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Une vieille dame, l'air très pressé, accourt vers eux et saute sur la montre de la jeune journaliste pour consulter son cadran.

La jeune journaliste s'aperçoit que la dame a elle-même au poignet une montre. Mais elle tremble tellement qu'elle doit être incapable de la regarder.

– Il est seize heures vingt, dit Lucrèce.

Mais l'autre court déjà dans une autre direction. Le docteur Robert leur confie à l'oreille:

– Maladie de Parkinson. C'est le genre de maladie qu'on commence à soigner avec de la dopamine. Dans cet hôpital on ne soigne pas simplement les troubles de la pensée, on soigne aussi toutes les maladies du système nerveux: les Alzheimer, les épileptiques, les Parkinsoniens.

Un malade vient vers lui, fait une grimace et agite une réglette.

– C'est quoi ça? demande Isidore.

– Le dolorimètre. C'est en quelque sorte le thermomètre de douleur. Quand un malade vous dit qu'il a mal, il n'est pas facile de savoir si sa souffrance nécessite l'utilisation de morphine ou pas. Alors on leur a demandé de graduer la notion de «j'ai mal» de un à vingt. Ils indiquent ainsi leur douleur subjective.

Deux ouvriers sont en train de poser une plaque commémorative à l'effigie de Fincher. En dessous est gravée sa devise: «Un homme motivé n'a pas de limites.»

Les malades se regroupent pour contempler la plaque. Certains semblent très émus. Une dizaine applaudissent.

– Tout le monde l'appréciait ici, reprend le barbu. Quand Fincher a joué son tournoi contre Deep Blue IV, on a installé un grand écran de télévision dans la cour principale, et vous auriez dû voir, c'était l'ambiance des matchs de foot. Tous hurlaient: «Allez, Sammy! Allez, Sammy!» Ils l'appelaient par son prénom.

Le docteur Robert ouvre la porte d'un bâtiment Animalerie et dévoile sur des étagères des centaines de souris en cages.

– Ça vous intéresse?

Lucrèce se penche sur les cages et remarque que la plupart des rongeurs ont le crâne rasé et que des fils électriques leur sortent de la tête.

– Ce sont des souris tests. Nous provoquons des crises d'épilepsie puis nous observons comment les médicaments arrêtent leurs crises. Fincher n'était pas qu'un directeur d'hôpital il restait aussi un scientifique. Avec son équipe il testait de nouvelles voies de recherches.

Les souris sont intéressées par les nouveaux venus et les reniflent à travers les barreaux de leurs cages.

– On dirait qu'elles veulent nous dire quelque chose, remarque subrepticement Lucrèce.

– Celles-ci sont plus intelligentes que la moyenne. Leurs parents étaient des souris de cirque et elles ont été éduquées depuis leur naissance à se sentir à l'aise dans les tests. Ensuite nous les plaçons dans ces cages avec les labyrinthes et les jeux pour vérifier si leur intelligence a été altérée.

Les deux journalistes regardent deux souris qui se battent en se frappant avec leurs petites pattes. L'une des belligérantes finit par saigner du museau.

– Vous pensez que quelqu'un ici aurait pu lui en vouloir? demande Lucrèce.

– Les toxicos. Ce sont les seuls qui ne jouent pas le jeu. Ils se moquent de tout, y compris de Fincher. Ils l'avaient déjà frappé. Eux on ne peut plus les raisonner. Ils sont prêts à tout pour obtenir un peu de leur maudite drogue.

– Prêts à tuer?

Le docteur Robert se tient le menton.

– C'étaient les seuls qui n'appréciaient pas les méthodes de Fincher. Il a d'ailleurs progressivement décidé de virer les plus récalcitrants.

– Comment un toxico aurait-il pu s'attaquer à Fincher, selon vous? demande Isidore.

– En introduisant une substance à effet retard dans son alimentation, par exemple, répond le docteur Robert.

– Au service médico-légal ils n'ont décelé aucun produit toxique.

– Certains sont indécelables. Ici, au labo chimie, nous disposons de substances très subtiles. Elles peuvent agir et disparaître aussi vite.

Lucrèce consigne cette nouvelle piste, un complot des toxicos utilisant un poison indécelable.

–Pouvons-nous voir le bureau de Fincher?

– Impossible.

Isidore a alors la présence d'esprit de prendre le paquet de cigarettes dans la poche de sa comparse et d'en sortir une. L'homme s'en empare prestement.

– Il est interdit d'en apporter mais il n'est pas interdit d'en fumer en cachette. Le problème c'est que nous dormons tous ici alors on n'a pas souvent l'occasion de faire des courses sur la Côte. Merci.

Le docteur Robert allume la cigarette et ferme les yeux de bonheur. Il aspire par à-coups pour pomper plus vite la nicotine.

– Etonnant, un asile de fous sans cigarettes, remarque Isidore, dans les autres hôpitaux psychiatrique que j'ai visités j'ai toujours vu tout le monde fumer…

– Fincher fumait durant le match contre Deep Blue IV, il me semble, rajoute Lucrèce.

– L'exception qui confirme la règle. Pour le match, le degré de nervosité était à son paroxysme. Il a pu craquer.

Lucrèce sort son carnet et note à toute vitesse: Huitième motivation… le tabac?»

Isidore, penché sur son épaule, voit sa remarque et chuchote:

– Non, il faudrait inscrire un groupe plus vaste. Le tabac, l'alcool, les drogues. Disons, les produits à accoutumance, les stupéfiants. Allez-y carrément: 5) le devoir; 6) la colère; 7) la sexualité; et 8) les stupéfiants.

Le docteur Robert est complètement à son bonheur de salir son sang avec l'herbe de Monsieur Nicot. Mais sa cigarette a activé le détecteur de fumée et une sonnerie se déclenche. Il s empresse d'éteindre son mégot, inquiet.

La vieille dame prétendument atteinte de la maladie de Parkinson surgit alors avec deux hommes costauds qui s'emparent du docteur Robert. Se sentant pris, celui-ci aspire goulûment une dernière bouffée de son mégot éteint.

– Alors Robert, il faut encore que tu fasses ton malin!

Le mégot est arraché et jeté à terre. La vieille dame toise le couple.

– Vous vous êtes fait avoir par Robert! Il est doué. Il s'est fait passer pour un médecin, je parie. En fait, il est vraiment docteur mais il est aussi vraiment malade. L'un n'a jamais empêché l'autre. Robert est un être à personnalité multiple. Bonne leçon pour vous: il ne faut pas se fier aux apparences ni au titre.

Elle fait signe au malade de déguerpir. Il s'enfuit, penaud. La vieille dame se tourne vers Lucrèce et Isidore.

– Au fait, vous n'êtes pas de la maison, vous, vous êtes qui, et qu'est-ce que vous faites là?

Ils mettent un temps à prendre conscience qu'ils ont été floués.

– Heu… Nous sommes journalistes, répond Lucrèce.

La vieille dame fulmine.

– Quoi! Des journalistes! Mais on ne veut pas de journalistes ici! Ce doit être Umberto qui vous a amenés jusqu'ici! Cette fois-ci ce sera le dernier avertissement, s'il nous ramène encore des étrangers dans l'enceinte, on le vire!

– Pouvons-nous vous poser une question?

– Désolée, nous n'avons pas le temps. C'est un hôpital, ici. Laissez-nous travailler.

Déjà elle est repartie, et un infirmier les raccompagne vers le ponton.

A cet instant, Isidore se dit qu'il espère ne jamais devenir fou mais que, si un jour il le devient, il souhaite qu'un type comme Fincher s'occupe de lui.

26.

Le docteur Fincher venait régulièrement au chevet de Jean-Louis Martin mais il avait une foule d'autres malades à soigner.

Au départ, Jean-Louis Martin fut donc surtout soutenu par sa famille. Son ami Bertrand Moulinot et ses collègues se relayaient aussi pour lui parler. Son chien Lucullus restait constamment à ses pieds, comme pour le protéger d'un éventuel agresseur.

Ses collègues savaient que le patient les voyait et les entendait. De son côté, Martin s'évertuait à rendre la conversation possible en disant «oui» d'un battement de la paupière et «non» de deux battements.