— Comme les dieux?…
— Ne cherche pas à comprendre… C’est le serpent qui l’a dit…
Adam, résolu:
— Du moment que c’est le serpent qui l’a dit!… Donne, donne la pomme…
Il croque la pomme avec avidité.
Deux minutes se passent dans le silence; on entendrait voler un panamiste.[3] Tout-à-coup, Adam pousse un cri; c’est la science qui lui arrive.
— Ventre-saint-gris! s’écrie-t-il, nous sommes nus comme des vers!… C’est du propre!…
— Nombril du pape! fait la femme à son tour, je n’ai même pas de jarretières!… C’est indécent!…
— Et nous qui devons aller ce soir au bal des orangs-outangs!… Impossible de nous présenter dans le monde, avec une tenue aussi négligée!…
— Vite, vite, il faut nous vêtir!…
«Et les yeux de tous deux s’ouvrirent; et, connaissant qu’ils étaient nus, ils cousirent ensemble des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures.» (3:7)
Notez bien que le premier costume humain ne fut pas de feuilles de vigne; la gloire de l’invention de la vigne était réservée au patriarche Noé.
Une fois ainsi habillés, les deux époux se regardent.
— Nous ne sommes pas trop mal en cet accoutrement, dit le mari.
— Moi, la feuille de figuier me sied à merveille, fait la femme… Ces vêtements sont peut-être un peu poussiéreux; ils n’ont pas été battus depuis la saison dernière… Donne-moi un coup de brosse, Adam…
Leur contentement ne devait pas être de longue durée.
«Alors, ils ouïrent, au vent du jour qui souffle après midi, la voix de l’Éternel Dieu, qui se promenait (sic) dans le jardin. Et Adam et sa femme se cachèrent de la face de l’Éternel Dieu, parmi les arbres du jardin.» (3:8)
Ce Jéhovah, on le constate encore ici, est bel et bien un dieu corporeclass="underline" il se promène, il parle; nous l’avons vu pétrir et souffler. La Genèse présente donc son Dieu à la mode de toutes les autres mythologies. Les divers peuples de l’antiquité n’eurent, en effet, pas d’autre idée de la divinité; Platon passe pour le premier qui ait fait Dieu d’une substance plus ou moins éthérée, qui n’était pas tout-à-fait corps.
Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait à Adam, et plus tard à Caïn, aux patriarches, aux prophètes, à tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les tonsurés répondent qu’il avait une forme humaine, et qu’il ne pouvait se faire connaître autrement, ayant créé l’homme à son image. On réplique que la religion israélite ressemble alors singulièrement, sur ce point essentiel, à toutes les religions que les prêtres catholiques flétrissent du nom de paganisme; les anciens Romains, qui avaient adopté les croyances des anciens Grecs, ne comprenaient, eux aussi, la divinité que sous un aspect humain. Cette remarque fait ajouter: au lieu que ce soit Dieu qui ait fait l’homme à sa ressemblance, ne serait-ce pas plutôt l’homme qui aurait imaginé Dieu à sa propre image? Mais n’insistons pas; car loger une telle opinion dans sa cervelle, c’est se vouer aux flammes de l’enfer. Rappelons seulement cette malicieuse réflexion d’un philosophe: si les chats s’étaient fabriqué des dieux, ils les auraient fait courir après les souris.
Des détails, tels que ceux de la promenade de Dieu dans le jardin d’Éden, montrent péremptoirement qu’il ne s’agit en aucune façon d’une allégorie mystique; tout le récit de l’auteur sacré est dans le style d’une histoire véritable.
«9. Et l’Éternel Dieu appela Adam, et lui dit: Adam, où es-tu?»
Il était piteux et confus, messire Adam, et sa femme aussi n’en menait pas large. Ils essaient de s’esquiver, ils se cachent; mais, je t’en fiche! comment échapper au regard divin qui plane sur tout?… En vain les infortunés s’efforcent-ils de dissimuler leur personnalité aux regards du Très-Haut; derrière eux, partout, retentit le terrible appel du Seigneur, parlant en maître puissant, sévère, et s’apprêtant à punir son serviteur, son esclave, qui lui a désobéi.
Pas moyen de se tirer de ce mauvais pas; ils sont pincés; il va leur falloir avouer la faute commise. Penauds, ils balbutieront de mauvaises excuses.
«10. Adam répondit: Seigneur, j’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai craint, parce que j’étais nu, et je me suis caché.»
Les voilà donc devant le patron, devant ce Dieu qui connaît l’avenir, qui avait prévu l’accident du serpent et de la pomme, et qui se fâche comme s’il ne s’était douté de rien, comme si ce qui vient d’arriver ne s’était pas produit de par son omnipotente volonté. Adam et sa femme ne songent pas à cela dans leur émoi; ils vont tenir le langage des écoliers pris en faute: — M’sieu, ce n’est pas moi qui ai commencé; c’est elle! — M’sieu, je ne le ferai plus, tant je suis chagrine… Ah! non, pour sûr, je ne recommencerai pas, vous pouvez m’croire!…
«11. Et Dieu dit à Adam: Qui t’a appris que tu étais nu? Il faut que tu aies mangé de ce que je t’avais défendu de manger.
12. Et Adam répondit: La femme que tu m’as donnée pour être avec moi m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé.
13. Et Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela? Et la femme répondit: Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé du fruit.»
Maintenant, maître Elohim va distribuer les punitions. Il procède par ordre, et c’est celui qui a été le premier coupable qui écoppera le premier. Attention!
«14. Alors l’Éternel Dieu dit au serpent: Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et bêtes de la terre; tu marcheras sur ton ventre désormais, et tu te nourriras de terre tous les jours de ta vie.
15. Et je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre tes enfants et les enfants de la femme; ils chercheront à t’écraser la tête, et tu chercheras à les mordre au talon.»
Ce châtiment infligé au serpent prouve, sans réplique possible, que les curés sont des blagueurs, quand, avec leur manie de fourrer le diable partout, ils attribuent la tentation de la femme au démon ayant emprunté ce jour-là la forme du reptile, à ce Lucifer-Satan dont les prétendues révolte et défaite ne se trouvent inscrites dans aucun des livres de la Bible. Si Satan était le coupable, Dieu évidemment lui aurait ordonné de réintégrer illico son domicile infernal et lui aurait octroyé un supplément de supplice dans le séjour des ténèbres.
Or, la punition de la tentation atteint, uniquement et exclusivement, le serpent en tant qu’animal et bête de la terre. D’après le verset 14 du chapitre 3, il est à croire que ce donneur de conseils perfides était auparavant un animal pourvu de pattes; et c’est bien à lui que Dieu coupa ce jour-là les pattes, puisqu’il le condamna à ramper désormais, — châtiment qui serait des plus injustes, si cette bête n’avait été pour rien dans l’affaire. — Supposez que l’abbé Garnier se déguise un beau matin en honnête homme, qu’il prenne le costume et se fasse la tête du papa Ruel, qui est un philanthrope, et qu’il aille ensuite sous ce nom commettre des escroqueries; que se passerait-il lorsqu’il serait enfin coffré, démasqué et traduit en correctionnelle? le tribunal condamnerait-il à l’amende et à la prison le brave papa Ruel? Non, certes! il prononcerait sa sentence contre le véritable escroc, il appliquerait son jugement au Garnier, c’est clair.
Les tonsurés feront donc bien de renoncer à leur conte bleu de Lucifer tentateur de la première femme; cette blague-là ne tient pas debout. Ou autrement, vu le texte sacré, s’ils veulent la maintenir quand même, il faut dire que le diable a été plus malin que le seigneur Jéhovah, et que celui-ci, complètement ramolli, n’a vu que le serpent dans toute cette affaire, n’a pas aperçu le moindre bout de corne de Lucifer, et a privé de pattes l’innocent serpent. Mon vieux Léon XIII, tire-toi de là!