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« Oh ! » s’écria la princesse Myrcella, avant de quitter la loge pour se précipiter vers son petit frère.

Un accès d’étrange témérité submergea Sansa. « Vous devriez l’accompagner, dit-elle au roi. Votre frère est peut-être blessé. »

Il haussa les épaules. « Et le serait-il ?

— Vous devriez l’aider à se relever et le féliciter chaleureusement. » Elle ne parvenait plus à s’arrêter.

« Il s’est fait désarçonner et jeter à terre, observa Joffrey. Ce n’est pas brillant.

— Regardez, intervint le Limier. Il a du courage. Il va retenter sa chance. »

On aidait en effet Tommen à se remettre en selle. Que n’est-il l’aîné, songea Sansa, je ne serais pas fâchée de l’épouser, lui.

Le tapage en provenance de la conciergerie les prit tous au dépourvu. La herse se relevait à grand grincement de chaînes, et les portes craquaient en couinant sur leurs gonds. « Qui a donné l’ordre d’ouvrir ? » s’insurgea Joffrey. Eu égard au désordre qui régnait en ville, le Donjon Rouge était, depuis des jours et des jours, demeuré hermétiquement clos.

De sous le porche émergea, clinquante d’acier piaffant, une colonne de cavaliers. La main à l’épée, Clegane vint se placer auprès du roi. Mais, tout dépenaillés, crasseux, cabossés qu’ils étaient, les intrus marchaient bel et bien sous l’étendard Lannister, lion d’or sur champ d’écarlate. Quelques-uns portaient même le manteau rouge et la maille des hommes d’armes Lannister, mais l’armure et l’armement hétéroclites de nombre d’autres, hérissés de fer, trahissaient des reîtres et des francs-coureurs…, le restant n’étant qu’une horde d’affreux sauvages issus tout droit de ceux des contes de Vieille Nan que Bran aimait par-dessus tout, les plus effroyables. Tout cheveu, tout poil farouches, ils étaient accoutrés de pelures sordides et de cuir bouilli. Certains avaient la tête ou les mains emmaillotées de chiffons sanglants, tels n’avaient qu’un œil, tels un doigt sur deux, d’autres plus d’oreilles.

Au milieu d’eux, juché sur un grand bai rouge dont l’étrange selle le berçait d’arrière en avant, Tyrion le nabot, frère de la reine, dit le Lutin. Il s’était laissé pousser la barbe, et son museau camus disparaissait dans un fouillis jaune et noir aussi soyeux que paille de fer. Dans son dos flottait une pelisse de lynx noire flammée de blanc. Il tenait les rênes de la main gauche, ayant le bras droit maintenu par une écharpe de soie blanche, mais, à cela près, demeurait tout aussi grotesque qu’à Winterfell. Et Sansa conclut que son front saillant, ses yeux vairons achevaient de lui assurer la palme de la laideur.

Cela n’empêcha pas Tommen d’éperonner son poney et de le lancer au galop dans la cour en poussant des cris d’allégresse. L’un des sauvages, un colosse aux airs lambins et tellement chevelu, velu qu’on ne discernait même pas ses traits, l’enleva de selle comme un fétu pour le déposer, tout armé, auprès de son oncle. Et, tandis que les murailles se renvoyaient le rire éperdu du gamin dont Tyrion claquait la dossière, Sansa s’ébahit qu’ils fussent de la même taille. Myrcella accourut à son tour, le nain la saisit par la taille et la fit toupiller, gloussante, avant de la reposer à terre et de lui effleurer le front d’un petit baiser.

Après quoi il tangua vers Joffrey. Le talonnaient deux de ses hommes, un reître à prunelles et cheveux de jais dont la démarche évoquait celle d’un chat à l’affût, et un adolescent borgne et décharné. Dans leur sillage, les deux petits princes.

Le nain ploya un genou devant le roi. « Sire.

— Toi ? répondit Joffrey.

— Moi, confirma Tyrion, qui pouvais m’attendre, en qualité d’oncle et d’aîné, à une réception plus courtoise.

— On vous disait mort », intervint Clegane.

Le petit homme toisa le géant. Verte était l’une de ses prunelles, noire l’autre, froides toutes deux. « Je m’adressais au roi, pas à son roquet.

— Moi, je suis contente que tu sois vivant, dit Myrcella.

— Nous en sommes d’accord, ma douce. » Tyrion se tourna vers Sansa. « Navré de vos pertes, madame. Les dieux sont cruels, à la vérité. »

Elle demeura muette, incapable de trouver un mot. Comment pouvait-il déplorer ses pertes ? Se moquait-il ? La cruauté des dieux n’était que celle de Joffrey.

« Navré aussi de la tienne, Joffrey, reprit le nain.

— Laquelle ?

— Ton royal père. Un grand gaillard à barbe noire. Fais un effort, et tu te souviendras de lui. Il t’a précédé sur le trône.

— Oh,lui. Oui, c’est très triste, un sanglier l’a tué.

— Est-ce là ce qu’“on” dit, Sire ? »

Joffrey fronça le sourcil. Sansa se sentait tenue de dire quelque chose. Que répétait donc septa Mordane ? ah oui…, l’armure des dames est la courtoisie. Elle endossa donc son armure et susurra : « Je suis navrée, messire, que madame ma mère vous ait retenu en captivité.

— Quantité de gens le déplorent aussi, répliqua-t-il, et, d’ici que j’en aie fini, certains pourraient s’en repentir bien davantage…, mais je vous remercie de m’en exprimer le regret. Joffrey, où pourrais-je trouver ta mère ?

— Elle préside mon Conseil, répondit le roi. Ton frère Jaime nous fait perdre bataille après bataille. » Il jeta un coup d’œil colère à Sansa, comme si elle en portait la responsabilité. « Il s’est fait prendre par les Stark, nous avons perdu Vivesaigues et, maintenant, voilà que son benêt de frère se proclame roi. »

Le nain lui faufila un sourire crochu. « Toutes sortes de gens suivent cette mode, depuis quelque temps. »

Sans trop savoir comment prendre l’insinuation, Joffrey redoubla de maussaderie soupçonneuse. « Oui. Bon. Je me réjouis que vous ne soyez pas mort, mon oncle. M’avez-vous apporté un cadeau pour mon anniversaire ?

— Oui. Ma perspicacité.

— J’aurais préféré la tête de Robb Stark, maugréa Joffrey, non sans un regard en dessous du côté de Sansa. Tommen, Myrcella ? Venez. »

Sandor Clegane s’attarda le temps d’un avertissement : « Vous feriez bien de tenir votre langue, nabot », puis il s’élança sur les traces du roi.

Laissée seule avec le nain Lannister et ses monstres, Sansa s’évertuait à trouver quelque autre chose à dire. « Vous vous êtes blessé le bras, lâcha-t-elle enfin.

— Un de vos gens du nord qui m’a frappé de sa plommée, durant la bataille de la Verfurque. Je n’ai dû la vie qu’à une chute de cheval. » Son sourire grinçant s’adoucit quand il la regarda. « C’est le deuil de votre père qui vous donne cet air si triste ?

— Père était un traître, répondit-elle du tac au tac. Tout comme le sont madame ma mère et mon frère. » Un réflexe si vite appris. « Ma loyauté est tout acquise à mon bien-aimé Joffrey.

— Sans doute. La loyauté du daim cerné par des loups.

— Des lions », murmura-t-elle à l’étourdie. Elle jeta un regard éperdu autour d’elle, mais personne ne se trouvait assez près pour avoir entendu.

Tyrion lui prit la main, la pressa. « Je ne suis qu’un petit lion, enfant, et, je te le jure, tu n’as pas de morsure à craindre de moi. » Là-dessus, il s’inclina. « Daignez m’excuser, maintenant, des affaires urgentes m’appellent auprès de la reine et du Conseil. »