Выбрать главу

Après quoi, que se passe-t-il dans la caboche de Caïn? Est-il anéanti au spectacle de son crime?… Pas du tout. Il se métamorphose subitement en scélérat endurci, en gibier de bagne. Il n’a pas le moindre remords, et lui, tout-à-l’heure si abattu, il va se montrer insolent envers le seigneur Jéhovah, qui ne lui inspirera aucune crainte.

«9. Et l’Éternel dit à Caïn: Où est Abel ton frère? Et Caïn lui répondit: Je n’en sais rien; est-ce que je suis le gardien de mon frère, moi?»

On croit voir le tableau: papa Bon Dieu paraissant au coin d’un nuage et interpelant le meurtrier, et Caïn qui lui envoie quelque chose comme Et ta sœur? avec la parfaite sérénité d’un professionnel du crime, qui croit avoir fait disparaître toutes traces de l’assassinat et fait un pied de nez aux gendarmes. Or, Jéhovah n’avait pas perdu un détail du drame; son œil divin n’était pas en défaut, cette fois.

«10. Et Dieu dit: Qu’as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.»

Il est clair qu’un châtiment terrible va punir tant de scélératesse et d’effronterie.

Voyons donc la suite du discours de Jéhovah:

«11. C’est pourquoi, maintenant, tu seras maudit même par la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère!

12. Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit; et tu seras aussi vagabond et fugitif sur toute la terre.»

Voilà Caïn condamné au vagabondage, à n’avoir ni feu ni lieu, à marcher toujours sans pouvoir s’arrêter nulle part, précurseur du légendaire juif-errant. Mais, s’il va être fugitif sans repos ni trêve, il ne sera pas en même temps laboureur, ce qui est une profession essentiellement sédentaire; comment s’y prendrait-il pour labourer, même en pure perte? — Si un inculpé de vagabondage prouve au tribunal qu’il est laboureur, s’il établit qu’il possède un champ et qu’il le cultive, son acquittement est certain; l’accusation s’est effondrée, il n’est pas vagabond.

Là-dessus, Caïn prend la frousse, une telle frousse qu’il perd de vue que l’humanité se compose en tout de trois personnes, son père, sa mère et lui-même, et qu’il s’imagine pouvoir être tué à son tour par les autres hommes, qui n’existent pas. C’est du joli détraquement cérébral, ça! Eh bien, ça y est en toutes lettres dans la Bible.

«13. Et Caïn dit à l’Éterneclass="underline" Ma peine est plus grande que je ne puis porter.

14. Voici: tu m’as chassé aujourd’hui de dessus cette terre, et je me cacherai de devant la face, et je serai vagabond et fugitif sur toute la terre; alors il arrivera que quiconque me rencontrera me tuera.»

Du coup, le courroux du vieux Jéhovah se calme. Il ne fait pas grâce à Caïn de sa condamnation au vagabondage à perpétuité; mais, perdant à son tour le sens de la situation, il ne veut pas que la peine soit aggravée. Aussi prend-il Caïn sous sa protection contre ces assassins impossibles. Si ce n’est pas du délire, cela, je demande ce qui en sera!

«15. Et l’Éternel dit à Caïn: Quiconque tuera Caïn sera puni sept fois au double. Et Dieu mit une marque à Caïn, afin que ceux qui le rencontreraient ne le tuassent pas.»

On s’attend à lire à présent quelque récit du vagabondage de Caïn. Ah! bien non, alors! Personne ne fut plus sédentaire que ce fugitif.

«16. Alors, Caïn sortit de devant la face de l’Éternel, et il vint habiter le pays de Nod, à l’orient de l’Éden.

17. Là, Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Énoch; et il bâtit une ville qu’il appela Énoch, du nom de son fils.»

Nous apprenons par là que Caïn se maria: l’auteur ne dit pas avec qui; mais ii coule de source qu’Adam et Eve eurent des filles, dont la Bible a négligé de parler, et que Caïn épousa une de ses sœurs. Nous ne lui en ferons pas un crime; l’inceste fut obligatoire aux premiers temps de l’humanité.

Ce qui nous fait plutôt bondir, tant notre surprise est grande, c’est cette ville fondée par Caïn. C’est déjà fort, un vagabond qui bâtit une ville; mais quels ouvriers avait-il à son service? de quels instruments se servit-on pour construire les maisons? et où enfin Caïn recruta-t-il des citoyens pour peupler sa ville Énoch?… Et le fumiste Esprit-Saint a fait avaler cette bonne histoire au pieux auteur qu’il inspirait!…

Les versets suivants nous donnent la descendance de Caïn. Énoch engendre Irad; Irad engendre Maviaël; Maviaël engendre Mathusaël. On ne sait, de ces personnages, que leur nom. Mathusaël engendre un certain Lamech, plus gourmand en mariage que ses nobles aïeux. Le vénérable Lamech est, en effet, l’inventeur de la polygamie; il se paie deux femmes pour lui tout seul, ce qui prouve que l’article commençait à ne plus être rare. De sa femme Ada il eut deux fils, nommés Jabel et Jubal, et de sa femme Tsilla il eut un fils, Tubalcaïn, et une fille, Nohéma.

Il paraît que les fils de Jabel préférèrent la campagne à la ville bâtie par leur ancêtre Caïn; car ils furent les premiers sur terre à demeurer sous des tentes (4:20). Quant aux fils de Jubal, la ville leur plaisait, au contraire, et ils furent les plus gais de la famille; ils aimaient la musique. «Jubal fut père de tous ceux qui jouent du violon et de l’orgue.» (4:21) Tubalcaïn, lui, fut le Vulcain biblique:

«il forgeait toutes sortes d’instruments d’airain et de fer.» (4:22)

Le polygame Lamech semble avoir logé dans son plafond une araignée d’assez belle taille; car la Genèse nous rapporte de lui un speech qui a la qualité d’être court, mais qu’aucun commentateur n’a jamais pu comprendre.

«23. Or, Lamech dit un jour à Ada et à Tsilla, ses femmes: Femmes de Lamech, écoulez bien mes paroles. Je tuerai un homme, si je suis blessé; je tuerai même un jeune homme, si je suis meurtri.

24. Car, si Caïn devait être vengé sept fois au double, moi, Lamech, je serai vengé soixante-dix fois sept fois.»

Ce discours épata au plus haut point Mesdames Ada et Tsilla; elles en furent, sans doute, comme pétrifiées et ne demandèrent pas la moindre explication. L’Écriture Sainte passe immédiatement à la mention de la naissance de Seth, troisième fils d’Adam.

«25. El Adam connut encore sa femme qui enfanta un fils et l’appela Seth; car Dieu, dit-elle, m’a donné un autre fils, en remplacement d’Abel que Caïn a tué.

«26. Et, un fils naquit à Seth, et il l’appela Enos. C’est alors qu’on commença d’invoquer le nom de Jéhovah.»

Le cinquième chapitre de la Genèse est consacré uniquement à donner la généalogie de Noé, descendant d’Adam par Seth. L’auteur sacré ne s’occupe plus de la descendance de Caïn.

Nous trouvons donc l’ordre suivant, où ne sont nommés que les fils aînés: Seth, Enos, Caïnan, Malaléel, Jared, Énoch, Mathusalem, Lamech, Noé. Mais le plus curieux de ce chapitre est l’affirmation de l’extraordinaire longévité de tous ces patriarches. Adam avait cent trente ans, quand il eut Seth, et il vécut encore huit cents ans. Seth mourut à neuf cent douze ans; Enos, à neuf cent cinq ans; Caïnan, à neuf cent dix ans, etc. Celui qui mourut le plus jeune fut. Lamech, père de Noé; ce Lamech, qu’il ne faut pas confondre avec le polygame toqué de tout-à-l’heure, décéda dans le sept cent soixante-dix-septième printemps de son âge.

Énoch, fils de Jared, fut plus malin que tous les autres; il ne mourut pas, tout simplement.

«21. Énoch vécut soixante-cinq ans, et il engendra alors Mathusalem.