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À vrai dire, à quelque point de vue qu’on envisage cet extravagant épisode, il faut reconnaître que le fumiste Esprit-Saint s’est encore moqué du pieux auteur qui écrivait sous sa dictée. S’il est vrai que les enfants de la femme, les humains, ont une aversion générale pour les serpents, s’il est vrai qu’en cas de rencontre les uns cherchent assez volontiers à écraser la tête de ceux-ci, qui de leur côté se défendent ou attaquent en cherchant à mordre au pied ou à la jambe ceux-là, par contre il est une peine portée par Dieu contre les serpents, qu’ils n’ont jamais subie: les serpents ne se nourrissent pas de terre, jamais, au grand jamais. Cette sentence a donc été éludée, à moins que Jéhovah n’ait déclaré la loi Bérenger applicable sur ce point; auquel cas, la Bible a oublié de mentionner ce sursis indéfini.

Mais, pour savourer la mystification de l’Esprit-Saint dans toute sa joyeuse moquerie à l’égard des crédules dévots, il faut considérer l’étendue immense du châtiment infligé au serpent. Quel était exactement l’ophidien tentateur? La Bible ne précise pas; mais peu importe: il est évident que ce ne pouvait être à la fois une vipère et une couleuvre, ou un boa et un crotale; les espèces d’ophidiens qui vivent sur notre globe sont fort nombreuses. Admettons que ce soit la couleuvre qui ait provoqué au péché Madame Adam; admettons même, si l’on veut, que le châtiment de la couleuvre soit raisonnable en s’étendant à la postérité de cette espèce, et que toutes les couleuvres de l’avenir soient logiquement privées de pattes pour expier la faute de celle de l’Éden… Or çà, si la femme n’avait pas réussi à entraîner l’homme dans sa désobéissance, elle seule aurait été punie, n’est-ce pas?…

Eh bien, pauvres serpents! la couleuvre seule fut coupable; mais voilà que, du même coup, l’aspic, le naja, le serpent à sonnettes, le céraste, l’orvet, la vipère, le python, le cobra-capello, le rouleau, l’élaps, l’erpéton, le bothrops, le fer-de-lance, l’atropos, l’hypnale, le rhodostoma, l’humbroni, le bongare, le psammophis, l’eunecte mangeur-de-rats, l’oxyrope, le boa constrictor, le molure, et leur postérité, ont perdu leurs pattes et rampent à jamais, malgré leur incontestable innocence!…

«16. Dieu dit ensuite à la femme: Je multiplierai tes misères et tes grossesses; et tu enfanteras dans la douleur; et tu seras sous la domination de ton mari.»

À l’unanimité, les commentateurs sont d’avis que les peines de cette sentence visent non seulement Madame Adam, mais toutes les femmes jusqu’à la fin du monde.

Sans nous arrêter à ce que ce système a d’injuste ou dénote un Dieu passablement loufoc, nous remarquerons d’abord, que, si la première femme avait su résister aux séductions du serpent, elle n’aurait pas enfanté dans la douleur. Avant ce jour-là, elle était donc conformée d’une façon toute différente de ce qu’elle fut à son premier accouchement. Par conséquent, en une seconde, c’est-à-dire à l’instant même où il prononça son arrêt, Dieu bouleversa de fond en comble l’organisme de la femme. On le voit, quand le doigt de Dieu s’y met, il opère des choses étonnantes.

En second lieu, il est bon d’observer que, malgré cette toute-puissance, Jéhovah n’est pas parvenu à rendre générales les peines qu’il a édictées contre le sexe féminin: d’une part, il y a beaucoup de femmes qui accouchent sans douleur; d’autre part, celles qui portent la culotte dans leur ménage, celles qui mènent leur mari par le bout du nez, au lieu d’être sous sa domination, celles-là sont légion dans toutes les classes de la société.

«17. Puis, Dieu dit à Adam: Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du fruit de l’arbre que je t’avais défendu de manger, la terre sera maudite à cause de toi, et tu en mangeras en travail tous les jours de ta vie.

18. Et la terre te produira épines et chardons; et tu mangeras l’herbe des champs.

19. Et tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes en cette terre d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras en poussière.»

Même observation que ci-dessus: le châtiment d’Adam doit frapper aussi bien tous les hommes; parfaite unanimité des théologiens sur l’interprétation de ces trois versets de la Genèse.

Le plus terrible de la sentence est la condamnation à mort. Il est vrai que l’ineffable Jéhovah oublie ce qu’il avait décrété précédemment, c’est-à-dire qu’en cas de boulottage du fruit défendu l’homme mourrait de mort le jour même du délit (2:17). Ce manque de mémoire de papa bon Dieu valut au condamné un assez important ajournement de l’exécution; en effet, s’il faut en croire la Bible, Adam vécut encore… neuf cent trente ans (5:5).

Mais si Adam n’avait pas mangé la pomme, il ne serait jamais mort, et nous-mêmes, tous, nous serions immortels. Des gens curieux demandent: Alors, qu’auraient donc fait les hommes le jour où la terre aurait été insuffisante pour les contenir? car, Adam et sa femme ayant reçu dès leur création la faculté de se multiplier, un moment serait forcément venu où leurs enfants et les enfants de leurs enfants auraient peuplé notre planète d’une façon exubérante.

Il est évident que ce problème est insoluble. Et alors, Dieu avait besoin, en quelque sorte, qu’Adam commît le péché: la mort apparaît ainsi comme une nécessité; mais Dieu tenait à ce que l’homme s’imaginât avoir tous les torts, et c’est pourquoi il tendit à nos premiers parents le piège de la pomme et donna la parole au serpent qu’il savait capable de tentation. Si Dieu existe tel que la Bible le représente, c’est tellement bien cela, que le serpent est devenu muet depuis cette époque, quoique la perte de la parole ne figure pas au nombre des peines qui lui furent infligées.

Une autre observation se présente d’elle-même à l’esprit, au sujet du pain qu’Adam et sa postérité ont été condamnés à manger à grand renfort de sueurs. Il est probable qu’il n’y avait pas de pain dans les temps primitifs et que les hommes se nourrirent alors comme les peuplades sauvages qui existent encore de nos jours. Mais ne chicanons pas pour si peu, et admettons que le seigneur Jéhovah ait parlé par anticipation. Les Juifs, pour qui la Bible fut écrite, mangeaient, en effet, du pain. Or les tonsurés nous disent que ce livre n’a pas été écrit exclusivement pour les Juifs et qu’il est, au nom de l’Esprit-Saint, la loi religieuse du monde entier. Dans ce cas, ou est forcé de reconnaître que l’on ne mange du pain que dans les pays où le blé pousse: les Lapons, pasteurs de rennes et pécheurs de phoques, et, en général, tous les peuples des latitudes polaires, ignorent absolument l’existence de la farine; en de nombreuses régions des Indes, de l’Amérique, de l’Afrique centrale et méridionale, on vit de fruits et du produit de la chasse. Dira-t-on que le mot pain a été employé par Dieu au figuré et qu’il désigne toute espèce de nourriture? On peut répondre que le châtiment n’est pas général non plus: si les ouvriers triment pour se nourrir, si quiconque vivant de son travail se voit ainsi frappé par suite de la faute d’Adam, il n’en est pas de même des jouisseurs de la vie qui naissent riches, millionnaires par héritage. Et les gros chanoines donc! ceux-ci, lorsqu’ils suent, c’est en été, à cause de leur graisse; ce n’est pas leur travail qui leur fait arroser de sueurs leur pain quotidien!

Le verset 18, en particulier, est très malveillant envers l’espèce humaine, en dehors du pain, l’homme est condamné à ne manger que l’herbe des champs, comme les bestiaux; que lui produira la terre? des épines et des chardons. Le pigeon nous la baille belle! Malgré Dieu, les hommes mangent autre chose que du pain et de l’herbe. Demandez à Lucullus. Ou bien, pourquoi Jéhovah ne détruit-il pas, à coups de foudre, les restaurants qui se permettent de faire figurer des plats de viande sur leur carte? Inutile d’insister.