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— B…! quatre heures moins cinq! il n’est que temps de filer.

Et aussitôt il sauta dans l’escalier.

Depuis lors elle eut pour lui une certaine estime.

Chapitre IV

Le mariage d’un homme politique

Elle ne l’aimait guère, mais elle voulait bien qu’il l’aimât. Elle était d’ailleurs très réservée avec lui, non pas seulement à cause de son peu d’inclination: car, parmi les choses de l’amour il en est qu’on fait avec indifférence, par distraction, par instinct de femme, par usage et esprit traditionnel, pour essayer son pouvoir et pour la satisfaction d’en découvrir les effets. La raison de sa prudence, c’est qu’elle le savait très «mufle», capable de prendre avantage sur elle de ses familiarités et de les lui reprocher ensuite grossièrement si elle ne les continuait pas.

Comme il était, par profession, anticlérical et libre penseur, elle jugeait bon d’affecter devant lui des façons dévotes, de se montrer avec des paroissiens reliés en maroquin rouge, de grand format, tels que les Quinzaine de Pâques de la reine Marie Leczinska et de la dauphine Marie-Josèphe; et elle lui mettait constamment sous les yeux les souscriptions qu’elle recueillait en vue d’assurer le culte national de sainte Orberose. Éveline n’agissait point ainsi pour le taquiner, par espièglerie ni par esprit contrariant, ni même par snobisme, quoi qu’elle en eût bien une pointe; elle s’affirmait de cette manière, s’imprimait un caractère, se grandissait et, pour exciter le courage du député, s’enveloppait de religion, comme Brunhild, pour attirer Sigurd, s’entourait de flammes. Son audace réussit. Il la trouvait plus belle de la sorte. Le cléricalisme, à ses yeux, était une élégance.

Réélu à une énorme majorité, Cérès entra dans une Chambre qui se montrait plus portée à gauche, plus avancée que la précédente et, semblait-il, plus ardente aux réformes. S’étant tout de suite aperçu qu’un si grand zèle cachait la peur du changement et un sincère désir de ne rien faire, il se promit de suivre une politique qui répondît à ces aspirations. Dès le début de la session, il prononça un grand discours, habilement conçu et bien ordonné, sur cette idée que toute réforme doit être longtemps différée; il se montra chaleureux, bouillant même, ayant pour principe que l’orateur doit recommander la modération avec une extrême véhémence. Il fut acclamé par l’assemblée entière. Dans la tribune présidentielle, les dames Clarence l’écoutaient; Éveline tressaillait malgré elle au bruit solennel des applaudissements. Sur la même banquette, la belle madame Pensée frissonnait aux vibrations de cette voix mâle.

Aussitôt descendu de la tribune, Hippolyle Cérès, sans prendre le temps de changer de chemise, alors que les mains battaient encore et qu’on demandait l’affichage, alla saluer les dames Clarence dans leur tribune. Éveline lui trouva la beauté du succès et, tandis que, penché sur ces dames, il recevait leurs compliments d’un air modeste, relevé d’un grain de fatuité, en s’épongeant le cou avec son mouchoir, la jeune fille, jetant un regard de côté sur madame Pensée, la vit qui respirait avec ivresse la sueur du héros, haletante, les paupières lourdes, la tête renversée, prête à défaillir. Aussitôt Éveline sourit tendrement à M. Cérès.

Le discours du député d’Alca eut un grand retentissement. Dans les «sphères» politiques il fut jugé très habile. «Nous venons d’entendre enfin un langage honnête», écrivait le grand journal modéré. «C’est tout un programme!» disait-on à la Chambre. On s’accordait à y reconnaître un énorme talent.

Hippolyte Cérès s’imposait maintenant comme chef aux radicaux, socialistes, anticléricaux, qui le nommèrent président de leur groupe, le plus considérable de la Chambre. Il se trouvait désigné pour un portefeuille dans la prochaine combinaison ministérielle.

Après une longue hésitation, Éveline Clarence accepta l’idée d’épouser M. Hippolyte Cérès. Pour son goût, le grand homme était un peu commun; rien ne prouvait encore qu’il atteindrait un jour le point où la politique rapporte de grosses sommes d’argent; mais elle entrait dans ses vingt-sept ans et connaissait assez la vie pour savoir qu’il ne faut pas être trop dégoûtée ni se montrer trop exigeante.

Hippolyte Cérès était célèbre; Hippolyte Cérès était heureux. On ne le reconnaissait plus; les élégances de ses habits et de ses manières augmentaient terriblement; il portait des gants blancs avec excès; maintenant, trop homme du monde, il faisait douter Éveline si ce n’était pas pis que de l’être trop peu. Madame Clarence regarda favorablement ces fiançailles, rassurée sur l’avenir de sa fille et satisfaite d’avoir tous les jeudis des fleurs pour son salon.

La célébration du mariage souleva toutefois des difficultés. Éveline était pieuse et voulait recevoir la bénédiction de l’Église. Hippolyte Cérès, tolérant mais libre penseur, n’admettait que le mariage civil. Il y eut à ce sujet des discussions et même des scènes déchirantes. La dernière se déroula dans la chambre de la jeune fille, au moment de rédiger les lettres d’invitation. Éveline déclara que, si elle ne passait pas par l’église, elle ne se croirait pas mariée. Elle parla de rompre, d’aller à l’étranger avec sa mère, ou de se retirer dans un couvent. Puis elle se fit tendre, faible, suppliante; elle gémit. Et tout gémissait avec elle dans sa chambre virginale, le bénitier et le rameau de buis au-dessus du lit blanc, les livres de dévotion sur la petite étagère et sur le marbre de la cheminée la statuette blanche et bleue de sainte Orberose enchaînant le dragon de Cappadoce. Hippolyte Cérès était attendri, amolli, fondu.

Belle de douleur, les yeux brillants de larmes, les poignets ceints d’un chapelet de lapis lazuli et comme enchaînée par sa foi, tout à coup elle se jeta aux pieds d’Hippolyte et lui embrassa les genoux, mourante, échevelée.

Il céda presque; il balbutia:

— Un mariage religieux, un mariage à l’église, on pourra encore faire digérer ça à mes électeurs; mais mon comité n’avalera pas la chose aussi facilement…. Enfin, je leur expliquerai, … la tolérance, les nécessités sociales…. Ils envoient tous leurs filles au catéchisme…. Quant à mon portefeuille, bigre! je crois bien, ma chérie, que nous allons le noyer dans l’eau bénite.

À ces mots, elle se leva grave, généreuse, résignée, vaincue à son tour.

— Mon ami, je n’insiste plus.

— Alors, pas de mariage religieux! Ça vaut mieux, beaucoup mieux!

— Si! Mais laissez-moi faire. Je vais tâcher de tout arranger pour votre satisfaction et la mienne.

Elle alla trouver le révérend père Douillard et lui exposa la situation. Plus encore qu’elle n’espérait il se montra accommodant et facile.

— Votre époux est un homme intelligent, un homme d’ordre et de raison: il nous viendra. Vous le sanctifierez; ce n’est pas en vain que Dieu lui a accordé le bienfait d’une épouse chrétienne. L’Église ne veut pas toujours pour ses bénédictions nuptiales les pompes et l’éclat des cérémonies. Maintenant qu’elle est persécutée, l’ombre des cryptes et les détours des catacombes conviennent à ses fêtes. Mademoiselle, quand vous aurez accompli les formalités civiles, venez ici, dans ma chapelle particulière, en toilette de ville, avec monsieur Cérès; je vous marierai en observant la plus absolue discrétion. J’obtiendrai de l’archevêque les dispenses nécessaires et toutes les facilités pour ce qui concerne les bans, le billet de confession, etc.

Hippolyte, tout en trouvant la combinaison un peu dangereuse, accepta, assez flatté au fond:

— J’irai en veston, dit-il.

Il y alla en redingote, avec des gants blancs et des souliers vernis, et fit les génuflexions.

— Quand les gens sont polis!…