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Petibois se mit pesamment sur pied. « A vos ordres, messire. » Mais, tout en se dirigeant vers la sortie, il décocha à Jon un regard lourd d’incrimination.

« Premier patrouilleur ! » Les yeux du Vieil Ours flambèrent en direction de Sam. « J’aimerais mieux toi, comme Premier patrouilleur… Oser me jeter à la tête que je suis trop vieux pour l’accompagner, l’impudent ! Tu me trouves vieux, toi ? » Tout le poil qui avait déserté son crâne tavelé semblait s’être regroupé dans le taillis de barbe grise qui lui couvrait presque le torse. Il se frappa la poitrine à coups redoublés. « J’ai l’air fragile ? »

Sam ouvrit la bouche sans pouvoir émettre qu’un maigre couac. Le Vieil Ours le terrifiait. « Non, messire, intervint promptement Jon. Vous semblez aussi fort qu’un… qu’un…

— Pas de flagorneries, Snow, tu sais bien que ça ne prendrait pas. Ces cartes, plutôt. » Mormont se mit à les manipuler rudement, sans leur accorder qu’un coup d’œil à chacune et un grognement. « C’est tout ce que tu m’as trouvé ?

— Je…, m-m-messire, bafouilla Sam, il y… y en a – avait d’autres, m-m-mais… le dé – le désordre…

— Elles datent », râla le Vieil Ours, et son oiseau lui fit aigrement écho : «Datent ! datent ! »

« Pour les emplacements des villages, concéda Jon, mais non pour ceux des collines et des cours d’eau.

— Pas faux. Tu as choisi tes corbeaux, Tarly ?

— M-m-mestre Aemon c-c-compte les p-p-prendre ce soir, ap-p-près leur repas.

— Je suis tranquille, son surchoix. Futés et forts. »

« Forts,claironna le sien, forts, forts. »

« Si nous devons tous nous faire massacrer, là-bas, je veux que mon successeur sache où et comment. »

La simple évocation d’un massacre éventuel mit Sam hors d’état de prononcer un mot. Mormont se pencha vers lui. « Quand j’avais la moitié de ton âge, Tarly, madame ma mère me prévint que si je restais bouche bée, une belette risquait de la prendre pour son trou et de dévaler dans ma gorge. Si tu as quelque chose à dire, dis-le. Sinon, méfie-toi des belettes. » Il le congédia d’un geste brusque. « Du vent, maintenant. Trop débordé pour ces niaiseries. Le mestre a sûrement du travail pour toi. »

Sam avala sa salive, recula, puis décampa si vite qu’à peine semblait-il toucher la jonchée.

« Est-il aussi bête qu’il le paraît ? » s’enquit le Vieil Ours dès qu’il eut disparu. « Bête », geignit le corbeau. Sans attendre la réponse, Mormont reprit : « Comme le seigneur son père occupe une place importante dans les conseils du roi Renly, j’avais presque envie de le dépêcher…, mais non, mieux vaut pas. Renly n’est pas homme à tenir compte d’un petit trembleur adipeux. J’enverrai ser Arnell. Il est nettement plus ferme, et il avait pour mère une Fossovoie pomme-verte.

— Sauf votre respect, messire, que souhaiteriez-vous obtenir du roi Renly ?

— Exactement ce que je souhaiterais obtenir de ses pareils, mon gars. Des hommes, des chevaux, des épées, des armures, du grain, du fromage, du vin, de la laine, des clous… La Garde de Nuit n’a pas de vanité, nous prenons ce que l’on nous offre. » Ses doigts tambourinèrent sur le bois grossier de la table. « Si les vents se sont montrés gracieux, ser Alliser devrait atteindre Port-Réal au changement de lune, mais quant à savoir si ce marmouset de Joffrey lui prêtera la moindre attention, ça… La maison Lannister n’a jamais eu de sympathie pour nous.

— Thorne dispose d’un argument de choc. » Une horrible chose livide dont les doigts noirs persistaient, comme doués de vie, à gigoter dans le vinaigre.

« Que n’avons-nous une autre main pour Renly…

— On trouve de tout, selon Diwen, au-delà du Mur.

— Mmouais, selon Diwen… Qui prétend avoir vu, lors de sa dernière patrouille, un ours haut de quinze pieds. » Mormont renifla. « On prétend que ma sœur a pris un ours pour amant. J’aurais moins de mal à gober ça que les quinze pieds. Encore que, dans un monde où les morts viennent se balader… – bah, toutes choses égales, il faut s’en tenir au témoignage de ses propres yeux. J’ai vu les morts marcher, je n’ai pas vu d’ours géants. » Il posa sur Jon un long regard scrutateur. « A propos de mains, comment va la tienne ?

— Mieux. » Il se déganta pour montrer. Sans avoir encore récupéré son élasticité, la chair rosâtre et boursouflée demeurait sensible, mais elle était en bonne voie de cicatrisation. « Démange quand même. Bon signe, d’après mestre Aemon. Il m’a donné un baume à emporter.

— Tu peux néanmoins manier Grand-Griffe ?

— Pas trop mal. » Il ploya les doigts, ouvrit et referma le poing. « Le mestre m’a montré comment travailler la souplesse, jour après jour.

— Tout aveugle qu’il est, il sait de quoi il parle. Puissent les dieux nous le garder vingt ans de plus. Tu sais qu’il aurait pu régner ? »

La remarque prit Jon au dépourvu. « Il m’a dit que son père était roi, mais pas… Je le supposais puîné.

— Il l’était effectivement. Il a eu pour grand-père le Daeron II Targaryen qui intégra Dorne au royaume et, conformément à l’une des clauses du traité, en épousa une princesse. Elle lui donna quatre fils. Du dernier de ceux-ci, Maekar, Aemon n’est lui-même que le troisième fils. Note que tout ça se passa bien avant ma naissance, si décrépit que Petibois veuille me faire croire.

— Le mestre fut nommé d’après le Chevalier-Dragon.

— Oui. D’aucuns attribuent la paternité du roi Daeron non pas à Aegon l’Indigne mais au prince Aemon. Quoi qu’il en soit, le caractère martial de ce dernier ne distinguait pas notre Aemon. Il se plaît à dire qu’il avait l’esprit aussi vif que lente l’épée. Rien d’étonnant dès lors si son grand-père l’expédia à la Citadelle. Il avait dans les huit ou neuf ans… et ne venait également que huitième ou neuvième en ligne de succession. »

Gageure que d’imaginer dans la peau d’un petit garçon pas plus vieux qu’Arya le mestre largement centenaire, aveugle et débile, rabougri, fripé.

« Il étudiait ses grimoires, poursuivit Mormont, quand l’aîné de ses oncles, l’héritier présomptif, périt accidentellement lors d’un tournoi, laissant deux fils, mais qui le suivirent de près dans la tombe, emportés par le fameux Fléau de printemps. Le roi Daeron y succomba de même, de sorte que la couronne échut à son fils Aerys.

— Le Fol ? » Jon s’y perdait. Comme Aerys avait précédé Robert, cela ne remontait pas si loin…

« Non, Aerys Ier. Celui que détrôna Robert était le second du nom.

— A quelle époque, alors ?

— Voilà quelque quatre-vingts ans…, mais non, je n’étais pas encore né, tandis que le mestre avait déjà forgé une demi-douzaine des maillons de sa chaîne. Après avoir épousé sa propre sœur, selon l’usage targaryen, Aerys régna dix ou douze années. Ses vœux prononcés, Aemon quitta la Citadelle et s’en fut servir à la cour d’un hobereau… jusqu’à la disparition de son oncle et, faute d’héritier direct, à l’accession au Trône de Fer de son propre père, Maekar. Lequel aurait désiré l’associer à ses conseils, mais Aemon refusa d’usurper la place qui revenait au Grand Mestre et partit servir chez son frère aîné, nommé lui aussi Daeron. Or, celui-ci mourut à son tour – d’une vérole de catin, si je ne m’abuse –, ne laissant qu’une fille faible d’esprit. Le dauphin devenait Aerion.