Shae se contenta de rire. « Qu’ils essaient de me chercher noise, et Chella les allégera d’une oreille ! »
Le mot fit hurler Varys comme s’il n’avait jamais rien entendu de si drôle, mais ses yeux ne riaient pas lorsqu’ils se reportèrent sur Tyrion. « Votre jeune dame a une grâce singulière. Je prendrais le plus grand soin d’elle, si j’étais vous.
— J’en ai bien l’intention. Quiconque oserait me la taquiner… – bref, je suis trop petit pour me comporter en Oreille Noire, et je ne me pique pas de bravoure. » Vu ? Je parle la même langue que toi, eunuque. Touche à elle, et j’aurai ta tête.
« Je vous laisse. » Varys se leva. « Vous devez être vannés. Je désirais seulement vous souhaiter la bienvenue, messire, et vous dire à quel point je me réjouissais de votre arrivée. Nous avons cruellement besoin de vous au Conseil. Vous avez vu la comète ?
— Je suis court, pas aveugle », répliqua Tyrion. Vue de la route, elle occupait la moitié du ciel et éclipsait par son éclat le croissant de lime.
« Le vulgaire l’a surnommée “le Messager rouge”, reprit Varys. Elle viendrait annoncer, tel un héraut royal, carnage et incendie. » Ses mains poudrées s’entre-pétrirent. « M’est-il permis de prendre congé sur un bout d’énigme, lord Tyrion ? » Il n’attendit pas la réponse. « Dans une pièce sont assis trois grands personnages, un roi, un prêtre et un type archicousu d’or. Entre eux se dresse un reître, un petit homme du commun et d’intelligence ordinaire. Chacun des trois autres lui enjoint de tuer ses compères. “Obéis-moi, dit le roi, je suis légalement ton chef.” “Obéis-moi, dit le prêtre, je te l’ordonne au nom des dieux.” “Obéis-moi, dit le riche, et tout cet or t’appartiendra.” Qui survit, qui meurt, selon vous ? » Et, sur une profonde révérence, l’eunuque s’empressa de quitter la salle commune à pas feutrés.
A peine eut-il disparu que Chella renifla galamment, tandis que Shae fripait son joli minois : « C’est le riche qui survit, n’est-ce pas ? »
D’un air songeur, Tyrion sirota son vin. « Peut-être. Ou pas. Tout dépendrait du reître, apparemment. » Il vida sa coupe. « Viens, montons. »
Elle dut l’attendre en haut de l’escalier, car autant elle avait la jambe alerte et longue, autant il l’avait, lui, douloureuse et torse et courtaude. Mais elle souriait quand il la rejoignit enfin. « T’ai-je manqué ? taquina-t-elle en lui prenant la main.
— Atrocement », confessa-t-il. Bien qu’elle n’eût guère plus de cinq pieds de haut, il devait se tordre le col pour la contempler… mais, avec elle, s’aperçut-il, cela lui était égal. Elle était douce à regarder d’en bas.
« Je te manquerai tout le temps, dans ton Donjon Rouge, dit-elle en se laissant mener vers sa chambre. Tout seul dans ton lit froid de ta tour de la Main…
— Trop vrai. » Il l’aurait volontiers gardée avec lui, mais Père l’avait interdit. Tu n’emmènes pas ta pute à la cour. Tyrion ne pouvait pousser le défi plus loin que de l’avoir amenée quand même à Port-Réal. Il ne tenait son autorité que de lord Tywin, la petite devait le comprendre. « Tu ne seras pas loin, promit-il. Tu auras une maison, des gardes et des serviteurs, et je viendrai te voir le plus souvent possible. »
D’un coup de pied, elle ferma la porte. Les vitres glauques de l’étroite fenêtre laissaient deviner le Grand Septuaire de Baelor, tout en haut de la colline de Visenya, mais Tyrion n’avait d’yeux que pour autre chose : Shae se courbait pour empoigner le bas de sa robe, la retirait par-dessus sa tête, la jetait de côté. Elle dédaignait les sous-vêtements. « Pourras jamais te reposer…, prévint-elle, campée toute nue, rose, adorable, la main sur la hanche, devant lui. Tu penseras si fort à moi, chaque fois que tu te coucheras, que tu te mettras à bander, et tu n’auras personne pour te secourir, et il te sera impossible de t’endormir, à moins que tu… » Elle eut le damné sourire qu’il aimait tant. « C’est pour ça qu’on l’appelle la tour de la Main, m’sire ?
— Tais toi et m’embrasse », commanda-t-il.
Ses lèvres avaient la saveur du vin, ses petits seins une fermeté délicieuse contre lui, ses doigts n’aspiraient qu’à le délacer. « Mon lion, souffla-t-elle lorsqu’il se dégagea pour se dévêtir. Mon doux seigneur, mon géant Lannister. » Il la poussa vers le lit. Et, quand il la pénétra, elle poussa un cri capable de réveiller le bienheureux Baelor dans sa tombe, tandis que ses ongles lui labouraient cruellement le dos. Et jamais douleur n’avait procuré à Tyrion tant de jouissance.
Fou, se dit-il après, comme ils gisaient tous deux au creux de la paillasse défoncée, parmi le saccage des draps. N’apprendras-tu jamais rien, nain ? Une putain, maudit sois-tu, qui n’aime que ton argent, pas ta queue. Te souviens, Tysha ? Et pourtant, lorsque ses doigts effleurèrent un téton, celui-ci s’érigea bientôt, le sein portait la marque d’une morsure passionnée.
« Et que vas-tu faire, m’sire, dis, main’nant que t’es la Main du roi ? demanda Shae, comme il posait sa main en coupe sur la douce chair tiède.
— Quelque chose à quoi Cersei est loin de s’attendre, lui murmura-t-il au tendre du cou – rendre… justice. »
BRAN
Au douillet de son matelas de plumes et des couvertures il préférait la banquette de pierre dans l’embrasure de la fenêtre et sa dureté. S’il demeurait au lit, les murs resserraient leur étreinte, et la pesanteur du plafond l’oppressait ; s’il demeurait au lit, sa chambre était une cellule, et Winterfell une prison. Tandis que la fenêtre ouvrait toujours sur les appels du vaste monde.
Certes, il ne pouvait plus ni marcher ni grimper ni chasser ni manier une épée de bois, mais il pouvait encore regarder. Il aimait voir s’éclairer une à une, ici d’une bougie, là d’un rougeoiement d’âtre, les vitres en pointes de diamant des tours et des salles de Winterfell, et il adorait écouter les loups-garous donner sérénade aux étoiles.
Depuis quelque temps, il rêvait souvent de loups. Ils s’adressent à moi, fraternellement, se dit-il quand les loups-garous commencèrent à hurler. Il pouvait presque les comprendre…, pas tout à fait, pas vraiment, maispresque…, comme s’ils chantaient dans une langue autrefois connue de lui et quelque peu oubliée. Libre aux deux Walder d’en avoir peur, les Stark avaient, eux, du sang de loup, Vieille Nan l’affirmait, non sans préciser qu’il n’avait pas « la même force dans leurs veines à tous ».
Longs et tristes, lourds de deuil et de nostalgie étaient les hurlements d’Eté, plus sauvages ceux de Broussaille. Mais leurs voix conjointes éveillaient tant d’échos dans les cours et les salles que tout le château finit par résonner, comme hanté par une meute et non par deux loups-garous seulement…, les deux seuls restants des six d’autrefois. Leurs frères et sœurs leur manquent-ils, à eux aussi? se demandait Bran. Réclament-ils Vent Gris, Fantôme et Nymeria, évoquent-ils l’ombre de Lady ? Souhaitent-ils leur retour pour reformer la meute ?
« Va donc savoir ce qui se passe dans la tête d’un loup », répondit ser Rodrik lorsqu’il l’interrogea. En l’absence de Mère, ses tâches de gouverneur ne lui laissaient guère de loisir pour les questions oiseuses.