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Gérard De Villiers

La blonde de Pretoria

Chapitre premier

L’horloge au-dessus de la Nedbank indiquait 4 h 10. Church Street, une des artères rectilignes qui faisaient ressembler Pretoria à une petite ville américaine commençait à s’animer. De nombreux employés noirs et blancs, terminant à 4 h 30 s’esquivaient discrètement, s’amassant aux arrêts de bus. Une Mitsubishi Galant, noyée dans le trafic, mit son clignotant et se gara le long du trottoir, presque en face de la galerie marchande au pied de l’énorme building moderne qui abritait le quartier général de l’Armée de l’Air sud-africaine, au-dessus de la Nedbank.

Un des deux Noirs qui se trouvaient dans le véhicule en descendit, mit des pièces dans le parcmètre, puis remonta, sous l’œil indifférent des deux sentinelles postées à l’entrée du QG.

Quelques instants plus tard, une Toyota bleu ciel, couleur très répandue en Afrique du Sud, vint se ranger deux voitures derrière la Galant. Il y avait trois Blancs à bord. La circulation s’intensifiait dans Church Street et la marée des employés envahissait les trottoirs. Pourtant, dans une heure, chacun ayant regagné sa banlieue, ce centre-ville serait absolument désert. Après dix-huit heures, on aurait entendu une mouche voler dans les rues de Pretoria.

Aucun des passants ne prêtait la moindre attention aux deux Noirs ; depuis belle lurette, il y avait une classe moyenne noire en Afrique du Sud et on voyait presque autant de BMW conduites par des gens de couleur que par des Blancs.

Les seuls à s’intéresser aux occupants de la Galant étaient les trois hommes de la Toyota. Le passager, à l’avant, se tourna vers le conducteur :

— Qu’est-ce qu’on fait, Ferdi ?

Celui à qui il s’adressait était un quadragénaire costaud, un peu enveloppé, le visage adouci par un double menton, le crâne assez dégarni. Ses yeux gris très expressifs étaient sans cesse en mouvement. Un des meilleurs officiers des services de contre-espionnage sud-africain. Son bureau se trouvait juste en face, au 32e étage d’un building discret, un peu en retrait de Church Street. Il laissa tomber de sa voix lente, dans un anglais appliqué :

— On attend, c’est la seule chose à faire.

— C’est pas un peu risqué ? demanda l’homme assis à l’arrière.

Lui avait l’accent américain, des cheveux noirs frisés et de grosses lunettes. Steve Orbach, jeune fonctionnaire de la Central Intelligence Agency, avait été recruté à sa sortie de l’Université de Harvard. C’était son premier poste à l’étranger et il était très ému de se trouver mêlé à une affaire de cette importance. N’arrêtant pas d’essuyer discrètement ses mains moites à son mouchoir, il ne quittait pas des yeux la Galant. Son numéro était gravé dans son cerveau en lettres de feu : JDL 821 T. Ils la suivaient depuis Mamelodi, une des banlieues noires de Pretoria, paisible capitale de la République Sud-Africaine.

— Tant que les deux types ne bougent pas, on ne risque rien, remarqua le voisin de Ferdi.

Avec sa grande barbe en éventail, on aurait pu le prendre pour un authentique Afrikaaner, au lourd parler hollandais, mais son accent new-yorkais le trahissait. Burt Gluckenhaus, malgré tous les séjours à l’étranger effectués pour la Company[1], ne l’avait jamais perdu. Pretoria était son dernier poste avant la retraite dans les Catskill, au nord de New York, où il s’était acheté une petite maison de bûcheron.

C’était à cause de lui que les trois hommes se trouvaient là. Chef de station à Pretoria, il avait alerté ses homologues sud-africains sur une opération portant le nom de code IRA, menée par l’ANC[2], le groupe terroriste le plus virulent d’Afrique australe. Un trafiquant d’armes américain, surveillé par le FBI, avait réussi à expédier en Afrique du Sud un chargement d’explosifs volés dans une manufacture d’armement du Connecticut. Ceux-ci étaient munis de détonateurs sophistiqués, ce qui les rendait extrêmement dangereux. L’affaire sortant du territoire américain, le FBI avait repassé le bébé à la CIA. À la suite de transferts compliqués, une partie des explosifs avait finalement échoué dans un petit garage d’une banlieue noire de Pretoria, connu de la police sud-africaine pour être un nid de sympathisants de l’ANC.

Plutôt que d’arrêter bêtement leurs détenteurs, les Sud-Africains avaient décidé d’intervenir au dernier moment afin de remonter la filière terroriste. Les explosifs, contenus dans deux valises Delsey bleues toutes neuves, se trouvaient maintenant dans le coffre de la Galant garée en face du QG de l’Armée de l’Air. D’après Gluckenhaus, expert en explosifs, une cinquantaine de kilos. Du C-4, deux fois plus puissant que le TNT.

Après l’intervention placide du chef de station de la CIA, le silence retomba. Pourtant leurs regards ne quittaient pas le coffre arrière de la Galant. Les deux Noirs, dont ils ne distinguaient que le dos, étaient aussi immobiles qu’eux. Le conducteur assez pauvrement vêtu, arborait un béret enfoncé jusqu’aux oreilles, l’autre portait un costume marron, une cravate et ses cheveux frisés étaient aplatis par une couche épaisse de gomina. Il fumait sans arrêt et on voyait les volutes sortir par la glace ouverte.

Un bus glissa le long de la Toyota, l’empestant d’un nuage bleu. Les trottoirs étaient noirs de monde. De grands bus jaunes se succédaient à une cadence accélérée, engloutissant les secrétaires, les vendeuses, les employés sagement alignés aux arrêts. Burt Gluckenhaus consulta sa montre : 4 h 17.

— Ces enfoirés vont probablement attendre que tout le quartier se vide et poser leurs saloperies dans un coin de la galerie marchande, suggéra-t-il.

— À moins qu’ils n’attendent quelqu’un, répliqua Ferdi. C’est curieux qu’ils prennent le risque de rester ici, avec ce truc dans leur coffre.

— Vous êtes sûr que ça ne peut pas péter ? demanda anxieusement Steve Orbach.

Ferdi eut un sourire rassurant :

— Ces deux salopards n’ont pas envie de se suicider ! Nous savons comment ils procèdent, il y a déjà eu des attentats. Ils sont toujours très prudents. Ils déposent leur bombe quelque part avec une minuterie généralement réglée sur trente minutes. Cela leur donne largement le temps de foutre le camp.

— Votre équipe d’intervention est prête ? demanda Gluckenhaus.

— Absolument, affirma l’officier sud-africain. Ils attendent dans le garage en dessous de mes bureaux, juste en face. C’est une chance que ces salopards soient venus ici. En deux minutes mes gus seront là. Il suffira de bloquer Kerkstraat dans les deux sens, après l’avoir fait évacuer, pour qu’on neutralise les explosifs.

Il disait Kerkstraat, au lieu de Church Street, utilisant machinalement l’afrikaans, sa langue natale.

Un flot de gens sortaient de la galerie marchande de la Nedbank, comme d’une bouche de métro, se répandant ensuite entre les différents arrêts de bus.

Ferdi poussa soudain un grognement inquiet. L’ultime véhicule qui les séparait de la Galant venait de décoller du trottoir. En jetant un simple coup d’œil dans le rétroviseur, ceux qu’ils surveillaient pouvaient maintenant les repérer. Les deux terroristes risquaient de prendre peur. S’ils sautaient de voiture et s’enfuyaient dans la foule, Ferdi et les deux Américains risquaient de les perdre et toute l’opération dérapait. Sans parler du danger que représentait l’explosif…

Ferdi se tourna vers Burt Gluckenhaus.

— On ne peut plus attendre, fit-il de sa voix lente. Je fais un saut à mon bureau. Je ramène du monde et l’équipe de déminage.

L’Américain n’avait pas compétence pour intervenir et ne tenait surtout pas à ce que trop de monde soit au courant de sa collaboration avec les Services Spéciaux sud-africains. Steve Orbach s’agita nerveusement sur la banquette arrière.

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1

Surnom de la CIA.

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2

African National Congress.