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Adam se mire dans l’onde limpide de la fontaine, source des quatre grands fleuves; puis, avisant une pelouse, il s’y étale mollement.

— Ah! qu’il fait bon vivre ainsi! murmure-t-il.

Mais voilà qu’il bâille… il s’étire… une langueur inconnue s’empare graduellement de lui… Voilà du nouveau, par exemple!… Il ne ressent pourtant aucune fatigue… Qu’est-ce que cela signifie?…

Il n’y comprend rien. Il subit la mystérieuse influence, irrésistible. Ses paupières se ferment. Adam dort. C’est le premier sommeil de l’homme.

Or, tandis qu’Adam ronfle comme une toupie d’Allemagne, papa Bon Dieu descend sur terre.

D’abord, il arrête assez longuement ses regards sur le dormeur.

— Tout de même, je travaille bien, quand je m’y mets! fait-il avec satisfaction. Le gaillard est rudement bâti; on jurerait que c’est moi… quand j’avais quelques milliards de siècles de moins.

Se baissant, il lui pince le gras du mollet. À celte divine facétie, Adam répond par un ronflement plus sonore encore que les précédents.

— Parfait! continue maître Elohim; je n’aurai pas besoin d’insensibilisateur pour assurer le succès de mes talents de chirurgien… Je vois que le sommeil que j’ai envoyé à mon jeune Adam chéri était des mieux conditionnés; on tirerait le canon auprès de lui, qu’il ne se réveillerait pas… Maintenant, il s’agit de me mettre à l’œuvre; car je suis venu ici pour une opération de premier ordre… Pendant que personne ne m’entend, je puis bien faire un aveu: je me suis aperçu ce matin qu’il y a des moments où je suis quelque peu godiche. Ainsi, où avais-je la tête, quand j’ai créé l’homme sans compagne?… J’ai donné à chaque animal une femelle; du moins, il n’y a que peu d’exceptions à cette règle. Le ver solitaire, je l’ai créé hermaphrodite, et ça se comprend, puisque, s’il allait par couple dans les intestins où il demeure, ce ne serait plus un ver solitaire… Mais l’homme n’est pas un ténia, nom d’une pipe!…

Il faut donc que je lui fabrique une compagne, et j’ai décidé de la lui faire avec sa chair…

Papa Bon Dieu tourna un moment autour d’Adam; il le tâtait, tout en émettant à haute voix ses réflexions.

— J’ai consulté le Pigeon à ce sujet, continua-t-il, et j’ai bien fait, car il est plus malin que moi… Ma première idée avait été de couper un cor au cher Adam et d’en pétrir une petite femme… Le Pigeon ne m’a pas approuvé; il a pensé qu’un cor serait trop vulgaire et que les impies pourraient y trouver prétexte pour dire que la femme est de basse extraction… La conclusion est que c’est avec une côte que je vais fabriquer la seconde créature humaine… Allons! c’est le moment, c’est l’instant; soyons prompt et adroit comme un dentiste qui en est à sa vingt millième opération.

Et, ce disant, papa Bon Dieu

«arracha à Adam une de ses côtes, et il resserra la chair à la place» (2:21). «Et l’Éternel Dieu construisit en femme la côte qu’il avait ôtée à Adam.» (2:22)

J’entends le cri de l’homme, se réveillant en sursaut:

— Aïe! aïe!… Oh! là là!… On vient de m’enlever un de mes biftecks!

Et sa surprise en voyant la jolie poupée vivante:

— Qué qu’c’est qu’ça?

— Ça? c’est ta femme, et je te la présente, répond Jéhovah… Ose dire que je ne te fais point là un agréable cadeau!…

— Le fait est qu’elle est gentille…

— On en mangerait… Veinard, va!… Et pas de belle-mère!… Tu peux te vanter d’avoir toutes les chances, mon garçon.

La Bible raconte qu’Adam s’écria:

«Cette fois, celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair. On la nommera hommesse, car elle a été prise de l’homme. C’est pourquoi l’homme laissera son père et sa mère, et il se joindra à sa femme, et ils seront ainsi une même chair.» (2:23–24)

Inutile de commenter cette exclamation d’Adam, nouveau marié. Ah! qu’en termes galants ces choses-là sont mises?…

Pour ce qui est de la côte enlevée, il est bon de rappeler que, selon l’avis de saint Augustin, Dieu ne la rendit point à Adam. Par conséquent, Adam vécut ainsi avec une côte de moins. «C’était apparemment une de ses fausses côtes, a fait remarquer Voltaire; car le manque d’une des côtes principales eût été trop dangereux.»

La Genèse nous dit encore (2:25): «Or, Adam et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point de honte.» Les pieux commentateurs affirment que cette nudité sans nulle honte est une preuve de l’innocence de nos premiers parents; s’ils étaient toujours demeurés dans cette pensée qu’il n’y a aucune impudicité à se promener tout nu, c’eût été la marque d’une persévérante perfection. En vertu de ce raisonnement biblique, on pourrait donc estimer comme vivant dans l’état de perfection les peuplades sauvages qui ne portent aucun vêtement, et il y en a encore: néanmoins, lors de la découverte de l’Amérique, les fanatiques catholiques espagnols massacrèrent en masse des peuplades indigènes qui vivaient en belle innocence, et les prêtres bénissaient les massacreurs. D’autre part, on a remarqué que c’est le froid qui fit inventer les habits; car les peuples nus sont ceux qui vivent dans les régions les plus chaudes. En outre, quand tout le monde est nu, personne n’a honte de l’être: on ne rougit que par vanité; on craint de montrer une difformité que les autres n’ont pas.

Arrivons à la grande affaire, à l’étonnante aventure qui mit fin, hélas! au bonheur d’Adam et de son épouse.

«L’Éternel Dieu avait fait germer de la terre tout arbre désirable à la vue et portant fruit bon à manger; et il avait mis l’arbre de vie au milieu du jardin d’Éden, et l’arbre de la science du bien et du mal.» (2:9)

«L’Éternel Dieu avait parlé à l’homme avec commandement, lui disant: Tu mangeras librement de tout arbre du jardin. Toutefois, pour ce qui est de l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point; car, le même jour que lu en auras mangé, tu mourras de mort très certainement.» (2:16–17)

Il est bon de faire observer d’abord que, sous prétexte de résumer la Bible, les prêtres ont rédigé à l’usage des fidèles certains petits manuels portant le titre Histoire Sainte, dans lesquels ils ont soin de passer sous silence les passages de la divine Écriture qui les gênent trop. Ainsi, en général, on ne parle aux fidèles que du fameux arbre de la science du bien et du mal; nous verrons tout à l’heure pourquoi les prêtres ne soufflent mot de l’arbre de vie, parfaitement distinct de l’autre arbre; nous reproduirons le verset 22 du chapitre 3, qui est toujours omis dans les livres donnés aux naïfs dévots.

Pour l’instant, occupons-nous seulement de l’arbre dont le fruit causa la chute de l’homme. Rappelons que l’empereur Julien le Philosophe, dont la mémoire est si exécrée par les gens d’église, se livra, au sujet de ce merveilleux arbre, à quelques remarques pleines de bon sens. Il nous semble, écrivit-il, que le seigneur Dieu aurait dû au contraire ordonner à l’homme, sa créature, de manger beaucoup de cet arbre de la science du bien et du mal; que non seulement Dieu lui avait donné une tête pensante qu’il fallait nécessairement instruire, mais qu’il était encore plus indispensable de lui faire connaître le bien et le mal, pour qu’il remplît ses devoirs; que la défense était tyrannique et absurde; que c’était cent fois pis que si on lui avait fait un estomac pour l’empêcher de manger.

Une autre réflexion que l’on ne peut s’empêcher de se faire, c’est que le point de départ de l’historiette prouve que le seigneur Jéhovah avait une arrière-pensée et qu’il était bien aise que l’homme péchât. En somme, Adam aurait été en droit de lui dire: