vous, mais je vous avais mis en danger, alors j’ai essayé de vous sauver. Et je reviens parce que…

Il semblait qu’elle allait se mettre à pleurer.

— Je me sens très seule, et même la compagnie d’un étranger vaut mieux que pas de compagnie du tout. Voulez-vous que je m’en aille ?

— Non, répondit Andrew très vite. Restez avec moi, Callista. Mais je n’y comprends rien.

Elle resta une minute sans rien dire, comme si elle réfléchissait. Mon Dieu, pensa Andrew, comme elle semble réelle. Il la voyait respirer, il voyait le mouvement de sa poitrine sous le léger vêtement. L’un de ses pieds était sale ; non, c’était un bleu.

— Êtes-vous blessée ? demanda-t-il.

— Pas vraiment. Vous m’avez demandé comment je pouvais être là avec vous. Je suppose que vous savez que nous vivons de plus d’une façon, et que le monde dans lequel vous vous trouvez maintenant est le monde solide, le monde des choses, des corps durs et des créations physiques. Mais dans le monde où je suis, nous laissons nos corps derrière nous, comme des vêtements trop petits ou la mue d’un serpent, et ce que nous appelons endroit n’a pas de réalité. Je suis habituée à ce monde, on m’a appris à m’y déplacer, mais à présent, on me garde dans une partie de ce monde qu’aucun des esprits de mon peuple ne peut toucher. Alors que j’errais dans cette plaine grise et vide, votre pensée a touché la mienne, et je vous ai vu nettement, comme des mains qui se serrent dans l’obscurité.

— Êtes-vous dans l’obscurité ?

— Là où se trouve mon corps, oui. Mais dans le monde gris, je vous vois, comme vous me voyez. C’est ainsi que j’ai vu votre machine volante s’écraser et que j’ai su qu’elle allait tomber dans le ravin. Et j’ai vu que vous étiez perdu dans le blizzard et je savais que vous étiez près de cette hutte de berger. Je suis venue vous montrer où la nourriture est rangée si vous ne l’avez pas trouvée.

— Je l’ai trouvée, dit Andrew. Je ne sais pas quoi dire. Je pensais que vous étiez un rêve, et vous agissez comme si vous étiez réelle.

Le léger rire fusa de nouveau.

— Oh ! je vous assure, je suis aussi réelle et solide que vous-même. Et je donnerais beaucoup pour être avec vous dans cette cabane glaciale, car ce n’est qu’à quelques lieues de chez moi, et aussitôt que la tempête serait finie, je serais libre et je me retrouverais auprès de ma cheminée. Mais je…

Elle disparut au milieu de sa phrase. Étrangement, cela convainquit Andrew de sa réalité, plus que tout ce qu’elle avait pu dire. S’il l’avait imaginée, si c’était une hallucination, comme en font les hommes seuls qui ont froid et sont en danger, il l’aurait gardée là. Il lui aurait au moins laissé finir ce qu’elle disait. Le fait qu’elle ait disparu au milieu d’une phrase tendait à indiquer non seulement qu’elle avait été là, d’une manière intangible, mais aussi qu’une tierce personne régissait ses allées et venues.

Elle avait peur, et elle était triste. Je me sens très seule, et la compagnie d’un étranger vaut mieux que pas de compagnie du tout.

Seul et transi sur une planète inconnue, Andrew comprenait cela sans difficulté. C’était à peu près ce qu’il ressentait lui-même.

On ne peut pas dire que je me plaindrais de sa compagnie, si elle était vraiment là…

Pas très satisfaisant, un compagnon qu’on ne peut pas toucher. Et pourtant… bien qu’il ne pût la toucher, il y avait quelque chose d’étonnamment attirant en elle.

Il avait connu beaucoup de femmes, du moins au sens biblique. Connu leurs corps et un peu de leurs personnalités, et ce qu’elles attendaient de la vie. Mais il n’avait jamais été proche d’elles au point d’être triste quand le temps était venu de se séparer.

Il faut se rendre à l’évidence. Dès le moment où je l’ai vue dans le cristal, elle m’a paru assez réelle pour que je bouleverse toute ma vie, seulement dans l’espoir qu’elle serait plus qu’un rêve. Et maintenant, je sais qu’elle est réelle. Elle m’a sauvé la vie une, non, deux fois. Je n’aurais jamais survécu dans cette tempête de neige. Et elle a des ennuis. Ils la gardent dans le noir, et elle ne sait même pas où elle est.